SAMEDI. Après un été passé à essayer d’oublier la vie politique française passionnante j’ai replongé. Et pour frapper un grand coup j’ai décidé d’aller à la manifestation organisée par plein d’associations pour les droits de l’homme, vaste programme, pour protester contre, je cite, « la xénophobie ambiante », vaste programme bis. Les manif, une fois qu’on en a fait une, on les a toutes faites. A la sortie du métro, il y avait les communistes qui distribuaient des autocollants, des numéros de L’Humanité, que par humanité j’ai pris… Il y avait une foule importante très United Colors of Benetton. Vu la masse d’Auvergnats je me suis dit qu’il y allait avoir des problèmes.

Brice H. aurait fait une crise cardiaque. Mais il ne s’est rien passé, évidemment d’autres revendications se sont greffées aux revendications initiales. Des sans-papiers, des Roms, l’Observatoire national des prisons, des supporters du PSG et des gens qui passaient par là par hasard. L’ambiance du cortège est restée bon enfant. De quoi rassurer ma mère. Elle m’a toujours interdit d’aller aux manifestations. Pour elle, y aller c’est s’offrir un billet pour le cimetière, l’échafaud ou la prison. Enfance algérienne oblige, elle a toujours eu un peu de mal avec le concept de liberté d’expression. Quand j’étais une ado rebelle (dans mes rêves), j’y allais quand même. En réalité, ça m’arrangeait d’aller manifester contre Le Pen en 2002, comme ça je loupais les cours. Malin, l’année du bac…

Cette manif était une manif d’adultes. Pas de slogans qui prennent possession de ton cerveau pendant dix jours, pas de jet de pavés, ni barricades, ni pneus incendiés. Le manifestant tendance 2010 s’est embourgeoisé. Mieux encore, c’était en réalité the place to be. J’ai passé, j’ai un peu honte, une partie de l’après-midi à retrouver des amis. Ce fut bien sympathique. Même si jouer à « Où est Charlie? » dans la foule compacte n’est pas l’activité la plus aisée qui soit. J’ai certes perdu la moitié en route mais j’étais ravie d’échanger les derniers potins avec ma copine Elise, une journaliste qui en a vu d’autres, elle a fait des reportages en Irak et à Gaza. On a un peu fait les blasées de la manif et finalement on a discuté cuisine. Comme des vieilles dames. Mais comme on reste des rebelles dans l’âme, on a eu un gros litige sur la tarte au citron. Je déteste, elle jure faire la meilleure au monde.

DIMANCHE. Ça y est, c’est la rentrée, c’est officiel. Dans les rayons des magasins les trousses Barbie et l’agenda High Scool Musical trônent en bonne place. Mais c’est aussi le moment de l’année où l’on prend les résolutions qu’on n’a pas tenues en janvier. Moi, pour que je respecte mes résolutions, vu le peu de volonté qui m’habite, il faudrait que je les ai écrites sous contrôle d’huissier et qu’un notaire ait validé le marché entre moi et moi-même et que le tout paraisse au Journal Officiel. Mais je ne désespère pas.

Comme tout le monde, j’escompte toujours me rendre chaque semaine à la piscine pour perdre les 38 kilos pris cet été. Bon d’accord, trois maximum d’après mon entourage. Mais je me méfie, c’est comme pour les manifs, y a toujours divergence sur les chiffres. Mais le mieux c’est que j’ai décidé de devenir ponctuelle (j’entends déjà mes amis rire lorsqu’ils liront cette phrase, la promesse d’ivrogne n’a jamais aussi bien porté son nom). Et mieux organisée et surtout super active.

Fini l’ode à la glande qui constitue une grande partie de mon œuvre. Mais j’ai vraiment foiré mon coup. Pour cadrer avec mes nouvelles résolutions, je me suis dit que je n’allais pas passer un énième dimanche en mode moisissure. J’ai décidé de répondre positivement à une invitation à dîner chez ma sœur avec des amis. Ce qui me permettait de faire ce que je fais le mieux dans la vie, être une invitée. Ça voulait dire aussi entretenir mon poids d’un quintal par un dîner 100% matières grasses. Et une résolution non tenue, une!

Pourtant, la journée s’écoulant, la motivation s’envolant, la perspective de prendre le métro pour traverser Paris m’a paru être une tâche ardue au-delà de mes forces. J’ai manœuvré en sous-main pour que ma sœur décide de venir à la maison. Comme je maîtrise parfaitement le manuel du chantage affectif, j’ai argué du fait qu’on ne pouvait décemment laisser notre mère dîner seule parce que c’était mal, qu’elle ne nous avait pas élevées comme ça, et qu’elle travaillait beaucoup, et qu’il lui fallait un peu de joie dans sa vie, et comme nous sommes de gentilles filles nous nous devons de lui offrir cette joie. Et, argument massue, ma mère se languit de son unique petit-fils qu’elle n’a pas vu depuis au moins une semaine. Gagné, toute la tribu se téléporte et moi je peux accueillir tout ce beau monde en pyjama ou presque…

LUNDI. C’est ma journée de joie. Une fois n’est pas coutume, tout se passe bien et même mieux encore. J’aimerais bien m’étaler plus longuement mais on m’a toujours dit que le bonheur ne faisait pas de belles histoires. Bien sûr, si on creuse un peu on peut trouver quelques motifs d’insatisfactions, mais les quelques événements heureux de la journée contrebalancent les petits désagréments du quotidien. En gros, j’ai eu un cadeau que j’attendais depuis très longtemps, l’une de mes auteures préférées a sorti un livre alors que je n’attendais plus, et je suis tombée dessus par hasard.

