SAMEDI. J’adore les mariages. Ça casse le mythe, je sais. Mon passage devant Monsieur le Maire est mal engagé. Alors je vis le bonheur par procuration. Je déplore d’ailleurs d’assister à si peu de cérémonies où l’on se promet pleins de choses comme dans les films, jusqu’à ce que la mort nous sépare. Cet été, j’ai même songé à monter une entreprise d’incruste dans des mariages auvergnats.

C’est facile, il suffit de se présenter dans une salle des fêtes un samedi soir, bien habillée, avec pleins de bijoux en or façon Barracuda, maquillée comme un camion volé, et de dire : « Bonjour, je suis la sœur de Karim, la fille de Mohamed, la sœur de Nadia. » Personne n’ira vérifier, il y a toujours un Karim, un Mohamed et une Nadia dans une histoire qui implique une famille arabe. Pour crédibiliser l’histoire, ajouter qu’on s’est déjà vu au mariage de Malika. Tout le monde connaît une Malika.

Je n’ai pas trouvé de complice donc j’ai renoncé. Ce soir, je suis enfin invitée. Enfin presque. Par un subtil jeu de relations, je me retrouve à un mariage comorien. La classique danse des mariés ouvre le bal. Sur « I will always love you » de Withney Houston. Les promesses d’amour éternel, on a vu où ça a mené Roméo et Juliette, Solal et Ariane, Ken et Barbie. Pourtant j’ai été émue. Enfin j’ai eu une poussière dans l’œil, quoi…

Emotion trompeuse. Comme dans mon merveilleux monde rien ne se passe comme prévu, à ma table, il n’y a que des couples. J’aime être celle qui fera basculer les convives en nombre impair. C’est officiel, je fais pitié. La petite bande avec qui je partage la soirée décide de me trouver un cavalier. J’en repère un mignon. Certes, il garde ses Ray-ban à l’intérieur mais bon, ne dit-on pas peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? Grâce à mes entremetteuses, je me retrouve ni une ni deux avec ce spécimen qui me propose un collé-serré très serré. Comme on n’est pas chez les sauvages, nous décidons de discuter. Enfin je décide et il obéit.

Et là, j’ai rencontré le vide intersidéral absolu. Je suis tombée sur un CV vivant qui semble réciter un discours prémâché avec une voix robotique. « J’ai un véhicule personnel. Je vis seul. Je ne cuisine pas, le McDo est en bas de la maison. Tu es célibataire ? » (question posée cinq fois en dix minutes, j’ai même cru que le robot buggait ).

Après sa proposition romantique d’aller s’isoler sur le parking, que j’ai déclinée à son grand regret, le Don Juan a mal vécu le fait que je ne lui donne pas illico mon numéro de portable. Une crise plus tard, je flippe. Et écourte la discussion sans demander mon reste. Mes amis commençaient déjà à réunir l’argent de ma rançon. Ils sont hilares de voir que le courant n’est pas passé. Normal, le jeune homme en question est plombier, pas électricien. Et moi je passe la soirée à guetter afin d’être sûre que l’éconduit est bien distant d’au moins cinquante invités. C’est un bon entraînement puisque il s’avère qu’il habite à deux pas de chez moi.

DIMANCHE. J’aime bien faire ma princesse. Depuis que je fréquente des gens dotés « d’un véhicule personnel », comme dirait l’autre, je prends goût à la voiture. Parce qu’il faut bien l’avouer, je suis une sans-papier. Sans-papier rose, hein, je vous rassure, que je ne me retrouve pas illico dans un charter direction Blida.

Aujourd’hui, j’ai tellement mes habitudes en voiture que j’ai décidé de passer de l’autre côté de la force en apprenant à conduire. A l’âge où on n’a plus le droit à la moindre réduction dans les transports en commun, j’ai décidé de payer mon tribut à la pollution atmosphérique. Lorsque j’annonce ce projet à mon entourage, certains tirent une drôle de tête, comme si j’allais braquer la Banque de France. Pour eux, moi au volant c’est aussi rassurant le chirurgien de Johnny Hallyday avec un bistouri ou Marc Lévy avec un stylo.

Certes, je n’y connais rien en voiture. Les seules que j’ai vaguement approchées sont les Majorettes de mon petit frère. Kit de K2000 a parfait mon éducation automobile. Et puis il se pourrait que j’aie un léger problème de latéralité. Je ne distingue pas ma droite de ma gauche (je précise que je ne parle pas de politique car comme chacun sait, il est préférable de garder du recul par rapport à ses opinions politiques). Chez moi, une instruction de GPS type « Tourner à gauche » se transforme en « Foncez droit dans le mur ».

