Les jeunes turcs français ont une grande connaissance de l’actualité de leur pays d’origine. Les élections municipales du 29 mars en Turquie, bien que scrutin local, ont retenu toute leur attention. Nationalisme ? Ce qui est sûr, c’est que pour la totalité des jeunes que j’ai interrogés, l’attachement à la matrice turque, voire à la ville natale de leurs parents, est primordial. « Je m’intéresse beaucoup à la politique en Turquie et j’ai suivi les élections », confie Sarah, 25 ans étudiante franco-turque à Paris. Abdelaziz : « Pour moi, il est important de suivre ce qui se passe dans le monde, et encore plus quand il s’agit de son pays d’origine. »

Dans la famille d’Özge, une lycéenne de 19 ans qui vit à La Courneuve, les rendez-vous politiques turcs sont l’objet d’un véritable rituel : « Pour les élections municipales, on s’est mis autour de la table. Ma mère avait préparé des spécialités et du thé. On a regardé CNN Türk. Depuis un mois, mon père suivait sérieusement les débats à la télévision entre les différents candidats. Le soir des résultats, il est même resté jusqu’ à 3 heures du matin, moi jusqu’à 2 heures. A 6 heures, à mon réveil, je me souviens d’avoir couru vers le salon pour demander à mon père le résultat de l’élection. »

Cet intérêt pour la politique de leur pays d’origine est révélateur des liens qui unissent ces jeunes turcs de France à la Turquie. On dépeint souvent la communauté turque comme repliée sur elle-même et peu ouverte à la mixité. Il est vrai que leur immigration dans l’Hexagone est toute jeune comparée à d’autres : les années 70 pour les primo-arrivants. Mais cet attachement n’est pas uniquement dû à ces arrivées récentes. La construction du tissu identitaire des Turcs de France est particulière et s’articule autour de réseaux et de structures bien définis qui pérennisent les liens entre ici et là-bas.

Pour Sarah, Zehra, Abdelaziz et Özge, les relations avec le pays d’origine se font par différents moyens : journaux turcs vendus à Paris et en banlieue parisienne, télévision turque grâce au satellite, voyages en Turquie l’été, relations de voisinage avec les compatriotes… Mais pour tous, c’est Internet qui représente le moyen de communication le plus utile pour rester connecté avec le pays des parents. Et les messageries instantanées comme MSN, le réseau social Facebook et Skype permettent d’être en relation avec familles et amis de Turquie à moindre coût.

Quelques minutes après le début de notre discussion, Özge décroche son téléphone qui sonne. Au bout du fil, sa maman avec qui elle parle en turc à une vitesse impressionnante. Özge fait partie de ces immigrés arrivés en France très récemment : « On parle turc à la maison, explique-t-elle. Mes parents ne parlent pas très bien le français. Nous sommes arrivés en France en 2003 c’est donc assez récent. Ma mère a bénéficié d’un an de formation en français. Aujourd’hui, elle a dû mal à parler le français mais elle comprend tout. Mon père, lui, n’a pas eu cette chance. Dès que nous sommes arrivés, il a dû travailler. Et comme il bossait dans des chantiers avec des compatriotes turcs, il n’a pas pu apprendre vraiment le français. » Chez Zehra et Abdelaziz, fille et fils d’immigrés, à la maison on parle les deux langues. « Français avec mes frères et sœurs et turc avec mes parents », précise Zehra.

Beaucoup de jeunes français d’origine turque ont bénéficié de cours dans leur langue maternelle, dispensés par des professeurs envoyés en France par la Turquie. Petits, Sarah, Abdelaziz et Zehra en ont reçu. Les autorités turques tiennent à garder dans leur giron tous ces jeunes binationaux et à préserver chez eux le sentiment d’appartenance à l’identité et à la culture de leur pays d’origine. Contrairement aux Beurs dont la maîtrise de la langue maternelle laisse généralement à désirer, rares sont les jeunes turcs de France à ne pas parler couramment la langue des parents. Une facilité linguistique qui leur permet une plus grande immersion et une relation moins épisodique avec leur culture d’origine.

Si pour les jeunes Turcs de France que j’ai rencontrés, la culture d’origine est présentée comme primordiale, Özge, fière de ses racines, est cependant assez critique sur le repli identitaire de certains de ses compatriotes : « J’ai besoin de ma culture d’origine. Moi, je suis née en Turquie, j’ai vécu plusieurs années là-bas, j’y ai ma famille, encore mes amis. On ne peut pas oublier d’où l’on vient. On en a besoin pour avancer dans la vie. J’ai envie de pouvoir transmettre cette richesse à mes enfants plus tard. Mais je ne suis pas non plus du genre à me fermer. Certains des jeunes Turcs de banlieue que je connais se sont fermés sur eux-mêmes, sur leur famille et ne cherchent pas à voir plus loin. Je n’aime pas cela. »

Ce qui est frappant chez les immigrés turcs, c’est le large réseau associatif qu’ils ont su tisser. Beaucoup de ces associations se sont construites sur la base des villes et villages d’origine des populations turques immigrées. Les parents d’Özge se rendent tous les week-ends dans l’association de leur village natal, qui se trouve à Garges-lès-Gonesse, dans le Val d’Oise. « Là-bas, ils retrouvent des amis qui viennent de la même région qu’eux. Ils mangent des spécialités turques, discutent, jouent aux cartes. Moi, j’y vais rarement mais mes parents y sont tous les week-ends », raconte Özge.

Le regard qu’ont ces jeunes sur l’immigration de leurs parents est douloureux. Zehra a « du mal à accepter leur échec, suite à leur incroyable effort ». « Il est très difficile de s’exprimer sur ce sujet, affirme Abdelaziz. Mes parents sont venus ici par souci économique. Mais je respecte les sacrifices qu’ils ont dû faire pour préparer un avenir meilleur à leurs enfants, en quittant leurs pays d’origine, leurs famille, leurs mode de vie, leur culture… C’est un sacrifice énorme, qu’il ne faut absolument pas oublier », poursuit-il, ému.

Quant à Özge, venue en France assez tard, elle se rappelle les difficultés qu’a éprouvées sa maman à son arrivée en France : « Les deux premiers mois, elle pleurait souvent. Mais c’est une femme forte. A chaque fois que c’était difficile pour mon frère et moi, elle nous disait de nous accrocher et surtout de réussir nos études. »

Zehra et Sarah envisagent de s’installer en Turquie. Une idéalisation de leur pays d’origine? En tout cas, c’est la preuve que les liens qui unissent les populations immigrées turques en France et la Turquie sont forts, au point que certains de ces jeunes décident d’y aller vivre. Özge, qui y a vécu jusqu’à 13 ans, et qui n’a pour l’instant pas pu y retourner, rêve du jour où elle retrournera au pays : « La première chose que je ferai, je respirerai un bon coup et je me dirai : enfin, j’y suis ! »

Nassira El Moaddem

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