Rien ne se passe comme ailleurs. Quand on entre, elles sont déjà là, allongées sur le sofa, étendues de tout leur long. Elles rigolent. Sur un large écran, des yeux noirs apparaissent. Une lumière les éblouit, les yeux disparaissent. Et elles rigolent. L’une joue du luth. Didier Bourgoignie, le directeur du Centre Wallonie-Bruxelles, accueille et félicite l’assemblée du « premier pas vers la liberté » qu’elle vient de faire. Sans s’en apercevoir… Ici, rien ne se passe comme ailleurs. Et ça, on s’en était aperçu… 

Elles s’enflamment. Les lumières s’éteignent légèrement, jusqu’à ce que l’obscurité soit faite. Leurs corps ondulent et leurs poitrines vibrent au son de l’air qui s’échappe du luth. Elles chantent. Ici, ça commence comme ça, comme dans un mariage, comme dans une fête. Mais les mots débarquent comme des invités non désirés, instaure un froid, une gêne, un gel. Ici, les mots sont crus, les phrases sont plus fortes qu’un coup sur la nuque ou dans la gueule. Boum… Premier round. 

Elles sont quatre et tout part d’une. Adelheid Roosen, auteure et metteuse en scène, propose un remake des « Monologues du vagin », qu’elle a déjà joué à Broadway. Elle veut monter une pièce qui aura l’impact de la première, sa force et sa dureté. Elle rencontre soixante-dix femmes. Des jeunes, des vieilles. Des Somaliennes, Egyptiennes, Iraniennes, Marocaines, Algériennes. Toutes venues d’un pays où Allah est le chef de patrie.

Qu’elles portent ou non le voile, l’auteure va tenter de les mettre nu. De les déshabiller avec les mots. Les voiles glissent sur les peaux jusqu’à tomber à jamais. Elles parlent librement, dévêtues. Elles racontent, mises à nues. Elles content des instants déchirés de la vie d’une jeune fille ou d’une femme. Elles content leurs moments, ceux qui ont fait d’elles des femmes véritablement. 

Et c’est elles, les quatre comédiennes belges ou luxembourgeoises qui jouent et vivent ces douze intenses monologues. Elles parlent ou gueulent ces contes d’un jour qui marquent pour toujours. « Ma défloration », dit l’une. C’est dans un hammam. Les perles de vapeur vacillent sur les corps nus. Elle est jeune. Sa mère est là, à poil. Et des amies de sa mère, transpirantes. Mouillées comme jamais. Elle se souvient d’un cri perçant : « Ton clitoris est gonflé, tu n’es pas vierge. »

Elle ne sait même pas ce que sait. Sa vie prend un tournant, à ce moment. La virginité devient son obsession. « Qui a pu inventer ça ? Dieu ? J’ai perdu ma foi. » Elle a perdu sa foi, ses études, elle a perdu sa vie qui a coulé entre ses doigts. Et cette fois, cette première fois, quand elle a baisé : « Il y avait du sang. » En plus, sa mère avait dit n’importe quoi.      

Vierge, vierge, vierge, telle une mélodie qui se répète. Vierge, vierge, vierge. « Y’a trop de pression autour de ça. » Le seul désir d’une vierge oppressée reste l’insoutenable : « Le viol ». L’une : « Me faire violer par mon cousin était pour moi une sécurité. » Perdre sa virginité comme ça, sans avoir à se justifier, sans avoir à montrer un drap maculé. L’autre, son père l’a envoyée au Maroc à cause de quelques virages qu’elle a faits et qui ont déplu. Elle a été mariée. « J’entendais le cortège, tel un serpent dans les montagnes. Le marié est arrivé. Et dehors, 250 personnes attendaient le sang sur le drap. » Ce jour-là, ça venait pas, alors il s’est entaillé le genou pour elle. Dehors, ils étaient contents. « Depuis, j’ai fait des enfants. Et je suis libre », lâche-t-elle.

Dans le lot de nanas, il y a eu un homme. Un médecin, un vrai. Il a un chewing-gum qui s’étend infiniment pour représenter l’hymen féminin, « un voile de peau qui n’en est pas ». Et l’une des quatre comédiennes l’imite quand il dit : « L’hymen, c’est un mythe. Et la pureté de votre fille est dans son cœur pas dans son hymen. » Avec humour, le message passe. Avant de quitter la scène, le médecin dit : « Au fait, le Coran ne mentionne pas l’hymen. Mais la virginité, si : pour les filles, comme pour les garçons … » Ah oui, bien dit, on allait oublier !

Sur l’écran, des doigts mouillés caressent des lèvres maquillées. Les images, qui défilent lentement, illustrent les monologues. Celui là s’appelle Garçon Manqué, ou plutôt « Garçon sans couilles ». Quand elle arrive du Maroc aux Pays-Bas, elle voit ce bar d’homos à Amsterdam. Elle ne veut plus repartir. Elle vit avec « sa femme » librement. Sexuellement, elle fout rien dans sa chatte. « Plus jamais depuis le viol… » 

Le texte est brillant, les comédiennes palpitantes de réalisme et profonde de vérité. Littéralement troublantes. Elles jouent le drame, elles sont le drame, saupoudré d’un brin de légèreté. Elle, elle, appelle son con, « mon zèbre » à cause du rasage en forme zébré et des poils blancs. Une autre l’appelle « ma honte ». Avant d’avouer, explosive : « Ma honte a été baisée à la turque, à l’italienne… »

Et puis, dans cet océan d’hymens recousus et de virginité niquée à coups de mariages forcés, il y a des expériences. Cette première avec l’Occident. Il s’appelle « Gérard, l‘Hollandais qui ne compte plus ses conquêtes » Il pince brusquement les tétons et frotte frénétiquement le clitoris. Gérard a beau coucher partout, il ne sait pas s’y prendre… 

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

« Les Monologues voilés », d’Adelheid Roosen. Avec Jamila Drissi, Morgiane El Boubsi, Hoonaz Ghojallu et Hassiba Halabi (chants et musique). Jusqu’au 27 mars au Centre Wallonie Bruxelles (46 Rue Quincampoix 75004 Paris). 

Tarifs : 10 euros (plein), 8 euros (réduit) et 5 euros (groupe).  

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