7 heures, mon réveil sonne, comme à l’accoutumée je négocie, je n’ai pas envie de me lever. Je suis fatiguée. Chaque réveil me fait l’effet d’un KO contre Tyson. Comme toujours, mon premier réflexe, regarder ce qui se dit sur facebook mobile. 7 heures du matin, et tous postent les mêmes liens, AFP, le monde.fr, Al Jazeera, tous convergent vers un même sujet, l’attaque du convoi humanitaire en route vers gaza et la mort de 10 à 16 civils – tués par des soldats israéliens – qui se trouvaient sur l’un des bateaux.

Je me réveille avec un mélange de tristesse et de rage. Ma mère regarde BFM TV, deux minutes accordées à ce sujet. Elle change de chaîne et se branche sur Al Jazeera. Les infos tournent en boucle, on peut y voir près de 5000 Turcs manifester. Aujourd’hui, devant ces images, je suis turque, je me sens turque. Je croise mon petit frère, « qu’est-ce qu’il se passe, j’ai reçu une alerte du monde.fr sur mon itouch ? ». Je lui rapporte les événements, énervée.

Mon sang bout en moi, j’ai l’impression que si je mangeais cru, les aliments cuiraient à l’intérieur. Je me prépare, m’apprête à sortir, et vois l’écharpe aux couleurs de la Palestine que m’avait offerte une représentante du PPP (Parti du peuple palestinien) lorsque je l’avais rencontrée en Cisjordanie. Je la prends, je ne sais pas pourquoi, mais je la prends et la roule en boule dans mon sac.

Je sors, baladeur sur les oreilles, je suis à la bourre comme d’habitude. J’ai la tête des jours qui disent : « C’est vraiment pas le moment de me faire chier. » Comme toujours, j’écoute France Info. Nicolas Poincaré prend l’antenne, il parle de l’assaut de la flottille vers Gaza. Un correspondant à Jérusalem explique que les soldats auraient été agressés à coups de hache et de couteau. Je n’y étais pas, lui non plus, mais pour avoir rencontré des soldats israéliens, je peine à croire que des humanitaires pourraient ne serait-ce que tenter de les agresser. Surtout à la hache. A la radio, un avocat universaliste s’indigne de ce qui se passe, je respire, je me sens mieux. Une simple reconnaissance du fait me fait l’effet d’un Lexomil.

J’entre dans le RER, je n’entends plus la radio. Près de moi des femmes lisent leurs magazines, des potins à droite, des cours d’esthétique à gauche, je m’en fous d’habitude mais aujourd’hui leurs lectures m’énervent. Des gens sont tués mais ce qui importe, c’est de savoir s’il y a plus de potassium dans une crème de jour que dans une crème de nuit. J’ai encore chaud, de plus en plus chaud.

Ma respiration s’accélère, j’écoute du Coldplay, ça va me calmer. « I hear Jerusalem bells are ringing. Roman cavalry choirs are singing » : Le hasard fait bien les choses, je n’ai qu’une chanson dans mon téléphone, « Viva la vida » de Coldplay. Je n’avais jamais réellement fait attention aux paroles, aujourd’hui c’est d’actualité.  L’indifference des gens m’agace, je sors mon écharpe et la met autour de mon sac. Une façon à moi de montrer mon indignation. Ma façon à moi de dire non. Ma façon à moi de dire qu’aujourd’hui, je suis palestinienne. Je vois leurs regards me scruter mais je reste indifférente, comme ils semblent l’être de ce conflit. Je descends du RER, prends le métro, en ressors arrivée à destination. Je ne tiens la porte à personne, j’en ai marre d’être une bouffonne. D’être polie avec des impolis, d’être gentille avec des ingrats, d’être courtoise avec des goujats. Personne ne me bouscule, aujourd’hui, étrange.

Les gens n’osent pas me regarder dans les yeux, je suis contente, j’ai gagné. Une phrase résonne dans ma tête, prête à servir : « Si vous n’êtes pas contents, je vous emmerde. » J’arrive en cours, je me pose devant l’ordinateur et entends mes camarades parler de qui est arrivé entre Chypre et Gaza. Leur indignation me soulage : « Ce sont des grands malades » ; « C’est juste dégueulasse » ; « C’est gratuit, aucune justification à ça »… Je ne prends pas part au débat, mais n’en pense pas moins.

L’impunité, l’indifférence et l’inertie me brûle de l’intérieur, j’implose. Le courage d’Erdogan, le premier ministre turc, me fait l’effet d’une victoire sur le ring, l’hypocrisie des autres me donne l’impression d’avoir été nourrie au Destop. Peu m’importe de savoir qui a commencé, je ne suis pas arbitre, je n’étais pas là, je n’étais pas née. Mais aujourd’hui des gens meurent sans que personne soit inquiété, et ça, c’est tout ce qui compte.

Quand certains débattent de leurs retraites à 60 ans, d’autres se battent en retraite depuis soixante ans. Les uns s’inquiètent de leurs vieux jours, les autres ne savent pas si leurs enfants termineront ce jour encore vivants. J’en ai ma claque. Si même les convois humanitaires n’ont plus droit de cité, alors je crains pour mon humanité. Des rassemblements sont prévus près des ambassades, je doute de leur utilité, tant que la communauté internationale ne prendra pas ses responsabilités, on pourra toujours crier. Cela dit, je comprends qu’on éprouve ce besoin de montrer son indignation, son soutien et sa frustration.

Mon cœur est en deuil aujourd’hui, avant d’être quoi que ce soit, je suis un humain, et cette phrase de Chehata Haroun me revient en cette sombre journée : « Chaque être humain a plusieurs identités. Je suis un être humain. Je suis Egyptien lorsque les Egyptiens sont opprimés. Je suis Noir lorsque les Noirs sont opprimés. Je suis juif lorsque les juifs sont opprimés et je suis Palestinien lorsque les Palestiniens sont opprimés. »

Widad Ketfi

Widad Kefti

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