Tour de France des banlieues. Ce témoignage nous est parvenu par une lycéenne dont nous préservons l’anonymat. Elle l’a écrit de son propre chef et l’a complété à notre demande, seules l’orthographe et la ponctuation ont été corrigées.

J’avais 14 ans et je me suis fait violer, je me souviens encore du jour et de la date précise: c’était le 24 décembre 2004. Je connaissais le garçon qui m’a violée, il avait cinq ans de plus que moi et je le considérais comme un pote. Ce 24 décembre 2004, il m’avait invitée chez lui mais il n’avait pas les mêmes intentions que moi. Pour lui j’étais qu’une meuf avec qui il pouvait coucher, moi j’étais qu’une adolescente trop naïve, mais je me suis très vite rendu compte de ce qui allait m’arriver.

Je me souviens encore de ses mots, je n’avais qu’à m’estimer heureuse que l’on ne soit que tous les deux, que cela pouvait être pire… comme si le fait qu’il me dise cela allait changer quelque chose. Je n’étais pas consentante et il me violait. Après, je suis rentrée chez moi peu consciente de ce qui venait de se passer. J’ai continué ma vie en prenant bien soin d’éviter que personne de mon entourage ne découvre ce qui avait pu m’arriver. Je m’étais fait violer, j’avais terriblement honte, honte de moi, honte du regard que ma famille porterait sur moi. On dit souvent que le viol n’est pas un tabou mais beaucoup de pères et de frères pensent encore que si une fille se fait violer, c’est qu’elle l’a forcément mérité.

Dans ma famille, ce ne sont pas que les hommes qui pensent comme cela. Pour mon frère, si une fille est de gauche, il est logique qu’elle se fasse violer car elle est trop laxiste; pour mon père, être vêtue de façon féminine est une raison suffisante; et pour mes tantes, c’est une histoire de plus à raconter en prenant leur pause déjeuner. Ceci peut faire sourire mais ne pensez pas qu’il n’y a que dans ma famille que l’on peut trouver ce type de comportements.

Beaucoup de personnes vont rire du viol mais ils oublient qu’il n’arrive pas qu’aux autres femmes. Il faudrait qu’ils se rendent compte que le viol peut arriver à leurs filles, à leur femme et qu’elles aussi peuvent être victimes. Ces femmes n’oseront pas forcément parler de ce qu’elles ont subi.

Il est assez douloureux de se faire violer, c’est comme être détruite, mais on peut se reconstruire. Pourtant, il est encore plus difficile de se reconstruire quand on sait que nos proches, par des attitudes de tous les jours, nous jugeront et parleront continuellement de nous en pensant que l’on ne sait même pas de quoi ils parlent. Il est difficile de parler à sa maman et de lui raconter que l’on s’est fait violer, comme une peur de la faire souffrir pour rien. Tout simplement pas envie de raconter ce qui avait pu m’arriver. Le poids de cette honte que j’ai préféré oublier pour pouvoir continuer, car malgré tout, après un viol la vie continue et elle doit continuer. Il faut trouver l’envie et la rage de poursuivre, soit par fierté, toutes les raisons sont valables, mais il faut continuer à vivre.

Je vous ai raconté mon histoire juste dans l’espoir de faire changer certaines mentalités, pour que les personnes comprennent qu’il est difficile de se confier même dans sa famille, car on est souvent jugée. On a l’impression que les personnes veulent savoir juste pour savoir, comme s’il s’agissait d’une forme de curiosité malsaine, connaître le plus de détails – sérieux à quoi ça peut leur servir ? À imaginer le viol de manière plus concrète ?

Il ne faut pas se demander ensuite pourquoi il est si difficile de parler de ce qui nous est arrivé. Tant que les mentalités n’auront pas réellement évolué, le viol restera un tabou dans un grand nombre de familles. Il ne faut pas se demander par la suite: oui on ne savait pas, elle ne nous avait rien dit. Comment avoir confiance et raconter un viol quant votre propre famille ou vos propres amis ne sont que des idiots complètement débiles qui trouvent le viol amusant, acceptable ou logique, car après tout elle devait le mériter?

Heureusement toutes les personnes ne pensent pas comme cela et il y en a de très bien qui savent comprendre et souvent c’est à elles que l’on arrive à se confier, plus ou moins rapidement. On reconnaît toujours les personnes qui peuvent nous comprendre et nous aider. Il m’a fallu plus d’un an pour en parler à une amie qui a su me comprendre. Grâce à elle, j’ai pu en parler à ma maman qui a été formidable. Et ensuite j’ai rencontré mon copain qui m’a prouvé par sa compréhension que les gars bien existent.

Tout cela pour dire que je n’ai aucune haine contre le garçon qui m’a violée, la haine est destructive et néfaste. Je n’ai jamais porté plainte contre ce garçon par peur que ma famille et mon entourage ne soient au courant et tout simplement par honte de devoir raconter mon histoire à la police.

Je ne regrette rien et je pense que vivre dans le passé ne nous apporte rien de positif. J’espère juste que les mentalités changeront et évolueront un petit peu. Ou tout au moins que mon témoignage aura fait un minimum réfléchir.

Nordine Nabili

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