Ce samedi 17 mai, j’étais convié à un drôle « d’anniversaire ». Je me suis rendu aux Parc des Expositions de la porte de Versailles, à l’heure du goûter, sans cadeau, juste avec une invitation. Environ 3500 personnes ont répondu à l’appel. Bel anniversaire, me direz-vous, que les 60 ans d’un « couple ». Eh bien, la réponse est plus délicate. Il faut dire que le mariage, en 1948, a rapidement battu de l’aile, et que d’un côté comme de l’autre, la situation est malheureusement des plus conflictuelle.

En l’occurrence, la thématique de ma journée était : « 1948-2008 : Paix comme Palestine ». 1948 correspond à ce que les Palestiniens nomment Al naqba, « la catastrophe », en référence à la première guerre civile au lendemain de la création de l’Etat d’Israël qui entraîna l’exil de 800 000 palestiniens.

J’entre, me fais tamponner la main d’un joli cœur et traverse les nombreux stands d’associations. Je me fraye un chemin jusqu’au devant de la scène où un débat va commencer. Il réunit Dominique Vidal, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, spécialiste du conflit, Elias Sanbar, historien palestinien, et Avi Shlaïm, historien israélien. Dominique Vidal commence : « Quand j’étais petit, je me souviens, dans les gares, les tunnels et les passages, des panneaux sur lesquels étaient écrit Attention un train peut en cacher un autre. Eh bien, aujourd’hui, Attention un anniversaire peut en cacher un autre. » Le débat dure une heure.

Dix minutes plus tard, la scène est de nouveau occupée, mais cette fois par des Corses. Coïncidence ? En fait, ce sont des chanteurs polyphoniques. Vous savez ceux qui se tiennent l’oreille, peut être de peur d’entendre leur voisin. Toute la soirée se sont succédés débats et concerts (La Caution, Diwane de Bechar, Alibi Montana, Tarace Boulba…). A deux pas de la scène un stand servait du thé, de la chorba et autres pâtisseries « locales ».

C’est en discutant avec une personne de l’Union juive française pour la paix que m’est revenu un épisode largement médiatisé à Montreuil. C’était en 2004, dans le cadre de l’émission « Envoyé Spécial », Elie Chouraqui signe un reportage sur « l’antisémitisme ordinaire » en banlieue. Il avait choisi pour exemple un collège public à Montreuil proche d’un autre établissement fréquenté par des élèves de confession juive. Le contenu du reportage est effrayant. Les propos tenus y sont clairement antisémites et négationnistes.

Le lendemain de sa diffusion, le ministre de l’éducation, un certain François Fillon, s’est déplacé dans la ville incriminée, tentant d’apaiser les tensions. L’ancien maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard, a même été condamné pour diffamation, il avait accusé le réalisateur d’avoir « manipulé » les élèves. Les médias ont par la suite pris le relais. Nombre d’entre eux ont associé l’« antisémitisme ordinaire » dans les banlieues à l’engagement pro-palestinien donc anti-israélien. La dimension religieuse offre un raccourci bien plus intelligible que l’histoire ou le politique…

Souvent dans ce genre de contexte, je revois Jean Gabin, dans « Le Président », dialogué par Audiard, s’adressant à l’Assemblée : « Il y a aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre. » Qu’en est-il de « cette majorité du genre » ? Au hasard des stands je croise deux jeunes filles. Elles sont venues pour témoigner de l’expérience de ce qu’elles nomment « un engagement citoyen » : un voyage de trois mois en Palestine. Elles ont envie de parler, cela tombe bien moi aussi.

Je demande : « Concernant la sensibilisation au conflit israélo-palestinien, y a t-il quelque chose à faire en banlieue ?

– Pourquoi demande-t-on ce qui pourrait être fait dans les banlieues, alors que quand l’on va à Paris, on ne se pose pas cette question-là ? Moi, c’est cela qui m’intéresse. Est-ce que c’est particulier la banlieue par rapport à se qui se passe en Palestine ? En banlieue, on va poser la question différemment, alors que moi j’ai pas envie de faire de différences. On présente les banlieues toujours comme pro je sais pas quoi. Le problème est que l’on pense à la place des banlieues.

– Et les médias dans tout ça ?

– Le problème est qu’ils présentent le conflit de manière uniquement religieuse, cela veut dire qu’à un moment donné, il y aurait les musulmans contre les juifs, alors que c’est pas du tout cela. Le conflit reste à un niveau politique. L’utilisation du côté religieux est beaucoup plus pratique pour stigmatiser l’un ou l’autre. En banlieue, de ce que nous avons pu voir, les gens sont profondément sûrs que cela reste à un niveau politique et qu’il y a des actions à faire sur le plan politique. Par contre la difficulté est de savoir comment faire en sorte que ce qu’ils ont à dire soit entendu. »

Les deux jeunes filles ont des projets à ce propos, mais à leur retour de Palestine, car elles y repartent prochainement. Je continue ma progression dans la foule, passe devant un stand où l’on vend de l’huile d’olive palestinienne et autres produits de l’artisanat local, et arrive à celui de Génération Palestine. J’y rencontre un militant qui œuvre en province (en France, donc). Il intervient aussi dans des zones sensibles, des centres sociaux culturels, « souvent cela apaise ». « Ce qui cristallise en France les conflits communautaires ce sont souvent les questions religieuses. » Or pour lui aussi le conflit est essentiellement de nature politique. « Ce qui se passe là-bas peut aussi se passer ici dans certaines conditions. L’ici et l’ailleurs sont mêlés. » Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier de dire que là-bas, c’est douloureux pour tout le monde, et des deux côtés. »

Il est 21 heures, après une chorba prise sur le pouce, je sors sous une averse dont le mois de mai à ses secrets. Qu’en sera t-il pour les noces de platine, dans dix ans ? Espérons que d’ici là, le couple en guerre n’aura pas explosé corps et biens.

Adrien Chauvin

Adrien Chauvin

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