Devant les cinoches parisiens, tendez l’oreille et vous avez une chance sur deux d’entendre : « Bonjour Madame, pourrais-je avoir une place pour « Entre les murs » ? » Ça fait maintenant plus d’une semaine que ça dure ! Rares sont ceux qui ne l’ont pas vue, cette palme d’or. Surtout dans le monde de l’éducation. Devant la façade livide du lycée Blanqui de Saint-Ouen, on est loin d’imaginer que le film suscite autant de controverses. Pascale Binet nous tape dans l’œil. Elle est professeur d’histoire-géo depuis 15 ans dans ce lycée et elle « n’ira sûrement pas voir « Entre les murs » ». Pascale n’a plus cours aujourd’hui, juste « un rendez vous chez le médecin à 16h30 ». On a le temps de parler.

Nous nous installons dans une petite salle du premier étage. Un de ses collègues veut bien participer à notre mini-débat. Le ton est vite donné. Les deux sont des purs « opposants à la palme ». Même si le collègue (zut, on a oublié de lui demander son nom !) n’a lu « que quelques extraits du livre », il s’oppose carrément au bouquin et à son adaptation cinématographique. « C’est un réel renoncement à l’enseignement », lâche-t-il. Avant d’ajouter, un peu dégoûté : « Le professeur (interprété par François Bégaudeau, prof dans la vie et coscénariste du film, ndlr) ne se fait même pas respecter. » Pour lui, ce film, c’est simplement « la liquidation de l’enseignement ».

Pascale Binet surenchérit : « Il doit y avoir des règles et des codes à l’école, sinon il faut s’inquiéter pour les générations à venir. » Son collègue quitte la salle. Elle, monte au front. Ce qu’elle ne comprend pas, n’admet pas, c’est l’obtention de la palme à Cannes. « Je pense que Cannes a primé un documentaire plutôt qu’un film, dit-elle. Une palme récompense des acteurs alors que ces jeunes jouent leurs propres rôles. » Même si elle salue le projet de l’atelier ciné, Pascale s’interroge. « S‘ils priment un tel film, c’est qu’ils sont contents que l’école soit ainsi ? »

La professeure, 28 ans d’expérience professionnelle au compteur, poursuit : « Pour moi, ce film montre le mauvais côté des choses. » Pascale Binet se félicite d’avoir maintenant des « élèves à Sciences-Po ». « L’autre fois, en salle des profs, une collègue s’est trompée. Au lieu de parler d’ « Entre les murs », elle a dit « Contre les murs ». » Allez comprendre ! La sonnerie retentit, « bang ding dong, bang ding dong ». Ironique, elle balance : « Je ne vois pas l’intérêt d’aller voir ce film, je n’ai qu’à m’installer, avec des popcorns, devant mes STG. » Elle sourit et s’en va.

A l’étage inférieur, le CDI (Centre de documentation et d’information). Là-dedans, beaucoup grattent du papier. Ici, on est censé bosser. La documentaliste veille au grain. « Entre les murs », pour elle, c’est « un film et non un documentaire ». A la question « Irez-vous le voir », elle laisse échapper un « oui » évident. Comme si elle y était obligée, la dame ira « voir ce film », comme beaucoup d’élèves.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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