« Est-ce que tu te souviens de l’enfant africain qui vivait en dessous, de ses parents raflés, des fusils de la honte qui encerclaient nos écoles, je n’oublierai jamais… Nous sommes des milliers, un fleuve extraordinaire, notre force est sublime, elle emportera tout, et s’ils essaient encore, ils se frotteront à 1000 cœurs debout ! » La chanson de Cali qui a enflammé Bercy samedi soir, a marqué Mallé.

Ce malien installé à Montreuil et arrivé en France en 2001 ne connaît quasiment aucun des artistes qui se succèdent depuis 19 heures au POPB. Mais une chose est sûre : les chansons militantes de celui qu’il désigne comme « l’homme à la chemise bleue » et qui a fait lever  le poing à des milliers de personnes, a touché en plein cœur ce sans-papiers, en grève depuis des mois. Vêtu d’un gilet jaune fluo aux initiales CGT, il agite une tirelire dans l’espoir de récupérer quelques euros pour lui et ses compagnons.

Dehors, un autre sans-papiers, africain, casquette de l’Union locale de la CGT de Bobigny, tient une boite en carton transformée en réceptacle pour sa quête. Le regard triste et fatigué, cet intérimaire dans le bâtiment fait partie du mouvement des grévistes qui luttent pour leur régularisation depuis le 12 octobre 2009. Chaque jour, il se rend au 103 rue Lafayette, devant une agence d’intérim pour obtenir des papiers qui lui permettraient de vivre et travailler dignement. Après ces longs mois de grève et de discussions de ses représentants avec les ministères de l’immigration et du travail, à peine « une vingtaine » de dossiers de régularisation de travailleurs sans-papiers seraient en cours de traitement sur les 1600 demandes déposées en préfecture.

Dispensé de payer les 30 euros du ticket d’entrée, ce trentenaire, à l’air las et désabusé, ne connaît pas non plus les artistes qui se produisent bénévolement pour récolter des fonds pour les 6700 travailleurs sans-papiers grévistes comme lui. Mais le plus important pour lui comme pour les 11 000 autres personnes présentes ce soir, est d’assister à ce « Rock Sans-papiers », organisé par un collectif d’artistes engagés aux côtés d’associations telles que Réseau éducation sans frontières (RESF) ou la Cimade.

A l’intérieur, Sinsemilia chauffe une salle très réceptive et commence le show en remerciant tous les bénévoles qui ont travaillé d’arrache-pied à la réussite de cette soirée. De petits entractes ponctuent les prestations de cette pléiade d’artistes aussi variée que Jeanne Cherhal, Cheb Bilal, Tryo, Reda Taliani, Clarika, No One Is Innocent, Abd-Al-Malik, les Têtes Raides, Emily Loizeau, Soan ou Oxmo Puccino pour ne citer qu’eux. Pendant ces pauses, des films diffusant des témoignages de sans-papiers ou d’enfants de sans-papiers vivant dans la hantise de l’arrestation puis de l’expulsion de leurs parents soulèvent des tonnerres d’applaudissements solidaires.

En revanche, quand apparaît le visage de François Chérèque sur les écrans géants, le leader de la CFDT déclenche l’ire du public : les sifflets et les « bououhhhhhhhhhh » font un boucan d’enfer. Le petit film avec le message du CGtiste Bernard Thibault se fait un peu moins huer, mais tout de même : sale temps pour ces syndicalistes à Bercy. Aucun groupe ou artiste n’est lui boycotté : qu’il chante du raï, du rock ou de la chanson réaliste, chacun est acclamé et récompensé pour les bonnes « vibes » qu’il renvoie à la foule…

Mais celui qui fait chavirer Bercy dans la folie festive, c’est sans conteste le survolté Didier Wampas : son pantalon doré moulant, son collier à fleur mais surtout ses délires scéniques déchaine un public tordu de rire. Jane Birkin, elle, a en charge le karaoké géant sur l’air des Petits Papiers écrit par Serge Gainsbourg. L’énigmatique Nosfell, lui, se confie un peu : « Si mon père n’avait pas eu droit à ses papiers, je ne serais pas là pour jouer devant vous ce soir. »

Des « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » jaillissent d’un coin ou l’autre de la salle et sont repris immédiatement en chœurs par des milliers de gorges enthousiastes. Le clou du spectacle : l’arrivée sur scène de tous les artistes pour lire leur Appel du 18 septembre. Avant cela, le réalisateur Tony Gatlif vide ses tripes en direct pour crier sa révolte et défendre la cause des Tziganes qu’on appelle parfois aussi les Roms avant de tomber dans les bras de Jane Birkin.

Minuit et demi : les fans de Jacques Higelin jubilent quand débarque enfin leur idole à l’énergie et la coupe de cheveux adolescentes. A cause des tributaires des derniers RER, Bercy commence à se vider, à son corps défendant, d’un public visiblement rasséréné et ravi par cet entre-soi festif et militant. Sur le départ, une belle jeune femme vivant à Clichy-sous-Bois se déclare enchantée par l’expérience : « L’ambiance était vraiment très chaleureuse. Ça fait du bien. Je regrette juste qu’on n’ait pas beaucoup vu de sans-papiers. J’aurais aimé qu’ils puissent s’exprimer sur scène aux côtés des invités. Et même dans la salle, j’en n’ai pas vu beaucoup. Mais bon, les artistes ont donné ce qu’ils avaient à offrir, leur talent et leurs chansons. Et c’est déjà bien qu’ils l’aient fait. J’ai passé une très bonne soirée ».  A la sortie et dans les couloirs de Bercy, les sans-papiers des piquets de grève, avec leurs tirelires et leurs boîtes à offrandes, sont toujours là.

Sandrine Dionys


Rock sans Papiers
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