Cerise sur le gâteau, j’ai enfin fait réparer mon ordinateur qui me donnait du fil à retordre depuis des mois. Et même que le monsieur de la CANF, comme à la télé ne faisons pas de publicité et inversons les noms de marques, a été gentil et aimable. Il n’a même pas soufflé quand je lui ai posé plein de questions de néophyte. Après ces heureuses pérégrinations, j’ai réussi à rentrer super vite chez moi alors que la grève avait déjà commencé dans les transports. J’ai failli dans un élan de félicité intense devenir sarkozyste et penser que « Désormais, quand il y a une grève en France personne ne s’en aperçoit ».

MARDI. Visiblement l’heure est grave. Il se murmure que nous serions dans la panade, nous autres, la jeune génération sacrifiée sur l’autel du bien-être des baby-boomers, et que nous n’aurions pas de retraite digne de ce nom. A dire vrai, il faudrait déjà avoir un travail digne de ce nom pour songer à s’arrêter et à profiter de la vie. Enfin, profiter, quand on a une misérable retraite de 600 euros, je ne suis pas sûre que ce soit le premier mot qui vienne à l’esprit.

Bref, moi en pessimiste devant l’Eternel, je me suis conditionnée à travailler jusqu’à mes 102 ans environ. Ben oui, j’ai fait plein d’études ma foi très intéressantes, gratifiantes sur le plan intellectuel mais qui ne valent pas tripette sur le marché du travail. Convertir un master d’histoire contemporaine en espèces sonnantes et trébuchantes quand on ne veut pas être prof requiert des compétences d’alchimiste que je ne possède hélas pas. Peut-être une idée à étudier. J’aimerais bien avoir un master en alchimie.

Oui, je fais partie de la tribu des accros aux études. J’ai pris perpète puisque je viens d’écoper de deux ans d’étude supplémentaires, en journalisme cette fois-ci. Hourra ! Comme les mioches, je vais faire ma rentrée avec un joli cartable Dora l’Exploratrice. Pour le cartable je plaisante. Ce qui est indécent ,c’est l’âge auquel j’entrerai enfin sur le marché du travail. Tanguy sort de ce corps!

Alors pour moi, arrêter le labeur à 67 ans au lieu de 65, pour la retraite à taux plein, c’est presque le luxe absolu. Mon seul espoir ce serait que naisse un trafic d’années de cotisations, un peu sur le modèle du trafic d’indulgences. Je ne suis donc pas aller manifester mais par principe je soutiens toutes les revendications estampillées « c’est la lutte finale » pour la sauvegarde des acquis sociaux. Il y en a un qui a une drôle de conception du terme « acquis social », c’est François-Marie Banier, le fils adoptif le plus célèbre de France, et photographe à ses heures qui a été vu à la manif. Je ne savais pas que recevoir des dons d’une mémé en mal de compagnie était un acquis social.

MERCREDI. L’UMP a le sens de l’euphémisme. J’ai pour ma part toujours détesté les euphémismes : « technicien de surface », « issu de la diversité », « personne de couleur ou de petite taille ». Appelons un chat un chat sinon on ne s’en sort plus. Pour deviner le sens de ces expressions très politiquement correctes, il faut être le roi du rébus. Le plus grand parti de France n’a peur de rien. Alors que le Woerthgate n’en finit plus et qu’Eric W. refuse de battre en retraite, si on était aux Grosses Têtes, on pourrait faire un jeu de mot pourri type « Ahahaha le comble pour le ministre chargé du dossier des retraites ». Mais on ne le fera pas, on a une dignité.

Eric W., donc, galère à se défaire des policiers. Pourtant le Eric c’est pas Mesrine, mais bon. Des gentils policiers ont réalisé une perquisition au siège parisien de l’UMP. Qui dit perquisition dit contraire d’une visite de courtoisie. On imagine tout de suite des flics avec des brassards orange qui défoncent la porte à coups de pied, gyrophares et sirènes hurlantes dehors, en criant « FBI ». Des tireurs d’élite sont postés sur les toits. Je suis sûre que je ne suis pas loin de la réalité. Tout ça pour trouver LA lettre prouvant que celui qui était ministre du budget a bel et bien intercédé en faveur de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane B., pour qu’il obtienne la Légion d’honneur. C’est vrai que gérer des montagnes d’euros fait mériter cette distinction. Mais le site officiel de l’UMP, plutôt que de perquisition, préfère parler de « demande de renseignements ».

