A l’étage de la salle de prière du 32 rue Saulnier à Puteaux, une des femmes assises derrière moi s’évanouit. On ouvre rapidement les deux fenêtres pour faire entrer un peu d’air et on tend un peu d’eau à celle qui quelques minutes plus tard reprendra ses esprits. Il est presque 14 heures. Coincées dans quelques mètres carrés, vêtues de foulards de toutes les couleurs et de longues robes recouvrant leur corps, les femmes remplissent par vingt les cinq rangs qui s’alignent face au mur. L’atmosphère est difficilement respirable. De plus, c’est vendredi, jour de la grande prière chez les musulmans. Et en période de ramadan, l’affluence grandit.

De tous âges, les femmes écoutent attentivement le prêche de l’imam. Avant le début de la prière, une voix appelle les fidèles, en français puis en arabe, à faire des dons pour la rénovation de la mosquée. Sur le mur, une affiche remercie celles et ceux qui participent à l’effort financier pour « la maison de Dieu ».

Comme beaucoup de mosquées de France, celle de Puteaux a plus des allures de salle de prière bricolée que de véritable lieu de culte. Située dans une petite rue du centre-ville, à quelques minutes du quartier d’affaires de La Défense, coincée entre un ensemble de logements et une crèche, la salle de l’Association de la solidarité islamique de Puteaux attire toute les attentions. Trop exiguë pour accueillir l’ensemble des fidèles, depuis plusieurs années certains d’entre eux, parfois plusieurs centaines selon les jours, sont contraints de prier dehors, sur la voie publique.

Adnan, un jeune musulman de 26 ans, est un habitué de la mosquée. « Je viens ici car je travaille à La Défense. C’est le ramadan en ce moment, donc nous sommes plus nombreux à vouloir venir assister à la grande prière du vendredi. Mais tout le monde ne peut pas entrer. C’est une situation affligeante », confie-t-il, l’air dépité. Malik, lui, s’en remet à la décision divine : « Nous aurons une vraie mosquée incha Allah, et ce n’est ni la mairie ni personne qui nous la donnera. Si Dieu souhaite que nous en ayons une, nous l’obtiendrons. »

A l’extérieur, l’atmosphère est encore humide. Il a plu toute la matinée et des flaques d’eau mouillent encore les pavés. Un à un, ceux qui n’ont pas pu pénétrer à l’intérieur de la salle, s’alignent par rang de deux ou trois et posent sur le trottoir leur tapis de prière. Bientôt, ils seront plus d’une centaine à s’incliner sur le bitume de la rue Saulnier, imperturbables face au trafic des voitures, ambulances et autres véhicules de police qui passent près d’eux. La pluie a cessé de tomber durant la prière.

Un peu plus loin, debout sur le trottoir depuis le début de l’office, deux hommes, l’un en uniforme de police, le second vêtu d’un costume noir et muni d’un talkie walkie. Je me dirige vers eux. « Bonjour, leur dis-je. – Bonjour, on peut savoir pour quelles raisons vous prenez des photos ? Vous êtes journaliste ? Vous avez une carte de presse ? » L’homme en civil me presse de questions, sur un ton agressif. « Je ne suis pas journaliste, je suis bloggeuse et je suis venue voir ce qui se passe, parler aux gens. – Et vous venez parler comme ça? Pourquoi êtes-vous là ? Vous travaillez pour qui ? Et vos photos, c’est pour quoi faire ? – Je suis bloggeuse au Bondy Blog. »

Petit à petit, le ton redevient normal. « Et vous, vous êtes ? » demandé-je à mon tour… « Du commissariat de Puteaux. Vous savez, nous sommes ici présents avant tout pour la sécurité des fidèles. La salle de prière est comble et nous faisons en sorte de sécuriser les lieux. Plus de 800 personnes sont présentes et notre mission est de veiller à ce que tout se passe bien », assure-t-il.

Malik, lui ne voit pas d’un bon œil cette présence policière autour de la mosquée : « Bien sûr que cela me dérange de les voir ici. Mais ce qui fait le plus mal, c’est de savoir que des frères à l’intérieur travaillent pour eux. Par exemple, un Palestinien était venu mendier à l’intérieur de la mosquée. Quelques minutes plus tard, un policier est venu mettre la pression et nous prévenir que si des personnes continuaient à mendier aux alentours, ils fermeraient la mosquée. » En demandant le nom du policier en civil et quel poste il occupait au commissariat de la ville, je m’entends répondre : « Détaché des renseignements. »

Depuis juillet 2009, un arrêté préfectoral interdit aux fidèles de prier dans la rue. Pourtant, pendant sept ans, les habitués de la mosquée de Puteaux étaient autorisés à prier sur la voie publique et la rue Saulnier était bloquée sur plusieurs mètres par les forces de l’ordre afin de permettre à ceux restés dehors de prier tous les vendredis.

Pour Christophe Grébert, conseiller municipal Modem à Puteaux, cette décision est « un deal passé entre les musulmans de la mosquée et les autorités qui leur ont fait espérer, par l’arrêt de l’occupation de la voie publique, un nouvel endroit pour prier ». Pour l’élu d’opposition, la stratégie de la mairie vise à retarder au maximum la mise en place d’une vraie mosquée dans un quartier désormais de grand standing que l’équipe aux manettes a largement « boboïsé ».

