C’est officiel. La Turquie ne sera pas invitée d’honneur au Salon du Livre de Paris 2010. Celle-ci devait succéder au Mexique, dont la littérature sera mise en avant pour cette édition 2009. Surtout, la Turquie dans ce qu’elle a de plus officiel, devait clore la saison culturelle turque en France, qui devrait commencer en juillet prochain. La nouvelle s’est très vite répandue sur le net, après un premier article de quelques lignes, mis en ligne sur l’Express.fr le 1er février. Les blogs et les sites sur la toile, qui ont relayé la nouvelle, ont été inondés de commentaires en réaction à l’information.

Preuve en est le blog de Pierre Assouline, « La république des livres » qui, à la suite d’un billet de son auteur sur la question, a recueilli à ce jour pas moins de 270 commentaires contre 150 en moyenne. C’est que la nouvelle enflamme les esprits des turcophiles convaincus, qui voient là une manifestation supplémentaire de la détérioration des relations franco-turques.

Aylin, une étudiante parisienne d’origine turque, regrette « une forme de mépris de la France envers la Turquie ». Et d’ajouter, en colère : « C’est comme le choix d’une « saison culturelle » au rabais tandis que d’autres pays ont le droit à une année entière. » Le Salon du Livre voudrait-il éviter de voir son événement annuel se transformer en arène politique comme ce fut le cas à la Foire du livre de Francfort, où la Turquie était invitée d’honneur en octobre 2008 ? Ou bien a-t-on voulu minimiser les risques, après un houleux Salon du Livre 2008 qui avait pour invité d’honneur Israël, ou après les récents accrochages turco-israéliens auxquels le premier ministre turc Erdogan a donné un éclat particulier à Davos ?

Quoi qu’il en soit, les organisateurs du Salon du livre, que nous avons contactés, réfutent la dimension politique d’une telle décision : « Pour 2010, nous avons fait le choix de ne pas inviter de pays d’honneur. Ceci n’a rien à voir avec la Turquie car nous avons décidé de célébrer notre trentième anniversaire. Nous sommes en contact avec les autorités turques pour réfléchir à donner une autre visibilité pour la Turquie au Salon du livre 2010. »

Ce qui est sûr, c’est que cette décision ne va pas améliorer des relations franco-turques déjà tendues. Pour Faruk Bilici, enseignant-chercheur au département de turc de l’INALCO : « L’invitation d’Israël en 2008, puis l’invitation de la Turquie au salon du livre de Francfort ont beaucoup aidé les indécis, peut-être d’ailleurs les lobbys turcophobes, à se convaincre qu’il ne fallait pas inviter ce pays, qui tente maintenant de le faire payer par des retards liés aux projets pour la saison turque. Autrement dit, ce n’est pas un facteur, mais plusieurs facteurs qui ont contribué à l’annulation de cette invitation, le mauvais climat sur les relations franco-turques en étant un. (…) Quel dommage que cela tombe juste au moment où la Turquie devait être invitée. En tout cas, c’est ainsi que les Turcs l’ont ressenti. »

S’ajoute à ce contexte la suppression de la rédaction turque à RFI, faute d’audience (comme cela est arrivé à cinq autres rédactions en langue étrangère), et dont la langue, d’après les explications de la direction de la radio francophone mondiale, ne correspond plus « aux évolutions géopolitiques ». Des pétitions sont d’ailleurs diffusées en ligne pour s’opposer à cette suppression.

Une autre affaire a également fait grand bruit sur le Web ces derniers mois. Celle de la menace d’une disparition de l’IFEA, Institut français d’études anatoliennes, situé à Istanbul. Le centre de recherches, qui relève du quai d’Orsay et du CNRS a lui aussi fait l’objet d’une pétition diffusée sur la toile. Ce à quoi l’ambassade de France à Ankara a répliqué par un communiqué où elle tente de rassurer en soulignant le caractère « irremplaçable de l’IFEA comme plate-forme de dialogue entre chercheurs turcs et français » et rappelle « que le démantèlement du centre de recherches n’a jamais été question malgré la réforme en cours ».

Que les turcophiles se rassurent. Les projets d’Istanbul, Capitale culturelle européenne 2010, vont bon train. Un groupe sur le réseau social Facebook a d’ailleurs été créé, rassemblant plus de 1120 membres qui s’enthousiasment des festivités à venir. Au menu, expositions, concerts et l’intervention des plus grands architectes au monde comme Rem Koolhas ou Norman Foster, pour ce qui est considéré, comme la plus belle des plates-formes culturelles, politiques et économiques que la Turquie n’ait jamais eues.

Nassira El Moaddem

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