Ce lundi 4 février, les parlementaires étaient réunis en congrès à Versailles pour voter la révision de la Constitution nécessaire à la ratification du Traité de Lisbonne. Mais avant ce haut rendez-vous, le député PS de Seine-Saint-Denis Claude Bartolone s’est penché depuis son bureau de l’Assemblée nationale, où nous l’avons interviewé, sur le lancement, vendredi prochain, à l’Elysée, du plan « Espoir banlieues ». Cet ancien ministre de la ville répond sans détour aux questions qui préoccupent les 6 millions d’habitants des banlieues. Interview.

Le président de la République annoncera vendredi un plan en direction des banlieues. Qu’en pensez-vous ?

Beaucoup de choses entrent en ligne de compte. D’abord, je pense que le gouvernement est en train de se rendre compte que les quinze milliards distribués dans le cadre du paquet fiscal sont des milliards qui lui manquent aujourd’hui pour mener de véritables politiques publiques. Je crois aussi qu’il est en train de découvrir que la politique de la ville, ce ne sont pas simplement de grandes annonces sur dix ans. C’est le quotidien d’habitants qui doivent se sentir concernés par des gestes dans l’immédiat, afin qu’en eux l’espoir revienne. Dans les écoles de la Seine-Saint-Denis, il y aura des centaines de suppressions de postes l’année prochaine. Sur la sécurité, il y a cette contradiction au sein du gouvernement : la ministre de l’intérieur vient d’annoncer dans ce département le retour de la police de proximité, sans le dire, puisque ça donnerait le sentiment de reconnaître une erreur commise par Sarkozy qui l’a supprimée au motif que c’était une invention de la gauche. Sur le logement social, on se rend compte qu’il y a encore beaucoup d’élus qui n’en veulent pas. En somme, sur tous les sujets qui permettraient aux habitants des quartiers populaires de faire en sorte que leur quotidien puisse changer, les signes ne sont pas là. Nous avons un gouvernement bloqué face à la politique de la ville, qui a du mal à annoncer de grands projets pour l’avenir parce qu’il n’a pas d’argent, alors qu’un milliard d’euros, le montant envisagé pour le plan banlieues, c’est ridicule par rapport aux six millions d’habitants des quartiers populaires.

Vous avez occupé le poste de ministre de la ville il y a une dizaine d’années. Si vous étiez aujourd’hui à la place de Fadela Amara, quelles seraient vos actions ?

J’ai eu l’occasion d’en discuter avec Fadela Amara et de lui dire qu’un ministère de la ville, aujourd’hui encore plus qu’hier, doit savoir utiliser le microscope pour voir le quotidien des habitants, et la longue-vue pour essayer de fixer une espérance à long terme. Il faut qu’elle soit en mesure de dire ce qui peut être fait à court-terme, dans l’amélioration du quotidien, et d’autre part quel crédit de reconstruction va être engagé pour sortir réellement de ces grandes opérations dont on a parfois du mal à voir le début de la réalisation. Le quotidien, c’est savoir ce qu’on va faire dans les établissements des quartiers populaires pour la prochaine rentrée scolaire, ce qu’on va faire pour la sécurité, savoir aussi combien d’effectifs seront déployés dans l’installation de la police de proximité. C’est aussi savoir rebondir sur les opérations bloquées : c’est moi qui avais signé le grand projet de ville sur l’opération des Courtilières en 1999 (ndrl : cité de Pantin notamment composé de l’immeuble du Serpentin). Aujourd’hui, le premier coup de pioche n’est pas donné. Il y a quelque chose qui ne va pas quand on constate que l’Etat se montre plus intelligent et plus réactif pour construire le Stade de France ou l’autoroute qui permet d’acheminer les pièces d’Airbus de Bordeaux à Toulouse.

La question des quartiers populaires ne se calque-t-elle pas sur la problématique d’une population qui aujourd’hui n’est pas considérée ?

C’est une question qui, hélas, doit être posée avec cette brutalité. Lorsque l’on voit les millions d’habitants de ces quartiers, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’ils aient le sentiment d’être traités avec toute l’énergie et l’efficacité que nécessite la situation qu’ils vivent. J’insiste sur le fait qu’on ne peut pas se permettre de leur donner l’impression que les choses iront mieux dans dix ans, une fois qu’on les aura virés de l’endroit où ils vivaient. Or, quand on voit que la politique de la ville, notamment celle menée par Borloo, se résume plus à une politique de la pierre que des personnes, il y a un véritable problème qui se pose. Je ne dis pas que les opérations de démolitions-reconstructions ne doivent pas être menées. Mais il faut dans la même période que des actions soient engagées pour permettre l’accès à l’emploi, pour lutter contre les inégalités scolaires et les discriminations, pour aider les parents, pour profiter du choc démographique que nous allons connaître dans les années à venir (la France vieillit), pour lancer un grand plan de formation.

Au fond, la difficulté d’accoucher d’un plan pour la banlieue ne réside-t-elle pas aussi dans le débat sur l’identité de la France ?

