Mercredi 15 heures, Assemblée nationale, Paris. François Asensi, député-maire de Tremblay-en-France (93), a convoqué les journalistes, pour une conférence de presse. La ville, depuis le reportage diffusé sur TF1 dans l’émission Haute Définition, le 29 mars, « Mon voisin est un dealer », est sous les feux des projecteurs. Et l’affaire n’est pas finie.

Rappel des faits. Le jour même de la diffusion, une descente de police entraîne l’arrestation de plusieurs personnes, la confiscation d’armes, de 980 000 euros et d’une importante quantité de cocaïne. Le lendemain, des bus appartenant au Courrier d’Ile-de-France, sont caillassés, les chauffeurs se mettent grève. Ils ont repris le travail, mercredi matin, au lendemain de la visite de Nicolas Sarkozy qui est venu dire que la « République ne reculera pas d’un millimètre », annonçant que tous les jours une action de police sera engagée contre les trafiquants. Entre-temps, une interview de Larsen, le rappeur tremblaisien qui a permis aux équipes de TF1 de pénétrer dans les halls d’immeubles, est publiée le 12 avril sur le Bondy Blog.

Il y accuse la chaîne et la société de production, Eléphant et Cie, présidée par Emmanuel Chain, d’avoir « bidonné » le reportage. La société dément et décide de poursuivre le maire de Tremblay pour diffamation, suite à des propos tenus sur France 5, dimanche dernier dans l’émission « Médias », où il avait évoqué « une mise en scène organisée », avec l’utilisation « d’acteurs », s’appuyant sur les propos de Larsen.

Le maire entouré de son avocat et de Monsieur Sedaminou, apparaissant dans le reportage, à visage découvert, pour témoigner de l’insalubrité des lieux et affirmer sa détermination musclée à mettre au pas ceux qui les dégradent, sont revenus sur un reportage qualifié de « racoleur », avec « un angle réducteur et caricatural », « stigmatisant » et « une posture voyeuriste ».

Pour l’édile, « Tremblay, jusque-là inconnue de bien des Français, a été assimilée par l’émission de TF1 à un vulgaire supermarché de la drogue. Elle est devenue aux yeux de tous l’archétype d’une ville dangereuse et pour ainsi dire infréquentable. » C’est « une atteinte à l’image de la ville » que le maire a décidé de dénoncer. « C’est quand même pas tout les jours, souligne-t-il, qu’un président de la République se saisit des problèmes d’une ville de banlieue, il y a vraiment un problème d’image maintenant pour Tremblay. »

Et depuis trois semaines, les exemples apportés par le maire dénotent, selon lui, des effets directs ou indirects du reportage : un tournoi de football poussin international annulé ; des scolaires se rétractant pour la représentation d’une pièce au théâtre municipal ; des jeunes Tremblaysiennes « humiliées » par leurs moniteurs de colo, qui promettent de les « tenir à l’œil » ; une baisse de la demande immobilière et des annulations de promesse de vente. « Imaginez un peu, poursuit l’élu, la réaction d’un employeur recevant le CV de jeunes de notre ville et se posant la question : « Est-ce un dealer ou est-ce son voisin ? ». »

Le maire qui a reçu une assignation au tribunal correctionnel de Paris pour diffamation, entend rendre la monnaie de sa pièce à TF1 et à la société de production Eléphant et Cie. C’est pourquoi il a décidé de saisir le CSA, Conseil supérieur de l’audiovisuel, afin d’examiner les conditions dans lesquelles le reportage a été réalisé. « Ça c’est pour le côté déontologie », affirme l’avocat du maire. Mais la ville a aussi décidé de saisir le Tribunal de Bobigny, « pour obliger M. Chain et TF1 à se déplacer en banlieue » pour violation du droit à l’image concernant M. Sedaminou qui s’estime « trahi par ce reportage », mais aussi pour le préjudice subi par la municipalité. « Non seulement on va le faire, mais on va gagner, argue l’avocat, et on va demander réparation. »

Concernant M. Sedaminou, qui affirme ne pas s’être reconnu dans le reportage et dénonce un « montage malveillant », il réclamera 1 euro symbolique par téléspectateurs, soit 4,5 millions d’euros. La mairie s’est elle « contentée » d’1 euro symbolique par habitants, soit 38 000 euros. En attendant, et face à leur assignation en diffamation, la mairie dispose de 10 jours pour fournir les éléments. Elle entend présenter le témoignage de Larsen celui de M. Sedaminou et M. Tobi, qui figure aussi dans le reportage.

Jeu du politique et du médiatique, le renvoi de balle au tribunal était des plus prévisible, pour une ville qui aspire à d’autres ambitions territoriales et qui par ailleurs, ou concomitamment, s’estime lésée par les politiques de la ville et de la rénovation urbaine. Elle envisage de porter son cas à la Halde, pour discrimination territoriale, comme l’avait fait La Courneuve auparavant, en 2009.

La première question de cette conférence est tombée à la suite des propos de M. Sedaminou. Une voie s’est élevée de la salle : « Monsieur, s’il vous plaît, qui est votre employeur ? – Non mais… vous pouvez vous présenter aussi, Monsieur », répond le maire. – Je suis le producteur de l’émission », en l’occurrence Jean-Joël Gurviez. Le maire pâlit, l’avocat se charge de la réplique : « Comme quoi le journalisme d’investigation fonctionne bien. M. Sedaminou travaille à la ville de Tremblay-en-France. Non, non ! Levez-vous, ce n’est pas terminé », dit-il au producteur qui s’était aussitôt rassis après avoir envoyé son Scud.

« M. Sedaminou travaille à la ville, contrairement à M. Toubi, qui lui n’est pas employé par la commune et qui est la deuxième personne non floutée dans l’émission, ajoute l’avocat. M. Toubi déclare avoir été abusé par la journaliste de TF1 et avoir été contacté par Larsen qui lui a proposé de participer à un reportage, sans qu’il ait été informé que ce dernier parlait de la drogue. La journaliste lui a dit qu’il s’agissait d’un reportage sur la ville. »

François Asensi ne répondra que difficilement aux questions par la suite. « Il fait chaud », « j’ai besoin de sucre ». Sa collaboratrice piaffe, « il ne s’est pas inscrit comme journaliste, il n’a pas donné sa vraie identité », dit-elle à propos de Jean-Joël Gurviez.  Il n’est pas du tout certain que les arguments exposés hier face à la presse par le maire, son avocat et M. Sedaminou,  suffisent à faire condamner TF1 et Eléphant et Cie en justice. Le maire ne nie pas la triste réalité du trafic de drogue et d’autres incivilités dans sa ville de Tremblay, mais il en veut à TF1 et Emmanuel Chain de l’avoir « scénarisée » ainsi.

Dans l’immédiat, François Asensi s’en va prendre dix jours de vacances, et les lettres d’intimidations qu’il dit avoir reçues de la production de TF1, sont un nouveau faire-valoir pour lui. Il prévient : « Je ne me tairai pas sous la pression. »

Adrien Chauvin

Adrien Chauvin

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