Vendredi dernier, nous sommes nombreux à nous retrouver « bloqués » devant le lycée Jean Renoir de Bondy, où je suis élève en classe de seconde. Ceux qui s’aventurent à vouloir passer par-dessus la grille, ont de grandes chances de se prendre un œuf sur le crâne. Comme j’aime bien ma coupe de cheveux ce jour-là, je fais demi-tour…

Samedi, suite des évènements sur Facebook. Des groupes lancent un appel : « Blocus du lycée Jean Renoir lundi 18 octobre à 7h30. Rendez-vous : devant la grille ». Des vidéos sont postées, dans l’une d’elles on voit des élèves bloquer l’autoroute A3. Je reçois tout plein de textos, du style : « Nous allons organiser un blocus national lundi 18 et mardi 19 octobre, bloquons tous les lycées, facs, collèges, universités de France. Aucun élève ne doit être en cours, aucun. Fais tourner ! » Ou, un peu plus énervé : « Si Sarko ne bloque pas cette p***** de réforme, on recommencera les mobilisations lundi, mardi, mercredi etc… Cette réforme ne passera pas si on est tous ensemble… Ecoles vides ! »

Le lundi 18 arrive, je pars de chez moi à 8 heures en me disant que j’ai peu de chances d’atterrir en salle 104 une demi-heure plus tard… Miracle, il n’y a pas un chat devant le portail. Panne d’oreiller générale ? Ma matinée se déroulera normalement. A l’heure du déjeuner, je me dirige avec une de mes camarades vers le pont de Bondy, distant de 100 mètres du lycée. La conversation tourne autour du soi-disant blocus organisé : « T’as vu, ils nous ont saoulés avec leur blocus bidon, là, beaucoup de bruit pour rien du tout ! »

A peine a-t-elle fini sa phrase qu’on se retrouve devant un mur de CRS et une foule de jeunes en plein milieu du carrefour. « Non ! Vous n’avez pas le droit de traverser », nous lance un policier. C’est pourtant un passage-piétons… Enfin bon, on ne va pas négocier pendant une heure, nous faisons le tour de tout ce monde-là pour atteindre le tramway. Nous n’avons jamais eu notre tramway et ne sommes donc pas rentrées manger chez nous. L’après-midi, une réunion est organisée au lycée pour préparer la grève du mardi, conception de banderoles, impressions de tracts…

Mardi 19, jour de grève nationale. Le bus passe, ouf ! A 8 heures, le lycée n’est pas encore bloqué, je peux donc aller en cours. Deux heures plus tard, mes cours étant terminés, je rentre chez moi. C’est du moins ce que je voudrais. Une centaine de jeunes réussissent à bloquer les routes les plus empruntées du secteur : la Nationale 3, l’autoroute et le pont de Bondy. Un hélicoptère tourne au-dessus du lycée depuis déjà une semaine, des CRS ont été appelés en renforts. En attendant mon tram, je rencontre Nora, agacée par cette histoire : « C’est plus une manif’, à ce stade, c’est un massacre ! Je me demande si tous ces jeunes connaissent vraiment la cause de la mobilisation… »

Aujourd’hui, jeudi 21. Pour une fois je ne fais pas tout à la dernière minute. J’ai le temps de prendre un vrai p’tit déj’ et n’enfile pas une basket blanche et l’autre rose. Tout roule, même le bus. En arrivant devant la grille de mon lycée, je me retrouve face à trois gaillards qui bloquent le passage. Ils nous identifient grâce à notre carte. Pour résumer : ta carte est bleu, t’es collégienne, tu peux rentrer. Ta carte est orange, t’es lycéenne, dehors ! On se retrouve donc, avec toute ma classe, devant le portail, à attendre ce qui va se passer, si ça va se débloquer…

Deux élèves de la classe nous font des signes, elles sont dans le bâtiment où l’on devait avoir cours. Comment ont-elles fait pour entrer ? Bonne question. Notre prof est descendu pour essayer de nous faire entrer nous aussi. En vain ! J’aurai donc attendu de 7h50 à 10 heures devant l’établissement. Des affiches sont collées sur les grilles : « Les jeunes dans la misère et les vieux dans la galère ». Les syndicats, de l’autre côté de la grille, tiennent une banderole : « Lycée Jean Renoir, en lutte ».

Mes pieds sont congelés, je ne peux plus marcher, mes doigts ressemblent à des mini Mr Freeze… Mais nous attendons avec toujours un peu d’espoir que ça se débloque. Tu parles, c’est de pire en pire. La police est présente pour assurer la sécurité. Mes amies et moi nous tenons un peu en retrait du groupe massé devant la grille. Une dame d’un certain âge vient nous faire part de son avis : « Vous avez raison, c’est très bien ce que vous faites parce que c’est votre avenir qui est en jeu, nous on est vieux, on va mourir. Hier j’ai même manifesté avec des jeunes de Bobigny. En tout cas, bon courage pour la manifestation, continuez, vous avez raison, faut se défendre, allez les jeunes, moi je suis avec vous ! »

Je suis rentrée chez moi, parce que je commençais à ressembler à un Esquimau…

Sarah Ichou

Sarah Ichou

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