Oui, mais peut-être d’une manière totalement différente. Nous sommes sortis d’une espèce de plan diabolique où en gros, la gauche se disait que finalement les immigrés et leurs enfants voteraient pour elle puisqu’elle a été perçue comme représentante naturelle. Il n’y a pas eu de la part de la gauche un intérêt aussi important que cette partie de la France le méritait. La droite, peut-être aussi d’une manière caricaturale, ne voyait pas pourquoi elle s’occuperait de cette population dont elle ne tirait pas profit électoralement. Aujourd’hui, ça a évolué, ces nouvelles générations de Français issus de l’immigration sont devenues un enjeu électoral, c’est une chance pour nous. La droite ne fait plus l’impasse sur leur vote et la gauche est obligée de tenir compte du fait qu’il existe une compétition électorale à ce niveau. Par ailleurs, je suis d’avis pour dire que la gauche a raté le rendez-vous vis-à-vis de ces populations, notamment en terme symbolique. Nous avons intérêt à nous rattraper au moment des municipales. Pour le moment, la droite a gagné la bataille des nominations au gouvernement, la gauche peut gagner la bataille de l’élection des personnes issues de la diversité. À la fin des élections municipales, j’espère que nous aurons été capables de faire placer à des postes de responsabilités, des milliers de garçons et filles qui montreront que nous sommes en train de rattraper notre retard suite à notre échec passé.

Est-ce que vous tenez ce même discours lorsque vous êtes, par exemple, en conseil national du Parti socialiste. Si oui, quels retours avez-vous en interne ?

Je me fais personnellement le reproche sur cette période où j’ai été ministre de la ville et durant laquelle je me dis que je n’ai pas eu assez de force pour convaincre mes camarades, à commencer par le premier ministre (Lionel Jospin) et le reste du gouvernement. J’ai gagné tous les arbitrages financiers et à aucun moment je n’ai manqué de moyens, et en même temps on me disait de ne pas trop faire parler de moi, pour moins faire peur à la France rurale. Aujourd’hui, on a passé ce cap, je pense que c’est un discours assumé. Je suis satisfait de constater qu’au sein du PS, notamment pour la préparation de ces élections municipales, les propos sur les quartiers populaires sont maintenant assumés par tout le monde, y compris par les élus des milieux ruraux. J’irai même plus loin en disant que ce discours a réussi à imprégner un certain nombre d’élus de terrain de droite, qui en sont à adopter une position schizophrénique : tenir un discours de soutien à Sarkozy quand ils sont à l’Assemblée nationale, mais qui au niveau local, redécouvrent le besoin d’offrir des signaux forts, notamment en tenant compte de la question de l’islam.

Vous prétendez au poste de président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis. Quelles actions comptez-vous mener pour régler les difficultés qui résident dans la pratique de l’islam ?

Le président de la République a prononcé en Arabie Saoudite discours sur la religion dont je me demande où cela peut nous emmener. Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Il faut en cette matière pouvoir agir dans le cadre de la loi de 1905. Il existe des possibilités. Au Pré-Saint-Gervais où je suis élu local, nous avons lancé avec une association un projet de mosquée où on arrive à trouver un bon compromis compatible avec les obligations de la Loi 1905, en faisant un bail emphytéotique. C’est ce qui ressort au niveau de la commune. Au niveau du département, nous pourrions par exemple prendre contact avec les associations pour aménager un abattoir dans des conditions d’hygiène qui permettent aux musulmans le sacrifice du mouton à l’occasion de la fête de l’Aïd.

Vous soutenez la sécurisation des associations et vous vous opposez à la vérification au quotidien de l’utilisation des fonds qui leur sont alloués. Pourquoi ?

Autant je comprends qu’on ait des contrôles réguliers et tatillons des appels à projet sur des associations qui démarrent. Mais pour des associations qui font par exemple du soutien scolaire, à quoi ça sert de leur demander année après année de répondre à un appel à projet ? Leur action remplace celle du service public de l’éducation nationale. Je dis oui à un contrôle de l’utilisation des fonds publics, mais ce n’est pas la peine de leur casser les pieds avec des dossiers à remplir de manière annuelle, dans la mesure où elles font un travail qui s’étale dans le temps. Il y a tout intérêt pour ce genre d’associations à rentrer dans le cadre des financements pluriannuels, et une autre procédure pour les associations à interventions ponctuelles.

Vous êtes né en Tunisie, d’origine italienne, comment vous définissez-vous en tant que français ?

Je suis un enfant de la Méditerranée, ma mère était maltaise, mon père sicilien. Je suis arrivé au Pré-Saint-Gervais à l’âge de onze ans. Pour moi, ce n’est pas la question du sol, mais les valeurs de la République qui me font me sentir totalement français, parce que je me sens totalement concerné par les valeurs de ce pays. Ce qui forge l’identité commune, ce qui amène des gens de pays différents et de couleurs variées à faire nation commune, ce sont les règles du jeu de la République française. Et c’est un sujet, à mon avis, qu’il ne faut pas laisser à la droite, qui a tendance à apporter une mauvaise réponse sur le droit du sang. Le parcours que j’ai pu connaître avec mes parents – vivre à cinq personnes dans un 2 pièces, à attendre huit ans un logement social – je le reconnais, c’était moins dur qu’aujourd’hui, parce que tout ceci se faisait dans le cadre d’une société judéo-chrétienne. Il n’y avait pas ce choc qu’il y a pu y avoir avec l’islam. Mais j’imagine ce que cela peut représenter comme étapes et ce que nous devons offrir à ceux qui veulent aujourd’hui se reconnaître dans cette identité.

Propos recueillis par Hanane Kaddour

Articles liés