En arrivant sur le lieu de rencontre, on a plus l’impression d’être dans le Berry que dans le 9-3. L’ambiance est champêtre : distribution de radis tout juste sortis de terre, femmes déguisées en légumes de toutes sortes. Parfait décor écolo pour bobos parisiens en quête de politique-nature. Mais ne soyons pas mauvaises langues, l’endroit est agréable : un chapiteau façon cabaret, des tables bien disposées, une lumière tamisée, un écran géant, des gens accueillants. Très loin des atmosphères guindées des traditionnels rassemblements politiques. « Le 9-3 refait le monde » : tel est le slogan de cette soirée organisée par Europe-Ecologie dans le cadre de sa campagne européenne. Après quelques tirages de portraits et des serrages de main, José Bové nous rejoint pour l’interview.

Le Bondy Blog : Monsieur Bové, ça va peut-être vous paraître bizarre comme question, mais on vous voit souvent à la télévision dans de grosses actions, mais on a dû mal à savoir ce que vous faîtes dans la vie ?

Eh bien, j’ai 55 ans et j’habite dans le sud de la France, sur le plateau du Larzac. Je suis paysan, j’élève des brebis et je fais du fromage. Cela fait plus de 35 ans que je fais ce métier et en tant que paysan, j’ai participé à la création de la Confédération paysanne, un syndicat qui défend les petits paysans et qui lutte contre l’agriculture industrielle. Depuis, on a créé un syndicat au niveau international, Via Campesina, où on défend le droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des peuples à se nourrir avec leur propre agriculture sur tous les continents. C’est une bataille que l’on mène depuis longtemps contre les multinationales qui exportent les surplus des pays riches et qui profitent de l’agriculture des pays du sud. Voilà, ce que je fais en tant que paysan et voilà un peu mon métier de paysan et mon engagement syndical.

Le Bondy Blog : Le monde paysan, quel rapport avec le 93 ? Vous faites un petit peu extraterrestre, ici.

Ce n’est pas la première fois que je viens dans le 93; j’y ai participé à beaucoup de rencontres, à beaucoup de rassemblements de soutien aux sans papiers, j’ai fait des interventions dans les quartiers. En 2003 par exemple, on avait été les premiers à organiser un rassemblement sur le Larzac contre la marchandisation du monde avec des mouvements des quartiers. Il y avait certes le mouvement paysan mais également des organisations sociales et des milieux associatifs des quartiers populaires pour bien montrer que c’était l’ensemble de la population qui était concernée. Nous entretenons des liens depuis des années, donc ce n’est pas un hasard si je suis là aujourd’hui.

Le Bondy Blog : Justement, vous comptez mobiliser un territoire très urbain alors que vous avez une image qui est rurale. Comment casser ce paradoxe ?

Ça se fait assez facilement parce que les jeunes des quartiers me connaissent et parce que j’ai participé à un certain nombre d’actions importantes qui m’ont rapproché des gens. Quand on a démonté le Mc Do de Millau, dans l’Aveyron, ça a quand même parlé à pas mal de gens. Et puis, on a fait d’autres actions, contre les OGM par exemple. Mais on a quand même une image assez marquée dans les quartiers, aussi parce que je suis allé deux fois en Palestine et qu’en 2002, j’ai participé au bouclier humain à la mouqata’a* quand le président Arafat était encerclé par les chars (israéliens, ndlr). Je crois que c’est quelque chose qui a contribué à créer du lien pour montrer qu’on n’était pas simplement sur nos batailles à nous, mais bien sur une défense des droits des peuples, quel que soit l’endroit de la planète.

Le Bondy Blog : Pensez vous que votre personnalité d’homme de terrain puisse être compatible avec un siège au Parlement européen, au profil plus bureaucrate ?

Pourquoi, quand on parle des parlementaires, on dit toujours « bureaucrate » ? Toutes les batailles que nous avons menées sont des batailles hyper techniques aussi ! Le problème, c’est la façon dont on en parle. J’ai commencé ma première longue bataille dans les années 70, quand nous nous sommes battus contre l’armée qui voulait nous prendre nos terres. C’était une vraie bataille de terrain. La bataille contre les OGM, c’est une bataille longue, une bataille menée avec les scientifiques, avec l’Etat. Il a fallu qu’on reçoive les gens et leur faire comprendre ce qu’il se passait. Idem pour la mondialisation, il fallait que les gens comprennent ce qui était en train de se passer. Maintenant, les gens en ont conscience, car la mondialisation, c’est ce qu’on a dans notre assiette, mais c’est aussi les fermetures de postes, de services publics, là où il y a de moins en moins de personnel. Tout ça, c’est lié à la marchandisation.