Mes amis et ma famille ont souvent ajouté qu’ils ne voudraient pas monter dans mon corbillard : « Tu comprends j’ai un enfant/ envie de vivre/un crédit à rembourser/ un poisson rouge que je ne veux pas laisser orphelin. » Mais avant ces entrefaites joyeuses, je dois résoudre un problème de taille. Je suis malade en voiture. Aujourd’hui, après un trajet de vingt misérables minutes, j’ai cru que j’avais fait un rodéo sur un grand huit tellement je me sentais vaseuse.

LUNDI. Comme parler de politique, neutralité obligé, est défendu, je vais parler du sujet qui agite depuis hier le fameux pays qu’est la Toile. Le lapsus de Rachida Dati. Une mésaventure pareille c’est un coup à flinguer ad vitam aeternam sa notice Wikipédia. Tout le monde semble avoir eu envie de parler économie puisque la vidéo a créé une fellation, pardon, une inflation du trafic sur les sites où elle a été mise en ligne. Rachida Dati est donc encore une fois la risée de tout le monde alors que le responsable de ce lapsus est tout désigné. Je tiens le coupable (je divulguerai le nom de l’assassin de Kennedy la semaine prochaine). Je vous le donne dans le mille, le Judas à incriminer est le correcteur d’orthographe de Word.

La gentille Rachida qui a tellement souffert dans la vie a voulu préparer son intervention et a tout écrit sur son ordinateur. Mais comme cette saleté d’outil du diable n’en fait qu’à sa tête, eh bien la voilà dans la panade. Le pire, c’est qu’en plus d’être illettré, Word pratique la discrimination patronymique. Tous les noms aux consonances pas très françaises sont soulignés d’une belle ligne rouge. Inutile de vous dire que mon nom et prénom sont automatiquement les cibles de l’opprobre écarlate.

Etre une anomalie statistique (j’avais environ 2% de chances sociologiquement parlant de faire de longues études), passe encore, mais une anomalie orthographique, non ! Je propose donc que Rachida Dati prenne la tête de l’association contre la discrimination instaurée par Word. En voilà une belle cause. Sûrement plus pérenne que sa carrière politique.

MARDI. Je n’aime pas trop le monde de l’entreprise. Cela prend du temps. Lorsqu’on a la chance d’avoir un emploi du temps flexible, on peut aller prendre un café à 15 heures, aller chez le coiffeur, à la mairie, à la sécurité sociale quand on veut. Pour ces derniers, il est tout de même préférable de vérifier les horaires d’ouverture (soit du mardi au jeudi entre 10 heures et 10h15 et de 14h32 à 15h12).

Mon petit job à moi est connu sous l’amical surnom de « Pakistan », à cause des horaires élastiques, des pauses chronométrées et de la ponctualité exigée sous peine de voir ses horaires amputés d’un joli quart d’heure. En contrepartie les chefs sont plutôt flexibles. Je veux bien mener une double vie comme Clark Kent, mais à la condition que je puisse m’échapper de temps en temps. J’avais déposé une demande d’exfiltration du Pakistan qui m’avait été accordée afin d’aller à la réunion du Bondy blog. Réunion importante car on recevait du beau monde et comme j’ai déserté depuis quelques temps, il fallait bien que je me rappelle au bon souvenir de mes chers collègues. Mes espoirs de fuite ont été brisés par la chef qui avait absolument besoin de moi car je suis douée.

Je me suis dit que ma séquestration n’allait pas se prolonger et que j’arriverais ni vue ni connue à la rédaction. Voyant les heures s’égrener, j’ai même pensé à contacter Bernard-Henri Levy afin qu’il lance une pétition pour ma libération. J’ai aussi songé à simuler la crise d’appendicite ou le chikungunya (aïe ! Word !), mais j’ai eu des scrupules. Il se pourrait que la conscience professionnelle existe même dans les pires jobs – les marxistes parleraient de fausse conscience.

MERCREDI. Ce soir j’ai regardé le fameux documentaire « La cité du mâle », sur Arte. D’emblée j’applaudis le jeu de mot du titre. Tout était hélas prévisible dans les discussions. J’aurais même pu couper le son et faire du doublage, comme dans les films interdit aux mineurs (c’est pour faire genre, naturellement, je n’en regarde aucun). Cela dit, le scénario et les acteurs étaient bien choisis. Je regrette juste de ne pas avoir eu ma dose de filles voilées. C’est comme si on m’avait promis une plage de sable fin et qu’il n y avait pas de cocotiers. Il manque quelque chose sur la carte postale envoyée de Vitry.

Comme cela était un peu convenu, la réalisatrice a eu l’idée d’organiser un jeu. Mettre un bip à chaque parole vulgaire prononcée. Le téléspectateur attentif devait réussir à deviner le mot censuré. Le terme « pute » est récurrent, comme au Scrabble ce mot doit compter triple, d’où l’usage abusif que ces assassins de la langue française en font.

