Le public s’installe sur les bancs d’un amphithéâtre de l’Ecole supérieure de gestion du 11e arrondissement Paris. Les têtes sont variées : Noirs, Arabes, cheveux blancs, membres de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), dirigeants d’associations. Peu de jeunes présents. Beaucoup doivent dormir encore : c’est dimanche et il est 10 heures du matin. Une femme se plaint du retard pris dans le programme des assises. Une heure, quand même… « Un peu de respect et d’organisation s’il vous plaît. On est dimanche, certes, mais on a aussi des choses à faire plus tard. »

Ça commence enfin. Les intervenants font leur discours : Jean-Daniel Lévy, de l’Institut d’opinions CSA, Raphaël Haddad, président de l’UEJF, Louis Schweitzer, président de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) – qui prend congé de l’assemblée sitôt son speech terminé –, Judith Solal-Cohen, présidente de l’association CO-EXIST, Dominique Sopo, président de SOS-Racisme et enfin Henri Solal-Cohen, psychanalyste.

Jean-Daniel Lévy commence par la présentation des résultats d’un sondage sur la question des préjugés réalisé les 4 et 5 mars par l’institut CSA, pour le compte de SOS Racisme et de l’UEJF, auprès d’un échantillon national de 1050 personnes âgées de 18 ans et plus. Cette enquête d’opinion est la suite d’un atelier mené avec des collégiens dans le cadre du programme de sensibilisation CO-EXIST. Aux collégiens, il était demandé d’associer des mots ou des expressions à des populations. Il en est ressorti ceci : Arabes=voleurs, Blancs=racistes, juifs=personnes influentes dans la finance et les médias.

Les questions posées aux adultes dans le sondage sur la base du travail effectué avec les collégiens étaient les suivantes : « Considérez-vous comme grave ou pas grave de dire que les Arabes sont plus voleurs que les autres ? Que les Blancs sont plus racistes que les autres ? Que les Juifs ont plus d’influence que les autres dans la finance ou dans les médias ? »

Première question (Arabes) : 80% considèrent que c’est grave de dire cela ; deuxième question (Blancs) : 73% ; dernière question (juifs) : 42%. Enseignement brut de cette enquête d’opinion : une grande majorité des personnes sondées semblent s’inscrire en faux contre les clichés véhiculés par les collégiens sur les Arabes et les Blancs. A l’inverse, on peut déduire de cette étude qu’une majorité ne s’offusque pas de l’affirmation selon laquelle « les juifs ont plus d’influence que les autres dans la finance ou dans les médias ».

Comme réponses orientées, on ne pouvait faire mieux. Mais que cherchaient à prouver les sondeurs ? Que les « Français » n’ont pas de préjugés anti-arabes ? Que tout est clean de ce côté-là ? Que l’urgence du moment est de lutter contre les préjugés antijuifs et que les « Arabes » feraient bien de ne pas trop la ramener ? Ce faisant, on ne fera que renforcer l’idée, passablement répandue, selon laquelle il n’y en a que pour les « juifs », qui, comme chacun sait, tiennent les médias… Bravo aux organisateurs des assises ! Belle balle dans le pied !

Les intervenants ont fini leur présentation. Le public, impatient, veut prendre la parole. Mais ces messieurs s’éternisent et s’écoutent parler. Ce n’est pas un débat, c’est un cours magistral donné par un petit comité. Un homme du public, excédé, s’exclame : « Ecoutez, nous sommes dimanche, mais moi je viens de loin, de Goussainville, et j’aimerais bien pouvoir intervenir tranquillement et dire ce que j’ai à dire. » La salle s’agite, chacun y va de son commentaire dans son coin. Cette rencontre, pompeusement nommée « Assises nationales », n’est pas engageante.

Dominique Sopo a dit ce qu’il pensait du mot « islamophobie ». Concept recevable ou non ? « Pourquoi parle-t-on de racisme, d’antisémitisme et d’actes de violence à l’encontre des musulmans sans jamais utiliser l’expression d’islamophobie ? demande-t-on dans la salle. N y-a-t-il pas là un danger à mettre des mots précis sur certains actes et pas sûr d’autre ? N’y a-t-il pas un danger de créer des laissés pour compte ? »

Et Sopo de répondre : « Je suis contre l’utilisation du terme islamophobie, il a été inventé par l’ayatollah Khomeiny pour qualifier la réaction des femmes qui ne voulaient pas porter le voile, il n’est qu’un prétexte religieux tentant de nous retirer notre droit au blasphème. » Heureusement qu’il existe de tels penseurs qui se déplacent gracieusement un dimanche afin de nous déloger de l’ignorance…  

Nassira El Moaddem et Widad Kefti

Nassira El Moaddem

Articles liés