Il y a des matinées où l’on est dégouté de s’être levé. Parce que c’est les vacances, parce qu’on aurait pu traînasser au lit, s’étirer, boire un café, bouffer des tonnes et des tonnes de tartines beurrées, va-te-faire-foutre-le-cholestérol ! Mâcher, doucement. Prendre son temps. Mais non, on a préféré s’enliser dans une vague histoire de presse gratuite pour les gamins. Pour les « jeunes », pour « les 18-24 ans » plus précisément. La faute à Frédéric Mitterrand, c’est lui qui lançait, mardi, à 10h30, au ministère de la culture et de la communication, l’initiative « Mon Journal Offert ».

Conférence de presse sous les ors de la République. Les journalistes s’installent, sourient, s’embrassent. Tout le monde il est gentil et dehors le ciel n’est pas gris mais bleu anthracite. Tout le monde est beau, bien peigné, vêtements repassés. Le ministre débarque, sa troupe à sa suite. « Excusez ce léger retard », s’exclame-t-il, sans micro. Le spectacle commence piano. Mitterrand est le premier à parler, il actionne son micro.

« Les jeunes sont de grands consommateurs de médias, mais font l’impasse sur la presse qui forge l’opinion », dit-il. On a déjà plus envie de l’écouter, jeunes cons que nous sommes ! Et le ministre, mi-hilare, mi-stoïque, balance : « Oui, un nombre croissant de jeunes ne font pas le pas d’aller acheter un journal. » Pas que les jeunes aient tous un tibia en moins, non, mais ils ne font pas le premier pas, quoi. Et c’est là que Frédéric Mitterrand se goure littéralement. Les jeunes d’ici ou de là-bas, monsieur le ministre, n’ont pas tous 1,30 euro (prix moyen d’un journal quotidien) à dépenser chaque jour et il est peut-être là, le problème, non ?

Le ministre poursuit ses déclarations solennelles : « L’habitude de lecture qui n’est pas prise dès le plus jeune âge, ne s’acquiert plus non plus à la maturité. » Une franche pensée à tous ceux qui n’ont pas lu « Martine à la maison » et « Oui-Oui va à l’école » dans leur tendre enfance. Vous qui aviez fait « l’impasse » sur ces lectures enrichissantes, vous ne retrouverez plus jamais le « goût » de la lecture. Sincèrement désolé.

La proposition émerge de haut, de tout là-haut, du grand Nico ! « C’est la proposition de Nicolas Sarkozy aux états généraux de la presse que de distribuer gratuitement aux jeunes de 18-24 ans un grand quotidien par semaine pour qu’ils renouent avec la lecture », avoue Fred Mitterrand. Vous voulez qu’on répète ? C’était sûr et certain que la formule vous ferait réagir. Un titre quotidien par semaine. Oui, un-ti-tre-quo-ti-dien-par-se-maine. Le ridicule atteint là des profondeurs dangereuses. Distribuer un journal quotidien par semaine, ce n’est pas que ridicule. C’est incongru : l’actualité, c’est chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde.

Mais chez le docteur Mitterrand chaque chose à son explication. « On avait peur d’un rejet auprès du public concerné. » Ah oui, imaginez les jeunes minots assaillis de journaux. Du papier, des titres, des mots, de l’info, comme s’ils en pleuvaient. L’horreur à l’état pur ! Et Jeanne Emmanuelle Hutin, rédactrice en chef de Ouest France, associée à l’opération, de surenchérir : « Nous sommes face à une montagne. On doit dire à des jeunes qui ne lisent pas que c’est super de lire. »

Reprenons : si vous avez entre 18 et 24 ans (, si vous mettez du temps à lire un journal mais si vous rapide à réagir (parce que pour bénéficier de l’abonnement, il faut être dans les 200 000 premiers inscrits), vous pouvez alors vous ruer sur le site www.monjournaloffert.fr. Vous verrez, sur le site, si vous avez moins de 18 ans, il n’y a pas de limite d’âge inférieure. Vous recevrez donc votre titre quotidien chaque semaine, que vous aurez choisi parmi 59 titres disponibles ! Précision : dans les contrées éloignées, le quotidien-hebdo nouvellement inventé sera envoyé par la Poste…

L’audience est levée. Mitterrand se fait la malle, après avoir déclaré « Mon fils, il a commencé à lire L’Equipe ». Génial ! Et les micros d’Inter, d’Info, de France Culture, de RTL de se ruer sur nous. Nos têtes juvéniles leur reviennent. « Qu’est-ce que vous en pensez ? » On leur dit ce qu’on en pense. Ils se barrent. Une conseillère du ministère s’approche. « Mais vous êtes là en tant que journalistes, vous n’avez pas à donner votre avis à d’autres journalistes. » Peut-être. Mais ce matin, on était plus des lycéens concernés et consternés que des journalistes du BB.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Légende photo : de gauche à droite, Jean-Paul Brunier, président de l’agence Léo Burnett, Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, Jeanne-Emmanuelle Hutin, Rédactrice en chef de Ouest France et Patrick de Baecque, directeur commercial et marketing du Monde.

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