Ce mot sonne dans nos rues comme une promesse d’humiliation éternelle, de déchéance sociale, une force de frappe atomique capable de briser les meilleures réputations. Une source de jouissance sans fin pour toutes les commères de cette ville qui vont élever l’art de la raillerie à des sommets alpins ; galvanisées par cette douce musique, cet ultime chant du cygne lancé par les bris de votre fierté volant en éclat. Un dossier… la seule chose dans l’univers qui peut affecter le flegme légendaire des bondynois. Un dossier, c’est une situation humiliante subie par un pair ou par soi-même, capable d’alimenter les veillées nocturnes en ragots pour plusieurs hivers. Le dossier à ses champs d’expressions privilégiés. Les plus croustillants remontent presque toujours à la source originelle : votre maman. A ce propos, il est toujours utile de rappeler certaines règles de base qui vous éviteront nombre de contre coups au pedigree de votre réputation : quand votre génitrice vous course avec une claquette dans toute la maison ; ne jamais trouver refuge dans la rue.

Si elle est un tant soit peu tenace elle continuera sa traque au grand jour à la vue de tous les chalands de passage dans votre quartier. Les moments de contrariété familiale doivent toujours rester à l’intérieur du foyer si vous ne voulez pas que tout le monde sache que votre mère fait le ménage en T-shirt dragon Ball Z. IL en faut vraiment peu pour faire d’un événement anodin un gisement de vannes vaseuses. Un créneau un peu audacieux effectué par votre père devant toute la cité et vous voilà devenu pour un long moment, le fils légitime de Starsky et Hutch.

Les dossiers sur les parents ça croustille c’est marrant ; mais c’est en somme pas bien méchant. N’importe quel rat de Bondy qui a intégré nos minimas sociaux en termes d’autodérision finit par rire de ses propres petits scoops familiaux. Ce qui fait très mal en termes de dossier, qui craque et qui fait grand bruit, se sont nos déboires sentimentaux. Ceux-ci deviennent monumentaux quand on sait qu’à Bondy le beau sexe reste le plus grand des mystères. Se faire recaler de boite ou avoir en permanence sur les dos des amis prêts à faire de vos rendez-vous galant des plans terres brûlées, font que le bondynois commence tardivement et de façon souvent catastrophique ses errances sentimentales. Dans ce domaine, l’allié naturel du Dossier c’est le STOP, cette fin de non recevoir que délivre une jeune fille à un garçon trop moche pour elle, qui lui a fait au préalable une déclaration digne de la série Dawson. Le râteau, le vent, la veste, la bâche ; c’est pour nous du caviar, c’est comme à noël, on s’en donne à cœur joie sur le pauvre rejeté. Son monde s’effondre alors, tant les rats de cette ville peuvent être vifs, cinglants, organisés et efficaces quand il faut remuer le couteau dans la plaie. 

Le problème quand on n’a pas de vie c’est qu’on s’intéresse de trop près à celle des autres. Certaines bouches de vieilles ont poussés la démarche tellement loin qu’elles se sont organisées en véritables réseaux d’informations. Voilà plusieurs années que Le F.B.I (Force Berbère d’information) et la C.I.A (Chiness Investigation Agency) font tomber les têtes les plus en vue du tout Bondy. La méthode favorite de ces deux organisations locales c’est le «  coup de dague dans le dos  ». Ce secret tellement bien gardé qu’on croit qu’on l’emportera dans la tombe, et qu’on vous balance un soir comme ça gratuitement, tant qu’à faire qu’il y a du monde, à l’une des rares soirées ou on a réussi à rentrer. Pas le temps de préparer ni défense, ni contre attaque le peuple bondynois sait désormais que vous fréquentez une fille de 10 ans votre cadette, petite sœur de votre meilleur ami, qui passe le brevet et écrit votre nom entouré d’un petit cœur avec un marqueur fluo rose fuchsia dans son agenda.

L’opprobre générale provoquée par un dossier s’il vise avant toute chose à satisfaire un désir malsain de voyeurisme, n’en ait pas moins une expression privilégiée de notre humour fripon qui pique. Le but final reste néanmoins noble : construire autour de la psyché du frère qu’on fait souffrir une armure invincible aux affres de la vie. Car à force de se faire vanner régulièrement depuis l’enfance, on comprend que Le ridicule n’a jamais tué personne et que le véritable humour, c’est savoir rire de soi-même.

Idir Hocini

 * http://yahoo.bondyblog.fr/news/la-bondy-rattitude

Idir Hocini

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