Quand j’ai mis les pieds à Bondy pour la première fois, le 11 novembre 2005, j’étais évidemment loin de penser que ce projet d’immersion en banlieue pour L’Hebdo allait durer et se multiplier de la sorte. Trois ans plus tard, le Bondy Blog représente sept éditions, qui impliquent plus d’une centaine de blogueurs.

La question d’une assemblée générale en 2009 se pose, pour mettre un peu de lien humain parmi les centaines d’emails qui s’échangent chaque jour, mais aussitôt surgissent les questions logistiques : comment trouver les moyens de transporter, loger et assembler ailleurs que sur Internet ceux de Dakar et de Bondy, de Lausanne et de Marseille, de Lyon ou de Bondy ? Nous n’avons pas encore de compagnie aérienne low cost parmi nos partenaires, et beaucoup de nos réunions se déroulent sur Skype.

L’une des premières surprises sur place en 2005 aurait pourtant dû me mettre la puce à l’oreille : c’était la grande qualité des gens que l’on y rencontrait – et leur disponibilité, puisque Paris intra-muros ne semblait pas avoir envie de les utiliser. La qualité des gens était en effet la première condition pour que le blog soit repris par des jeunes sur place, encadré par Mohamed Hamidi ou Nordine Nabili, rejoints rapidement par Antoine Menusier.

Il n’empêche, il y a une autre explication : la soif d’information que l’on a immédiatement décelé chez les lecteurs du blog. Le public est inondé de news que moulinent en permanence les radios, les sites d’infos, les TV et les journaux, gratuits ou payants. Mais il garde toujours un œil ou une oreille pour de l’information originale. Le fait que le Bondy Blog ait désormais une édition lausannoise en train de faire sa place au soleil le prouve bien : quel territoire est plus densément couvert par la presse traditionnelle que la Suisse romande ? Et pourtant, il fallait le Lausanne Bondy Blog pour cet article surle trafic de voitures dans l’ouest de Lausanne ou cet autre sur la prostitution dans la capitale Vaudoise.

Pour moi, la question de savoir si le journalisme-citoyen va tuer le journalisme tout court est aussi bidon que celle de savoir si les cartes de crédit condamnent l’argent cash. Le premier est en croissance et le second en déclin, mais tous deux vont cohabiter pour les décennies à venir. Pour les journaux, la tentation est grande d’essayer de compenser par des blogueurs leur difficulté croissante à bien couvrir leur territoire. Ce n’est pas un hasard si des titres comme lemonde.fr, 24heures.ch ou 20minutes.fr ont développé des plateformes géantes de blog : ils veulent rester via leur site une source privilégiée d’information mais savent bien que les moyens leur manquent désormais pour entretenir des correspondants dans les régions ou à l’étranger, des chroniqueurs judicaires pour les procès de petite ou moyenne importance, des journalistes sportifs pour des compétitions qui passionnent un quartier ou une ville, mais pas l’entier de leurs lecteurs.

Le Bondy Blog, lui, n’a pas de manque à compenser, il explore un territoire jusque là inconnu des médias. Pensez au dernier né de la galaxie Bondy, le Business Bondy Blog : quel autre journal couvre l’économie en banlieue, laquelle est pourtant étonnamment vigoureuse ? Ce sentiment de porter en permanence des sujets inédits à une large audience (250 000 visiteurs uniques/mois sur toutes les éditions) est très important pour la motivation de tous ceux qui s’impliquent et qui, dans leur immense majorité, sont bénévoles (moi par exemple…).

Tout comme est déterminante aussi la conviction d’accompagner une cause, celle de la diversité, qui va changer le visage de nos sociétés dans les années à venir. Cela ne résout pourtant pas le grand problème des blogs : l’absence de modèle économique. Même si celui des médias traditionnels (pub et parfois audience payante) s’effrite, il fait tout de même vivre des milliers de journalistes ! Cet automne, le Bondy Blog a reçu ses premières subventions publiques et signé certains partenariats, mais l’invention d’un modèle économique reste notre grand défi des prochaines années.

De fait, je me demande parfois ce que sera le Bondy Blog dans trois ans. Comme la seule issue possible est la croissance, il est possible de tout imaginer ! Aujourd’hui déjà, la production de toutes les éditions ferait une bonne édition papier hebdomadaire, qui pourrait être distribuée dans les gares RER de banlieue. On va sans doute ouvrir d’autres blogs thématiques (le Business Bondy Blog a été le premier) mais aussi élargir le territoire. Nous sommes plusieurs à rêver d’un « Bondy Bled », une grande plateforme d’information entre les banlieues et les lieux d’origine d’une partie de leurs habitants, l’Afrique du Nord ou Subsaharienne. On verra ! Comme tout ce qui est utile et intéressant va survivre, nous allons nous efforcer de le rester.

Serge Michel

Serge Michel

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