Bientôt un concours va être lancé pour rebaptiser des concepts pas très glorieux comme celui de garde à vue. Je propose « entretien cordial avec un membre des forces de l’ordre en tête-à -ête pouvant se transformer en main à tête ». Mais ça va être difficile de battre Brice Hortefeux avec son Arabe transformé en « Auvergnat ».

JEUDI. Il m’est arrivé un truc incroyable. Je suis arrivée à l’heure à un rendez-vous. Pour vous, ça n’a l’air de rien mais pour moi c’est un événement digne de l’élection de Mitterrand en 1981, de la découverte de la pénicilline, de l’invention du brushing ou des premiers pas de l’homme sur la Lune. Il faut dire, je le répète souvent, que je suis une retardataire pathologique. Impossible d’arriver à l’heure même si le rendez-vous se déroule à exactement deux minutes de chez moi. Je sais, c’est mal et pas très respectueux.

Deux écoles s’affrontent dans mon entourage. Ceux qui me donnent un rendez-vous et arrivent sciemment en retard d’une bonne vingtaine de minutes afin d’être sûr de ne m’attendre que cinq minutes. Et ceux qui attendent patiemment tout en rongeant leur frein et me maudissant pendant ce laps de temps. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais le temps défile à toute vitesse lorsqu’on est pressé.

Dans ma prouesse du jour, j’ai été aidée par les circonstances. L’amie que je devais voir m’a envoyé un message avant que je ne le fasse pour la prévenir de mon retard. Du coup j’ai fait comme si je n’avais pas été en retard et j’ai joué la fille compréhensive « Pas grave, je t’attendrai ». Je suis donc arrivée en retard d’exactement huit minutes mais en avance par rapport à elle. Les conventions sociales commandent qu’on ne se plaigne pas lorsqu’on attend quelqu’un. En une demi-heure, il a plu, on m’a demandé d’indiquer un trajet, de l’argent, l’heure, un renseignement, mon numéro de téléphone, mon numéro de carte bleue et mon groupe sanguin. Pour les deux derniers, ce n’est pas vrai mais ç’aurait pu. Comme je faisais le planton au bord de la rue, je m’estime heureuse qu’on ne m’ait pas demandé « C’est combien ? ».

VENDREDI. Aujourd’hui c’est l’Aïd, je suis contente je vais faire une overdose de cornes de gazelles, la contrepartie après avoir confectionné des gâteaux deux soirées consécutives. C’était « vis ma vie dans la peau d’une ouvrière d’un atelier clandestin chinois ». L’Aïd c’est aussi avoir de beaux vêtements, recevoir des gâteaux non identifiés de la part des voisins peu doués en pâtisserie, c’est passer des bons moments en famille même si parfois bons moments et famille forment un oxymore.

Cette année le calendrier lunaire est farceur puisque c’est Roch Hachana aussi. Il doit y avoir un message là-dessous. D’ailleurs, hier dans mon quartier melting -ot, en passant devant la synagogue voisine, deux jeunes garçons juifs m’ont souhaité Shana Tova. C’est idiot, je ne suis pas familière des discours à la Heal the world, le monde est merveilleux, nous sommes tous frères blablabla, mais ça m’a un peu redonné foi en l’humanité. Parce que d’habitude, comme dirait Booba (ouh là ,ça va pas mieux, ça fait deux fois que je cite ce poète) : « C’est pas la rue mais l’être humain qui m’attriste, comment leur faire confiance ils ont tué le Christ. » Qu’entend-il, par « ils » ? C’est désespérant, parfois, la poésie…

En parlant d’œcuménisme, ce matin, j’ai bien ri grâce au comique Benoît Hamon. Le porte-parole du PS a déclaré sur le réseau social Twitter, panthéon de la pensée philosophique moderne, sans démagogie aucune bien entendu, « Aïd el Fitr avec la communauté musulmane à Trappes. Chaleureux et instructif. » Oh la boulette ! Ce qui risque surtout d’être chaleureux ,c’est l’autodafé de Coran prévu par un pasteur américain. Certes, le pasteur en question Terry Jones est une véritable girouette. Brûlera, brûlera pas ? Les paris sont ouverts. Quoi qu’il en soit, la solidarité judéo-musulmane est à la mode. La preuve, Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien s’oppose à cet autodafé et rappelle que « brûler des livres religieux n’est pas bien et mine la tolérance religieuse et la paix ». Je ne suis pas sûre que l’argument « c’est pas bien » soit suffisant…

Je trouve ça triste, cette innovation made in USA. Non mais sérieusement, il ne respecte rien ce pasteur. Il fût un temps où toute manifestation obéissait à un cahier des charges très précis. On brûlait des pneus ou des barricades, nom de Dieu !

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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