Un fond bleu. Une batterie illuminée par un projecteur. Un micro. Des instruments. Les cuivres brillent de mille feux. Un son saccadé s’échappe des baffes. Le volume explose. Le cœur fait boum-boum. Les mégots s’entassent dans les cendriers. Chance porte un chapeau, il serre la main. « Bienvenue. » C’est à l’un des étages de cet entrepôt désaffecté que le producteur et rappeur Chance Miller officie.

Les rappeurs écarquillent les yeux comme rarement. Un tel studio d’enregistrement, ils auraient pu en rêver. Justement, le rêve est sur le point de se réaliser. Quand ils se sont impliqués dans le projet Our Better Angels avec Monte Laster, ils étaient peut-être à mille lieues d’imaginer que leur musique allait retentir dans un vrai studio d’enregistrement à Brooklyn. « C’est un studio qu’il loue habituellement. Mais pour les gars, il le prête », dit Muriel Quancard, qui encadre le projet, liée aux préparatifs de la Biennale d’Harlem 2012 dont elle s’occupe.

Le bouton rouge de la caméra scintille. Ça tourne. Chance veille derrière son écran d’ordinateur, souris à la main. Les mecs entament leur chanson. Et tournent leur clip sur fond bleu. Muriel a la tête qui va se décoller, tellement elle remue. Monte va perdre un pied, tellement il tape la cadence. Première prise. « Mettez toute votre énergie, c’est le moment, allez », entend-on. Et Houssam de lancer le morceau dans un rire explosif. Seconde prise. On la garde. Même si Houssam reste sur ses gardes : « Voilà, c’est le style américain qui fait rêver. Mais on aurait préféré enregistrer un titre sur notre tour de La Courneuve, Balzac, qui va être détruite bientôt. »

Balzac. En voilà un beau nom qui retournera poussière dans quelques mois. La tour Balzac qui est devenue sujet d’étude à Pratt Institute, avant-hier soir. Les rappeurs ont projeté leur film, réalisé à La Courneuve sur leur quotidien, leur musique, aux élèves de cette école d’architecture. Ont causé à une prof. « Elle nous a parlé de son projet avec la Mairie de New York. Ça avait l’air super intéressant, raconte l’un. Elle veut mettre des grandes galeries commerciales et des espaces autour des bâtiments, à Harlem. »

Hier (jeudi), les flocons tombaient tels les étoiles qui brillent dans l’espace. Par millions. « Regarde, tellement ils sont gros, même les flocons ils sont ricains », dit un autre, les yeux à peine ouverts. Le trottoir est dégueulasse. La neige fond. Et Harlem s’éveille au rythme des râteaux qui raclent le sol.

La buée a recouvert les fenêtres du bus. Le bus 2 dévale la Cinquième Avenue. Les magasins chics défilent. De Central Park, on n’aperçoit que les branches blanches, recouvertes de neige. Tout le monde avait un New York ensoleillé dans la tête. Personne n’avait imaginé que la neige pouvait tomber comme la pluie tombe à Paris. Alors, c’est en Converse ou baskets coquettes, que les rappeurs ont plongé leurs pieds dans la bouillasse – et pleins d’autres trucs en Asse. Au moins, ils auront vu Times Square. Et même pieds nus, ils n’auraient pas hésité à y aller …

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Légende photo : dans le studio de Chance Miller.

Mehdi et Badroudine accompagnent huit jeunes rappeurs de La Courneuve dans le cadre du projet « Our Better Angels » avec Monte Laster, premier artiste qui sera en résidence à la Biennale de Harlem en 2012.

Précédentes chroniques de Mehdi et Badroudine à New York :
Les-kids-a-new-york-et-washington
Ground-zero-et-premier-pancake-2
Voile-croix-et-casquettes-en-classe-c-est-quoi-ce-bronx

mehdi_et_badroudine

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