Le Bondy Blog : Et vous pensez qu’à Strasbourg…

Si j’ai décidé d’aller au Parlement européen, c’est parce qu’aujourd’hui il y a une véritable exigence. Il y a à la fois des crises importantes, mais ces crises nécessitent de changer radicalement la façon de voir les choses, de changer l’économie. Il y a la crise économique et sociale, celle-là tout le monde la voit, tout le monde se la prend en pleine figure, avec le chômage et tout ça. Le problème est que si on reprend l’économie comme avant et bien on ne va rien changer. On ne va pas être capable de redonner du travail aux gens et on ne leur laissera pas la possibilité de vivre mieux. Parce qu’en même temps il y a les crises écologiques avec notamment le réchauffement climatique : le mode de vie qu’on a, notre façon de consommer ne peut plus durer. On est en train de gaspiller toutes les ressources de la planète alors soit on est capable de changer maintenant pour l’avenir de nos enfants et de nos petits enfants, de construire ce monde pour les générations futures ou alors ça va être une situation catastrophique avec de plus en plus de crises. Il va falloir réinventer une nouvelle civilisation et ça, on ne peut le faire qu’au niveau de l’Europe.

Le Bondy Blog : En gros, plus on est nombreux pour agir, mieux c’est. D’où vos venues dans les quartiers populaires.

Oui, chacun peut s’engager dans ce combat. On vient de traverser le périf’, il est complètement bouché. Qu’est-ce que c’est que ce bazar, toutes ces bagnoles qui polluent. Ce n’est pas un mode de vie agréable. Or, c’est comme ça qu’on vit dans les quartiers. Les immeubles ont été mal construits. Tout cela a crée une situation qu’il faut transformer, et si on veut être efficace, c’est au niveau européen qu’il faut le faire.

Le Bondy Blog : C’est même devenu très à la mode l’écologie, et en même temps, les gens ne se sentent pas si concernés que cela, car on a l’impression que c’est une inquiétude portée, surtout, par les élites, non ?

Je connais pas mal de gens qui vivent dans les quartiers, dans l’ensemble de la périphérie et dans le 9-3, entre autres. Prends les immeubles, par exemple, ils sont chauffés à l’électricité. Il y a énormément de gaspillage, parce que les immeubles, évidemment, sont mal isolés. Du coup, tu as des grosses factures à la fin de l’année. Ce sont des immeubles qui ont été construits à la va-vite, dont personne ne se préoccupe. Personne ne s’inquiète de ce que les gens doivent payer en consommation d’électricité. Cet argent, c’est en moins pour la famille, c’est en moins pour sortir, c’est en moins pour tout. Si on décidait d’isoler les bâtiments, si on avait un autre processus pour concevoir l’habitat, eh bien on créerait de l’emploi et surtout, on réduirait les factures des habitants. Donc l’écologie, c’est un discours de tous les jours.

Le Bondy Blog : Pourquoi les gens n’adhèrent-ils pas plus à ce discours ? Pourquoi ne se précipitent-ils pas pour voter « Vert » ?

Mais plein de gens iront voter ! Je pense qu’il faudrait que beaucoup plus de gens des quartiers se réapproprient ce discours. Et qu’on soit capable de montrer dans les quartiers qu’il y a des alternatives possibles. Les élections, le Parlement, c’est important pour changer globalement les modèles. Mais si les gens ne changent pas les choses dans leur quotidien, ça ne sert strictement à rien.

Le Bondy Blog : Vous avez cette image de « casseur de Mc Do ». Sachant que c’est quand même le restaurant le plus fréquenté par les jeunes en banlieue, ne craignez-vous pas d’être peu entendu ?

Alors tout d’abord je n’ai pas cassé de Mc Do, ni saccagé un Mc Donald’s, je l’ai démonté. On a démonté un Mc Donald’s en chantier, dont la construction n’était pas achevée. C’est pour ça qu’on l’a fait, on ne voulait enlever de travail à personne. On voulait s’en prendre à un symbole parce que nous-mêmes, on avait été pris en otage. On ne voulait pas qu’en Europe, on autorise l’importation des Etats-Unis de bœuf piqué aux hormones. L’utilisation des hormones dans l’élevage, c’est dangereux, c’est cancérigène et c’est surtout interdit en Europe, donc pourquoi on accepterait d’importer de la bouffe dangereuse qu’on ne produit pas chez nous ? Et comme l’Europe a refusé d’en importer, aujourd’hui, pour nous punir, plein de produits français sont surtaxés au Etats-Unis. Par exemple, le roquefort a été surtaxé là-bas. Comme on n’a pas pu aller au tribunal pour dire qu’on n’était pas d’accord, eh bah, on a décidé de mener une action spectaculaire. On s’était dit : « Ils vont entendre parler du pays. » Et bien ça a fonctionné. Beaucoup de jeunes ont compris le sens de notre action. D’ailleurs, certains avaient trouvé une bonne formule, ils disaient : « Nous, on va plus chez Mc Do parce que ça sent  » Bové « .» Tu vois, les jeunes ont bien compris l’histoire. Et moi, je leur dis : c’est une bouffe de merde.

Propos recueillis par Nassira El Moaddem et Widad Kefti

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