Daniel Deloit, directeur général de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ), se définit comme « un banlieusard élevé dans la périphérie d’une ville dans les corons miniers ». Il reconnaît volontiers que la question de la banlieue « nous occupe et nous a préoccupés ». Lucide, il est conscient du retard accusé par les écoles de journalisme dans l’apprentissage du traitement de la banlieue. Si les journalistes n’ont pas fait jusqu’alors « le travail en amont qui s’impose, il ne faut pas pour autant le faire vite et n’importe comment ». Et cite en exemple, la classe prépa diversité lancée sous l’égide de l’ESJ en partenariat avec le Bondy blog.

Nordine Nabili, journaliste et directeur de l’ESJ-Bondy, anime le débat et cède la parole à Nasser Kettane, patron de la radio Beur FM. Son constat est implacable. « Pas grand-chose n’a changé, on en est au même stade qu’il y a 30 ans. La banlieue est vécue comme une extraterritorialité, elle est traitée comme quelque chose d’étranger. Quand le journaliste part en banlieue c’est comme s’il allait au Rwanda ou en Pologne. »

Le directeur d’une des radios les plus écoutées par la diaspora maghrébine pointe « la passivité et la fainéantise du journaliste qui n’est pas toujours partant pour y aller. Il n’a pas le temps, il doit aller à l’essentiel, il est investi par sa rédaction sans connaissance des réalités. Souvent on y envoie une personne qui ne va pas rester, le stagiaire ou un spécialiste de l’économie. »

Nordine Nabili explique que s’il avait été galant il aurait cédé la parole en premier à Samira Djouadi, de la Fondation TF1. Sans langue de bois, elle reconnaît que « TF1 n’est pas la bienvenue en banlieue ». Originaire du célèbre 93, elle est prof de sport à La Courneuve quand elle se rend compte à quel point ses élèves ont une culture sportive développée mais inexploitée. Engagée à la régie publicitaire de TF1, elle met en place une fondation permettant à des aspirants journalistes de faire leurs gammes au sein des rédactions de TF1 tout en suivant une formation en alternance au Centre de formation des journalistes (CFJ), rue du Louvre à Paris.

Celle qui refuse l’étiquette de « Madame diversité », confie ne pas forcer les jeunes qui intègrent la fondation « à se spécialiser dans la banlieue ». Elle préfère insister sur le fait que ces journalistes pourront prêter main forte à leurs collègues en les faisant bénéficier de leurs réseaux et en leur enseignant les codes de la banlieue.

Sylvère-Henry Cissé, journaliste sportif à Canal +, partage le point de vue général. Et insiste sur le travail de fond que les journalistes doivent réaliser. Ils doivent se renseigner, solliciter quelqu’un qui s’y connaît, décrocher leur téléphone, naviguer sur Internet. Membre du club Averroès, Sylvère-Henry Cissé parle du Net comme d’un outil indispensable pour réhabiliter l’image de la banlieue. Il aimerait que des pages la présentant sous son angle positif soient alimentées pour faire contrepoids. Daniel Deloit reprend la parole et explique qu’il ne faudrait pas que la banlieue devienne une rubrique, au même titre que le sport, un élément d’étude à isoler et couper du reste de l’actualité.

Nasser Kettane enchaîne sur le thème de la stigmatisation et dénonce « la fantasmagorie de la fille en hidjab alors qu’une fille ne le met pas pareillement à Alger, en Afghanistan ou à La Courneuve ». Il n’hésite pas à mettre en cause certains reportages qui « tuent ». Nasser Kettane déplore le fait que la société considère qu’en banlieue il y’a « des voleurs, des violeurs, de l’islamisme, de la violence. Alors que c’est une communauté de vie, de partage ».

Samira Djouadi met en avant les rencontres qu’elle organise entre les vedettes de l’info de TF1 et la jeunesse de banlieue. Elle raconte que « dans les lycées, on s’en prend plein la tronche. J’emmène Harry (Roselmack) car il veut que ça change ». Motivée par sa mission, Samira Djouadi convainc les plus réticents comme Laurence Ferrari. Elle confie que Jean-Pierre Pernaut avant d’aller à Bobigny « était en panique dans la voiture ». Elle lui a rétorqué qu’elle ne l’emmenait pas « dans la jungle ». De retour, conquis, il a simplement demandé : « On y retourne quand ? » Elle espère que de retour au bureau, les journalistes tirent partie de cette rencontre.

La deuxième partie du débat réunit Edouard Zambeaux, journaliste sur France Inter, Erwan Ruty fondateur de l’agence de presse Ressources Urbaines et Mohamed Hamidi du Bondy Blog. Frédéric Boisset, journaliste pour la télévision, annoncé, ne viendra pas. Edouard Zambeaux ouvre la discussion et raconte qu’il a fait le choix de traiter des questions de banlieue. Il regrette qu’une grande radio comme France Inter n’ait jamais crée un poste dévolu à cette question. Et déplore que les journalistes se saisissent du sujet banlieue comme d’un fait divers. Le journaliste, plaide Zambeaux, doit se départir de ses idées reçues et le jeune arrêter de jouer au jeune de banlieue. Pour Erwan Ruty, l’essentiel est de ne pas prêcher des convaincus et de peser « sur les décideurs qui ont un déficit de connaissances ».

Pour Mohammed Hamidi, la solution est simple : « Il faut infiltrer les rédactions. Cela prend du temps, et ne doit pas être fait n’importe comment. Il faut prendre des gens qui ont du talent et non pas faire de la discrimination positive. » Il poursuit en faisant le parallèle avec le milieu politique. « Si c’est pour faire du Rachida Dati, ce n’est pas la peine. »

Edouard Zambeaux dénonce l’injonction implicite de faire du « positif » sur la banlieue : « On s’enthousiasme pour la moindre association de quartier, pour le moindre slammeur bidon. » Il faudrait seulement banaliser et normaliser la banlieue. Et éviter, ajoute le reporter de France Inter, de basculer du « banlieue is dangereux à banlieue is merveilleux », pour se rattraper.

Faïza Zerouala


Journalisme et banlieue: le débat
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Vidéo : Aladine Zaiane

Faïza Zerouala

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