Fantastique témoignage de Mustapha Kessous dans son journal, Le Monde. Fantastique, parce qu’il est sincère, poignant, étayé ; mais au fond, bien sûr, consternant sur le racisme ordinaire de la police, des agences immobilières, des simples gens. Elles sont inacceptables, toutes ces discriminations qu’affronte, en France, un citoyen français d’origine étrangère, et cela au moment où les Etats-Unis sont présidés par un certain Barak Obama.

Depuis deux jours, les blogueurs du Bondy Blog font circuler l’article de Mustapha Kessous et en recommandent la lecture à leurs amis. Elles et ils s’appellent Nassira, Widad, Kamel, Mehdi, Badroudine, Zineb, Mathy, Idir, Chaker, etc. Tous ont des histoires semblables à raconter et ils le font, notamment dans leurs articles.

Pour notre part, ce qui nous frappe le plus, ce sont les mésaventures de M. Kessous liées à l’exercice de son métier. Lorsque les personnes qu’il va interviewer n’arrivent pas à croire que c’est bien lui qui a demandé rendez-vous et vérifient sa carte de presse. Ou lorsque certains appellent le siège du journal pour signaler « qu’un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde ».

Et là, nous nous demandons s’il ne manque pas, à côté du témoignage de Mustapha Kessous, un petit encadré signé par la rédaction en chef de ce grand quotidien, qui dirait, en substance :

– Le Monde a décidé de publier ce témoignage pour instruire ses lecteurs sur les discriminations inacceptables dont sont victimes des citoyens français, en raison de leur origine, de leur faciès ou de leur nom.

– Le Monde reconnaît sa part de responsabilité dans l’arriération d’une partie de la société française à l’égard de ses propres citoyens. Notre journal ne compte qu’un seul « beur » parmi ses centaines de rédacteurs lequel, hélas et comme on peut le constater, essuie les plâtres. Néanmoins, Le Monde s’engage à banaliser les signatures « issues de la diversité », parce qu’un journal comme le nôtre se doit d’être à l’image du pays qu’il décrit et qu’il renseigne.

Ce serait trop demander ?

Moustapha Kessous raconte son reportage en juillet 2004 sur l’île de la Barthelasse, près d’Avignon. En vérité, il était alors en CDD au sein de ce vénérable journal et a été rappelé en novembre 2005 lorsque le Monde a eu besoin de « couvrir » les émeutes qui avaient éclaté en banlieue. Et c’est alors qu’il a fini par être vraiment engagé.

Que l’Assemblée nationale ne soit pas représentative de la diversité française est en soi un scandale, mais il s’agit là d’une machine lourde, qui passe par l’appareil des partis politiques et les arguties de chaque circonscription électorale. Mais que de grandes rédactions comme Le Monde, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, L’Express ou Le Point, qui se doivent d’éclairer les choix publics et sont sensés se situer aux avant-gardes des tendances sociales et politiques, n’emploient qu’un seul, voire pas du tout de journaliste issu de la diversité, n’est-ce pas un scandale plus grand encore ?

Bien sûr, il y a en France tout un système qui conduit les individus à pouvoir frapper à la porte d’un grand journal. Ce système passe par les écoles de journalisme, lesquelles ne retrouvent bien souvent parmi leurs élèves que des profils semblables, de génération en génération, parce que s’il y a une chose qui marche parfaitement dans ce pays, c’est la reproduction des élites. D’ailleurs, la majorité des étudiants des écoles de journalisme sont issus d’autres grandes écoles, comme Sciences-Po.

C’est pourtant en train de changer : la chaîne TF1 est venue piocher quatre rédacteurs du Bondy Blog, et la plus ancienne et l’une des plus réputées de ces écoles, l’ESJ Lille, a mis en place cette année, avec le Bondy Blog, une classe de « prépa » destinée à accompagner vingt étudiants issus des quartiers défavorisés jusqu’aux concours d’une douzaine d’écoles de journalisme, au printemps 2010. 

L’antenne de Bondy de l’ESJ a d’ailleurs été inaugurée la semaine dernière, dans la relative indifférence des autres médias (reportage publié dans Libération du 21 septembre). Si tout se passe comme prévu, cette première volée se retrouvera sur le marché du travail à la rentrée 2012. L’objectif de l’opération, financée par les pouvoirs publics et quelques mécènes éclairés, est de faire fonctionner l’ascenseur social pour des étudiants qui le méritent mais aussi d’œuvrer pour la diversité au sein des rédactions françaises. Si toutefois certaines rédactions ne voulaient pas attendre la rentrée 2012 pour se diversifier, qu’elles sachent qu’il existe déjà, en France, de nombreux profils d’excellents journalistes issus de la diversité !

Serge Michel, président du Bondy Blog
Nordine Nabili, directeur de l’ESJ Bondy

Serge Michel

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