Le 14 septembre, une tchadienne de 51 ans s’est rendue à la préfecture du Mans pour renouveler son visa touristique. Elle est atteinte dans sa santé. En sortant, elle a été interpellée par des policiers en civil puis placée en centre de rétention à Rennes. Haou N’Gallou-Bassou est en France depuis fin mars. Elle souffre, depuis dix ans, d’un trauma cervical qui provoque des tremblements. Sa fille Nicole, mariée à un Français depuis neuf ans, a voulu que sa mère se fasse soigner en France, « car au Tchad il n’existe pas de traitement pour cette maladie. Celui que les médecins tchadiens lui ont prescrit est totalement incompatible avec son état de santé. »

Dès l’arrivée de sa mère au Mans, Nicole a pris les devants en contactant la préfecture pour renouveler le visa car celui-ci n’était valable que pour deux mois, jusqu’à fin mai. C’était le 3 juin : « L’administration nous a délivrés un récépissé de demande de rendez-vous pour que maman puisse circuler sans contrainte. Mais la demande de régularisation pour raisons de sante, elle, a été malheureusement infructueuse. Ma mère a reçu une notification de refus avec obligation de quitter le territoire. »

Nicole décide de prendre un second rendez-vous, le 14 septembre, donc. Elle adresse également un courrier au préfet de la Sarthe, le priant de revenir sur sa décision. Elle ne recevra aucune réponse. Nous voilà le 14. Nicole, son mari et Haou N’Gallou-Bassou se rendent à la préfecture : « Nous avons été reçus par une employée du service étranger. Nous lui annonçons l’objet de notre venue. Elle consulte sa base de données. A ce moment-là nous ressentons que quelque chose ne tourne pas rond, l’expression du visage de l’employée ne laisse rien présager de bon. En quittant son bureau elle nous demande de patienter quelques instants. A son retour, elle était très agressive. Nous lui précisons calmement que nous sommes venus retirer un dossier médical en vue d’une demande de régularisation. Bien entendu, nous n’avons jamais vu la couleur du dossier. »

Pendant l’entretien du 14, Haou ne se manifeste pas. D’une part, elle ne comprend ni ne parle la langue française, d’autre part, se taire, c’est un peu dans son caractère. A 15 heures, à la sortie de la préfecture, elle marche en retrait de sa fille et de son gendre. Ces derniers, indignés du discours de l’employée, discutaient entre eux. Soudain, raconte Nicole, « j’entends ma maman m’appeler. Sa voix tremblait. Des types l’encerclaient, ils étaient trois. Inquiète, je m’avance vers elle et là, j’ai compris. Toute cette situation me paraissait plus claire. Maintenant, je peux dire qu’il y a un lien entre le moment où l’employée de la préfecture à quitté son bureau et l’interpellation par les policiers. »

Il se serait agi d’un « contrôle inopiné », d’après le secrétariat du préfet. Les policiers avaient reçu quelques jours auparavant le signalement d’une femme tchadienne âgée d’une cinquantaine d’années en situation irrégulière.

Pour Alain Ifrah, avocat au Mans, qui n’est pas en charge du dossier, précise que cette affaire soulève des points importants : « Le vrai problème est celui de la déloyauté de traitement vis-à-vis de ces gens-là. En l’espèce, la Tchadienne était persuadée d’être dans ses droits. Le problème ne doit pas être pris en termes de validité du récépissé qu’elle a reçue, mais en termes de fraude à la loi de l’administration. Juridiquement, les policiers ont commis une voie de fait, le contrôle d’identité opérée sur cette femme était inopiné, or un tel contrôle doit toujours obéir à un ordre reçu. »

Haou N’Gallou Bassou a été emmenée au commissariat de police. Sa fille a assisté à l’interrogatoire pour faire la traduction. L’état de santé de sa maman s’est aggravé pendant l’interrogatoire. « J’ai demandé aux policiers qu’il fallait impérativement la conduire à l’hôpital car elle tremblait de la tête, ce qui est mauvais signe. Ils ont refusé car ils n’avaient pas que çà à faire, c’est ce que m’a dit un policier. Ils ont finalement accepté de contacter un médecin agréé par la préfecture. Mais pour le docteur, avec 17 de tension, l’état de santé ne ma mère ne nécessitait pas d’hospitalisation. »

Selon Alain Ifrah, « au niveau de la préfecture, ce droit à la santé opposé par des personnes en situation irrégulière, est un problème d’appréciation. Tout comme le droit au travail, ce droit-là est une coquille vide. En réalité, la question qu’il faut se poser est celle de l’existence du remède et de l’accès aux soins. »

A 18h30, Haou N’Gallou Bassou a pris la direction du centre de rétention de Rennes, à 140 kilomètres du Mans. A 22 heures, Nicole décide de contacter le centre de rétention pour avoir des nouvelles de sa maman. Surprise, elle apprend que celle-ci n’y est pas encore arrivée. Elle apprendra plus tard par sa mère que la patrouille de police avait fait demi-tour pour retourner au commissariat de police du Mans, où on lui a fait signer des documents. En l’absence d’un traducteur.

D’après l’avocat, il y aurait eu un vice de procédure : « Si j’étais en charge du dossier, dit-il, je sais comment j’aurais pu faire invalider la procédure. En effet, la loi postule que doivent être mises au courant heure après heure les autorités administratives et judiciaires des déplacements et de la situation des intéressés. Je suis persuadé que ni la préfecture ni le procureur n’ont été tenus informés de ce petit aller-retour. »

L’expulsion définitive devait avoir lieu le lendemain à 16h45. Ironie du sort, le commandant de bord de l’avion à destination de Ndjamena a refusé que Haou N’Gallou-Bassou prenne place à bord l’avion, car elle avait perdu connaissance peu auparavant. Aujourd’hui, Haou est assignée à résidence.

Mimissa Barberis (Le Mans)

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