Passer la soirée avec sa fratrie à écouter la radio au parc de la mare à la veuve, c’est le fond du trou pour un Bondynois. Cela signifie qu’on ne dispose même pas du minimum syndical pour égayer son quotidien, à savoir les 4 euros d’investissement nécessaire pour pouvoir s’attabler dans un grec. Bref, encastré entre deux corps drus dans la Super 5 de mon pote, sans nulle autre occupation que celle de respirer les pets de mes voisins, je réfléchissais au moyen de m’extirper de ce plan pourri. Je pianotais machinalement sur mon portable recherchant le leitmotiv qui me permettra de m’éclipser pour rejoindre une compagnie plus galante, quand soudain des bribes sonores de ce qu’éructa le transistor arrivèrent à mon oreille avertie. Des propos insultants, proférés tranquillement par un animateur d’une grande radio envers une population qui a subi de plein fouet le génocide nazi .

  « Alors Tony comme ça il y a des Gitans à ta soirée, attention aux Manouches hein, avec eux faut se méfier, regarde si rien n’a disparu dans la maison (rire général dans le studio d’enregistrement) ».

Avec les Tsiganes tout est permis, j’imagine à peine le b…ocson que ces propos auraient déclenché dans les médias si Juif ou Arabe avaient remplacé les mots Gitan et Manouche. Inutile de simuler plus longtemps l’indignation, moi-même je suis le premier à invectiver nos derniers nomades quand je fais étalage de mon (légendaire) humour corrosif. Mais attention, ce n’est pas parce que quelques noms du grand banditisme français partagent deux ou trois gènes avec Esmaralda, la dulcinée de Quasimodo, que je vais leur cracher dessus. Non, moi quand je parle des Gitans c’est pour louer leur plus grande réussite : leur patronymie si chantante, appréciée par tout le bon peuple bondynois.

Pour arrondir mon budget kefta double oignons grillés sauce samouraï, je fais le pion dans les écoles primaires. Dans celle où j’accomplis mon ministère, j’ai fait la connaissance d’une institutrice qui a travaillé deux ans dans des classes de rattrapage où il n’y avait que des petits Gitans. C’est pour moi une aubaine, car mon grand passe-temps dans la vie c’est de collectionner leurs prénoms, si originaux. Aussi, si j’ai eu dans ma scolarité des Rocky, Rambo, Trinita ou Napoléon, les feuilles d’appel que me présenta l’enseignante dépassèrent toutes mes espérances.

Deux jumeaux de 8 ans, la fille se nomme Kick, le garçon Boxing.

Quatre frères et sœurs : Donatella, Michel-Angela, Raphaëla et Leonardo, aucune référence aux peintres de la Renaissance, mais plutôt aux tortues Ninja.

Pour rester dans le domaine familial, deux frères, l’aîné s’appelle Tomy, le cadet Tommy…

Je pourrais continuer longtemps comme ça : Clinton, Dollar, Karl Marx, JR, Mac Gyver, je crois que tout Télé 7 Jours y est passé. Mais pourquoi donc nos compatriotes du voyage, usent-ils avec tant de liberté du droit de prénommer leur progéniture comme bon leur semble ? Je tiens d’ailleurs à préciser que depuis 1996, l’Etat n’a plus le droit de regard dans le domaine, chacun peut appeler son fils Caca ou Chocolat si l’envie lui chante. La théorie la plus répandue à Bondy c’est que les petits Tsiganes n’ont pas de prénoms jusqu’à ce qu’ils s’en choisissent un quand ils sont un peu plus grands, d’où les barres de rires à chaque rentrée scolaire. La vérité c’est que dans la cellule familliale ces enfants possèdent une patronymie « normale » de culture gitane, les Goldorak et compagnie étant réservés à l’administration.

Toujours est-il que cette tendance à transmettre notre patrimoine audiovisuel par le biais de sa progéniture constitue pour moi un sommet d’humour décalé, bien de chez nous. Mais les Manouches de Bondy n’ont pas le monopole dans le domaine. Pour une obscure histoire de pension versée par erreur à son cousin à la patronymie identique, un habitant de mon village du bled jura qu’aucun de ses enfants ne sera confondu avec qui que soit. Et un Kabyle en colère tient toujours ses promesses. Résultat, quatre Algériens au moins portent ces prénoms : Tarzan, Bruce Lee, Zorro et Djamousse (plastique en kabyle).

Idir Hocini

Idir Hocini

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