« C’est à la base un quartier à forte population d’origine modeste et notamment immigrée. Le quartier a depuis quelques années changé de visage. Les propriétaires des bâtiments de grand standing ne voient pas d’un très bon œil que des personnes prient dans la rue, ajoute Christophe Grébert. Si la maire, Joëlle Ceccaldi-Raynaud (UMP), ne s’est jamais exprimée clairement sur ce dossier, c’est que politiquement, elle sait le poids électoral de la population musulmane. »

Baba El Hassen, président de l’Association de solidarité islamique, souhaite souligner les bons rapports que l’association entretient avec la municipalité. « Il faut dire qu’ils nous ont beaucoup facilité les choses pendant ces sept ans », dit-il. Reste que, pour l’instant, aucune solution n’a été trouvée : si les fidèles n’occupent plus la chaussée, ils continuent à prier sur les trottoirs. Depuis déjà deux ans, l’association a déposé un permis de construire à la mairie afin d’obtenir l’autorisation d’agrandir les lieux. Le projet : ajouter quatre autres étages à l’édifice afin d’accueillir l’ensemble des fidèles. « Il y a encore des soucis au niveau de la sécurité et de l’accessibilité des lieux. Nous sommes en train de voir cela. Tout ceci est en bonne voie », affirme, optimiste, Baba El Hassen.

Un autre projet qui était en discussion a avorté. Un local de près de 1000 mètres carrés, situé près de là, rue Jean Jaurès, devait abriter une mosquée. « Le propriétaire nous avait donné un mois avant la signature de l’acte de vente. Quelques jours avant la fin de l’échéance, il nous a appelés pour tout annuler. Plus tard, il nous a révélé avoir eu des pressions, mais sans nous dire leur origine », confie Mohamed El Madani, secrétaire de l’Association.

Quant au terrain vague de la rue Victor Hugo, il devrait être prêté par la municipalité, jusqu’à la fin de la rénovation de la mosquée rue Saulnier. En attendant, les fidèles restent suspendus à la réponse de la mairie de Puteaux sur l’autorisation de rénovation de la mosquée qui continue de récolter les dons : plus de 540 000 euros jusqu’à présent pour un projet estimé à environ 2 millions d’euros.

Christophe Grébert déplore cette situation : « Cela fait des années que les musulmans de Puteaux attendent d’avoir un lieu de culte digne de ce nom. La mairie les balade en permanence. Plusieurs projets étaient dans les tuyaux et ils continuent à devoir prier à même le sol. Les communautés chrétienne et juive ont leurs lieux de prière, je ne vois pas pourquoi on n’en donnerait pas aux musulmans. La maire a même contourné la loi pour subventionner les 7 à 8 millions d’euros qu’a coûté la construction de l’Association culturelle et cultuelle israélite de Puteaux (l’ACCIP). Le deux poids-deux mesures n’est pas normal et est surtout dangereux. L’ostracisme envers une religion est inacceptable et une solution doit vite être trouvée », proteste l’élu local, battu aux municipales de 2008. 

Les riverains semblent s’être fait une raison de cette situation, comme Pascal, propriétaire d’un garage rue Saulnier : « Evidemment que nous sommes gênés, précise Pascal. Lorsque la rue était complètement bloquée, j’ai perdu des clients et encore aujourd’hui, lorsqu’ils prient dans la rue le vendredi, on est un peu gêné mais c’est surtout pour eux que cela doit être le plus difficile. Ce n’est pas normal qu’ils aient à prier à même la chaussée. Je répare les véhicules de beaucoup des fidèles et notamment de M. Baba. Nous nous entendons bien mais une solution au problème serait bonne pour tout le monde », ajoute-t-il.

Michel, lui, habite la rue depuis des années. Il a vu certains des riverains partir. « C’est normal, dit-il. Ils n’en pouvaient plus. Il y a même eu des pétitions qui ont été signées. Cette situation est gênante au niveau du bruit, de la circulation. Les gens ont du mal à garer leur voiture. Et si un jour un incendie se déclarait, les dégâts seraient considérables. Cette situation dure depuis trop longtemps et j’espère qu’une solution au problème sera vite trouvée. Mais je suis sceptique sur le projet d’ajout de plusieurs étages. Ils sont déjà 1300 selon la mairie. Après la construction, ils seront forcément plus et le même problème se posera, car le bâtiment ne sera pas assez grand. Ce qu’il faut, c’est un vrai et grand espace capable d’accueillir tout le monde. »

Mohamed El Madani admet les excès : « J’ai toujours dit que l’on abusait et je le redis : on abuse ! Par exemple, lorsque l’on mettait des baffles dehors, je n’étais pas d’accord et je l’ai dit. Et évidemment que les gens se sont plaints à la mairie et c’est normal, je les comprends. » Le jeune secrétaire de la mosquée se veut philosophe : « Nous devons nous dire qu’il y a cent ans, les musulmans de ce pays n’avaient même pas de salle de prière et dans cent ans, il y aura de belles mosquées. Tout se joue aujourd’hui et c’est à nous de le faire. »

Nassira El Moaddem

Nassira El Moaddem

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