Comme je n’aime pas faire de procès d’intention, nous pouvons imaginer que ces jeunes hommes sont, au choix : atteints du syndrome Gilles de la Tourette, possèdent un vocabulaire minimaliste ou se sont rachidatisés, et que tout cela n’est qu’une succession de lapsus. Ils voulaient dire que les femmes sont des « buts » à atteindre. Si j’osais, j’ajouterais qu’avec les femmes, il ne suffit pas de tirer un coup pour ravir leur cœur. Si on ne veut pas s’échiner à échafauder des théories, on peut simplement conclure que ce sont des petits cons décérébrés. Tiens, mon syndrome Gilles de la Tourette me reprend.

JEUDI. L’interrogation du jour porte sur « Que dire à quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis longtemps ? ». Vous avez quatre heures. En rentrant ce soir, j’ai croisé l’une de mes copines de l’école primaire. Sur le papier, le concept « Place des Grands hommes » de Patrick Bruel, avec son « On s’était dit rendez-vous dans dix ans, même jour même heure même pomme. On se verra quand on aura trente ans… », c’est séduisant. Mais dans la vraie vie, c’est très bizarre, les retrouvailles. Une fois que l’une des deux personnes a dégainé l’entrée en matière façon ancien combattant « alors tu deviens quoi ? », rebondir s’avère compliquer.

Notons qu’aucun n’ose jamais dire : « Ben écoute, moi, je sors de cinq ans de prison parce que j’ai tué mon proxénète tchétchène à coup de marteau sur la tête. Je suis sortie de détention car il fallait absolument que je subisse une greffe du foie. Mais bon après avoir été pris en otage par la CIA alors que j’étais membre d’Al-Qaïda et après avoir vaincu l’alcoolisme, je me dis que ça aurait pu être pire. » Chacun, bien entendu, a une vie merveilleuse sponsorisée par la famille Ingalls et l’ami Ricoré. Et fait un métier « passionnant ».

J’ai donc croisé dans le métro ma copine de l’école primaire. Elle est en train de devenir médecin. C’est dur de rivaliser avec ça. J’ai failli lui dire que je faisais un reportage au Pakistan, ce qui est une demi-vérité. Je suis perfide mais cela m’a fait plaisir de la voir. Elle me rappelle le temps où j’étais sociable, où j’aimais les gens, où j’apprenais péniblement à lire sur Ratus. C’était le temps des robes qui tournent, de l’élastique dans la cour de récré, des goûters d’anniversaire, des cartes de membre du Club Barbie (ma frustration éternelle, ne jamais avoir été membre). J’arrête de faire du sous-Proust parce que de toute façon, ma Madeleine, c’est un gâteau au yaourt tout pourri et aux pommes, que je déteste.

On s’est observées quelques instants avant de se parler. Nous avons toutes les deux hésité à opter pour la technique de « je ne t’ai pas reconnue alors je ne suis pas obligée de te parler ». Une technique peu glorieuse mais qui évite de dérouler son CV et d’être une publicité vivante pour « viederêve.com ».

VENDREDI. L’affaire du jour agite le merveilleux monde du dopage, je veux dire du cyclisme. Alberto Contador, vainqueur du dernier Tour de France, aurait triché. Oh ! Comme c’est étonnant. Un homme qui gravit des montagnes à 35 km/h de moyenne sur un petit vélo sans mourir d’épuisement, si on n’est pas là en train de jouer au Playmobil, c’est suspect. Il se serait fait faire des transfusions sanguines afin de renouveler son sang.

Mes compétences scientifiques étant plus que limitées, comme le vocabulaire des jeunes du documentaire d’Arte, je m’abstiens de tout développement technique. Pour ceux qui sont intéressés il doit bien exister « Le dopage pour les nuls », préfacé par Richard Virenque. Si ce livre n’existe pas, il y a l’autobiographie de Samy Naceri « Naceri, rose, Naceri noir » qui est sortie hier pour consoler les amateurs de récits de dopage.

Je les admire, ces champions, parce qu’avoir le courage de se faire transfuser, c’est fort. Moi et les piqûres, nous sommes fâchées. Un jour une infirmière devait me poser une perfusion dans la veine. Evidemment je suis tombée sur une élève infirmière qui a mis cinq minutes à trouver la veine, qui m’a piquée au mauvais endroit, ce qui m’a procuré une douleur atroce. J’ai fait une mini-hémorragie et j’ai eu un bleu. Merci, Mademoiselle, je suis ravie d’avoir été votre cobaye. Depuis j’ai une douleur fantôme lorsque j’y pense. Alors oui, je ne pourrai jamais être cycliste. N’en déplaise à ceux qui éructent à la vue d’une femme au volant , je vais bien être obligée de le passer, ce maudit permis.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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