La neige n’a pas cessé de tomber. C’est la grande valse des pelleteuses sur les avenues. Les bus sont au chômage climatique. Les écoles ont mis les cadenas sur leurs portes. « C’est snow day, aujourd’hui », annonce, les pieds enfouis dans la poudreuse, Mike (artiste qui encadre le projet Our Better Angels, avec Monte Laster, Joanna et Muriel Quancard).

Qu’importe ! Nos warriors de La Courneuve, armés de leurs soupirs (signe de « oula-j’en-ai-assez-on-marche-trop-dans-cette-ville ») et de leurs mollets flasques ont affronté la neige pour aller, vendredi, au Nord de Harlem retrouver un urbaniste et deux jeunes collégiennes du coin. On a crapahuté. On a franchi un pont qui paraissait infranchissable. On a attendu devant une station d’essence. Monte, énervé, a passé un coup de fil. « Je ne comprends pas, on nous indique pas le bon chemin ! »

Des minettes son tordues de rire face à nos acrobaties involontaires. Voici notre comité d’accueil : au premier plan, un urbaniste avec le bout du nez congelé. Derrière, deux jeunes collégiennes aux lèvres givrées, Karen et Sade. Et encore derrière, quatre tours en briques marron qui s’élancent dans le ciel brumeux-neigeux.

Le Polo Ground était un stade. Il est devenu une cité dans les années 60. « C’est comme à La Courneuve et dans toutes les cités », constate Sparte. Y’a du vrai dans ce qu’il dit. Des ressemblances existent entre le décor de La Courneuve et celui du Polo Ground. Point commun : la folie, et non la grâce, qui a touché les architectes de ces lieux d’habitation. Autre point commun : une certaine misère. Tant de gens dans ces dortoirs hyper-structurés mais mal fagotés.

Karen et Sade nous entraînent dans les allées de la cité. Des gamins s’envoient des boules de neige. Ça fuse. « On ne donne pas de noms à nos tours, juste des numéros, de 1 à 4 », dit Karen. Sade ajoute : « La première, c’est la plus dangereuse, il y a des armes et des viols là-dedans. La seconde, c’est la sienne (celle de Karen), elle a le plus lent ascenseur du monde. Et la troisième, c’est celle où les gens jettent leurs poubelles par les fenêtres. » Monte, dans un sourire narquois : « Ouais, un peu comme à la Courneuve. »

On passe devant un bâtiment bétonné. Des tôles vertes et bleues le colorent. « C’est une salle de sport qu’ils ont mise dans la cité, sans fenêtres », explique Karen. Monte à nouveau : « Ouais, comme à La Courneuve, on construit des bâtiments avec des couleurs qui tapent mais ils sont mal faits. Ça sert à rien de mettre de la couleur, vaut mieux faire bien et sans couleurs. »

L’ascenseur monte comme un éclair – il est rapide, celui-là. On atteint le 27e étage en une poignée de seconde. Karen nous conduit jusqu’à son appartement, au fond du couloir. « Rien que le couloir, on dirait une prison », remarque Dayas, l’un de nos rappeurs. L’appartement n’est pas très grand. Une lampe repose sur un napperon. Des chips. Des cookies. Des chocolats chauds pour tous. On s’installe en masse sur les canapés rouges.

« Vous, en France, vous êtes plutôt attachés à vos immeubles, dit Mike à l’attention des Courneuviens. Est-ce vous aussi (les deux New-Yorkaises), vous avez une affection pour vos tours, vos cités ? – Non », répondent-elles. « On voit des gamins de quatre ans qui se prennent pour des grands et qui dealent du crack, des gamins qui disent qu’ils baisent avec leurs nanas sur les bancs publics, on a des amies qui se sont fait violer », raconte Sade. Il y a du cauchemar dans le rêve américain. Mais ça, on le savait déjà. Ce qui compte, ce sont les rencontres avec les gens, voir, entendre, écouter.

Le cousin de Karen entre. Il a grandi ici, entre drogue et gang. On lui a promis peu parce que les écoles coutent chères. Il s’agrippe à la sienne, d’école, tel un naufragé à un radeau. Côte en vue. « Je vais bientôt avoir mon diplôme en droit. » On applaudit. « C’est pas courant, mais ça existe. C’est compliqué : rien que les inscriptions, pour une année, à Manhattan, ça coute 13 000 dollars. » Lui a choisit une école dans le Queens, il a eu une bourse. Un bien beau modèle de réussite morale et intellectuelle. Le cousin de Karen « ressemble à Craig David », fait remarquer Houssam, qui s’intéresse aussi au Rn’B sucré.

On a fini en soirée à l’université de Columbia, à Manhattan. Chance Miller, le producteur-rappeur de Brooklyn qui a réalisé le clip des mecs de La Courneuve, jeudi, était sur scène. Des mannequins ont défilé en tenue légères sur la musique. « C’était bien », juge Apo. Mais encore ?

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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