« Très impressionnés ! » Trois syndicalistes sud-coréens n’ont pas perdu une miette de la manifestation parisienne du 12 octobre sur les retraites. L’immense cortège qui s’ébranle de Montparnasse avec ses fumigènes, ses slogans rythmés et la Batucada maison de Sud Rail les fait s’évader tout l’après-midi. « Ah, si on pouvait avoir une grande manifestation comme ça en Corée ! » s’extasie Eui Hyuk Shim, du syndicat KMWU (Korean Metal Workers’ Union ) en remontant des lunettes rectangulaires sur son nez qui lui donnent un air docte et intello.

Retour à la réalité. Les trois hommes ne sont pas venus d’Asie pour rêvasser mais, disent-ils, pour représenter les ouvriers de l’usine Valeo Compresseur Korea (VCK), licenciés fin octobre 2009. Et ils ne décolèrent pas : « C’est le quatrième voyage d’une délégation des salariés de Valeo Corée en France. On veut être reçus par un responsable compétent du groupe en France. »

Là-bas, l’usine est toujours occupée par 80 de leurs collègues. « Cela fait bientôt un an que nous luttons sans salaire contre cette multinationale, explique Eui Hyuk Shim. Le 26 octobre 2009, on apprend que notre usine va fermer. Notre licenciement est effectif quatre jours plus tard sans que nous puissions négocier. Ces 186 licenciements ont touché 500 personnes si on prend en compte les familles des ouvriers que leur travail faisait vivre.»

« Pour nous, poursuit-il, il s’agit d’une fausse fermeture car le groupe Valeo continue de fonctionner en achetant des compresseurs au Japon et en Chine sous la raison sociale Valeo Thermal System Korea (VTSK). Leur objectif : reprendre la production via VTSK. Or il s’agit d’une autre société de Valeo mais ayant la même adresse que VCK. La liquidation de VCK était fausse. Pour nous, la direction veut engager une épreuve de force en relançant la production avec des précaires contre les anciens salariés et le syndicat. »

Eui Hyuk Shim est tendu lorsque il parle à Younglee, une Coréenne à la chevelure poivre et sel installée à Paris depuis 20 ans, qui sert de traductrice au trio durant son séjour. Il raconte que le 21 août dernier, les grévistes de l’usine se seraient fait attaquer par une milice patronale et que 16 personnes auraient été blessées.

Les trois syndicalistes, venus à Paris à l’occasion du Mondial de l’automobile, espèrent attirer l’attention sur leur situation et, grâce à leur présence dans les manifestations sur les retraites, créer des liens avec d’autres syndicats français même s’ils disent être déjà soutenus par la CGT Métallurgie. Le but premier de leur séjour sur le Vieux-Continent est d’être reçus par Valeo France. Eui Hyuk dégaine son argumentation. Il affirme que la décision de supprimer l’usine VCK a causé un grand préjudice aux travailleurs coréens et qu’une négociation doit enfin pouvoir s’engager. Deux des principales revendications portent sur l’indemnité de licenciement et sur la réintégration dans le groupe Valeo en Corée des ouvriers licenciés.

Quand ces trois émissaires repartiront-ils en Corée ? A la fin du Mondial de l’automobile ? Eui Hyuk Shim répond sans plaisanter : « Tant que nous ne serons pas reçus et entendus par Valeo, nous resterons. Nos collègues se sont cotisés pour payer notre voyage en France, nous ne pouvons pas les décevoir. » Hébergés chez un ami français syndicaliste en préretraite, Eui Hyuk dit avoir le mal du pays car ses proches lui manquent : « Mais on n’a pas le choix : ils faut lutter pour ceux qui sont restés là-bas. »

Sandrine Dionys

Sandrine Dionys

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