Un ciel bleu, un air doux, le chant des oiseaux, les cris des petits enfants qui jouent au ballon et d’un coup : VROUM ! VROUM ! La cité vibre au son des moto-cross et compagnie. Un attentat pour nos oreilles. Un bruit assourdissant. Pour la sieste, c’est raté ! Là où j’habite, dans le quartier Paul Eluard de Bobigny, arrivée du soleil rime avec pétarades de motos. Chez soi, on croit pouvoir enfin, après un long hiver, ouvrir les fenêtres et profiter des premières douceurs printanières. Nada ! C’est les fenêtres fermées qu’on lira son bouquin ou regardera le petit téléfilm de 13h30 sur M6.

J’oubliais, il y a aussi les quads. Tout aussi bruyants. Le plus énervant, c’est de voir que ces jeunes qui s’éclatent sur leurs engins, se fichent éperdument du voisinage et des gamins qui rentrent chez eux à midi pour le déjeuner. Ils slaloment entre eux, évite de peu les chiens en promenade et font s’envoler tout les pigeons qui picorent le pain sec déposé par les habitants aux coins des tours.

Le pire, l’ennemi absolu de la tranquillité, c’est lorsque ces ados motards débarquent à sept motos les unes derrière les autres, klaxonnant à tue-tête. Quand j’en choppe un dans mon hall, je lui demande : « Pourquoi tant de bruit ? Ça te fait quoi de rouler à plus de 150 km/h sur un si petit bout de dalle ?! – Oh c’est l’adrénaline ! Tu roules vite et t’arrête d’un coup, c’est violent ! Mais t’inquiète ! On sait être prudent. On a beau aller vite, on guette partout ! Même les pigeons on les évite. – Mais c’est dangereux, les gamins surgissent de nulle part. Ils se mettent à courir d’un coup. Ils peuvent être inévitables ! – C’est vrai, mais nos yeux sont partout. »

J’enchaîne avec la question des nuisances sonores : « Il y a le bruit aussi, dis-je. Vous ne vous rendez sûrement pas compte que le voisinage ne supporte pas tout ce bouquant causé par vos motos ! – Ah ! Pour le bruit, on n’y peut rien. Faut s’y habituer. – Je parle au nom du quartier et des quartiers voisins : y’en a marre de ce vacarme ! Ces bruits assourdissants. Tiens, allez au circuit Carole pour vous défouler là-bas ! – Alors là ! Il n’en est pas question ! Personne ne verrait nos prouesses en motos. – Allez au moins sur les avenues désertes, alors, ou filmez-vous et montrez les images ensuite à vos copains. – Hum… On verra bien, ptête qu’un jour, le quartier, on en sera blasé. On changera alors de terrain… »

Visiblement, ces jeunes ne sont pas près de quitter les lieux. Mais j’ai pu constater qu’en prenant de l’âge, ils s’en vont faire des virées en quads sur des terrains prévus à cet effet, en province. Ce sont les tranches 13-16 ans qui font leur rodéo sur les dalles des cités. Mais de 13 à 16 ans, le bruit, c’est épuisant, à la longue… Le but de ces parades à motos sous nos fenêtres, c’est à qui fera la plus belle figure avec sa moto. Il faut impressionner, se faire remarquer, prouver qu’on « gère » sa moto, qu’on la maîtrise parfaitement. Qu’on sait rouler sur une roue, le plus longtemps possible. Le « ghetto » a ses arts : les tags, le rap, le hip-hop et maintenant la moto et ses figures compliquées.

Les mamans de ces motards des cités disent leur impuissance. « Que pensez-vous de votre fils qui fait de la moto alors qu’il n’a même pas 18 ans. – Ça me fait peur ! J’ai toujours peur qu’il lui arrive quelque chose, qu’il se fasse renverser. Que la moto qu’il utilise soit volée et qu’il se fasse arrêter. » J’interroge une autre mère, tout aussi inquiète : « Moi, mon fils sait que j’ai peur, dit-elle. Il sait que je ne veux pas qu’il fasse de la moto. Mais il en fait quand même, il se cache. Dès que j’arrive ses amis lui crient que j’arrive et il disparait. J’en suis même arrivée aux coups, des fois… Mais ça ne change rien. Quand je lui parle des plus grands qui ont mal fini, il rigole. Alors j’en ai eu marre et j’ai baissé les bras… »

Mais pourquoi le laisser sortir ? « Il en profite quand il est sur le chemin du retour de l’école par exemple, je ne vais pas aller le chercher au lycée, quand même, poursuit la mère. – Pourquoi pas ? – C’est la honte pour lui, comme il m’a dit. Parfois, je souhaite qu’il se fasse arrêter. Ça lui donnera une bonne leçon. – Madame, sincèrement, je pense que ça le poussera à faire encore plus de moto. Lui et ses copains se lanceront encore plus de défis pour des figures toujours plus compliquées. – Oui, c’est vrai, t’as raison ma fille… »

La conversation à la boulangerie s’arrête là. Le pain tout juste sorti du four est enfin prêt à la vente.

Inès El laboudy

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