SAMEDI. La vie me déteste, je suis vieille et je vais mourir de fatigue. C’est à peu près les pensées joyeuses qui m’assaillent ce samedi matin. La raison ? Je me réveille le cou et le dos bloqués. Banal mais gênant, surtout quand on a des velléités de vie sociale. J’en identifie la cause assez facilement. Une tendance à dormir n’importe comment, comme si j’avais la souplesse d’un enfant chinois du Cirque de Pékin. Sinon l’hypothèse de la poupée vaudou est aussi séduisante et me donne l’impression d’avoir beaucoup d’ennemis, mon côté paranoïaque de dictateur refoulé.

J’ai beau m’étirer, faire craquer mon dos rien, n’y fait. Comme je préfère me déplacer avec une canne plutôt que d’aller consulter, je décide de vivre avec ma douleur et de me poser toute la journée et la soirée devant la télé, quitte à devenir épileptique. C’est nul la télé en fait. Je ne la regarde pratiquement plus et je comprends pourquoi.

Je regarde Pékin express qui comme son nom l’indique se déroule en Inde. L’émission crée du faux suspense. Porteurs de pacemakers s’abstenir (ou pas). Les paysages me donnent envie de moi aussi prendre mon sac-à-dos sitôt le programme fini. J’ai l’impression d’être séquestrée et de ne rien pouvoir faire d’autre que de regarder la boîte à images. En désespoir de cause, je mate l’interview de Natascha Kampush par Laurent Ruquier. Le pauvre homme rame littéralement. Il a comme on dit face à lui une mauvaise cliente, qui perdrait super vite au ni oui ni non. Alors qu’il a préparé des questions élaborées qui durent deux minutes, Natascha répond «oui»,«non» ou mieux encore, rien du tout. Un long silence que Ruquier doit interpréter. Pour moi, quelqu’un qui se tait tout le temps c’est un concept aussi étrange que Céline Dion qui chuchoterait. L’interview insipide c’est l’estocade et j’abdique.

DIMANCHE. Mon mal ne s’est pas évaporé dans la nuit comme je le souhaitais secrètement. Alors je ne peux toujours rien faire, à part regarder l’émission qui fait la polémique aujourd’hui. En France s’il n’y a pas une polémique on n’arrive pas à vivre. Le fait que Jean-Luc Mélenchon du Parti de gauche (le PDG, ça ne s’invente pas) accepte l’invitation de Michel Drucker est vu comme de la compromission par celui qui n’est jamais content.

Je crains de me transformer en TV magazine géant et je flippe devant l’acte irréparable que je vais commettre. Mais secrètement je dois avouer que j’aime bien regarder «Vivement dimanche» avec le chef de fil des gens gentils alias Michel Drucker. Je ne sais pas pourquoi, il a toute ma sympathie, il a beau raconter comme un papy sénile les mêmes histoires, avoir vu tout le monde débuter. C’est limite s’il ne raconte pas qu’il n’a pas fait sauter De Gaulle, Sarkozy et Obama sur ses genoux. Quand j’ai avoué ce penchant inavouable, mes amis m’ont jeté des pierres, m’ont reniée et ont voulu m’envoyer en camp de rééducation en me faisant visionner des «Bouillons de culture» à haute dose.

L’invité est Jean-Luc Mélenchon, le mec qui hurle tout le temps, qui n’aime pas les étudiants en journalisme et qui est un peu méchant sur le canapé, rouge, évidemment du gentil Michel. C’est comme si Luke Skywalker recevait Dark Vador. Je ne suis pas assez désespérée pour tout regarder mais je remarque que Jean-Luc Mélenchon est d’ascendant pittbull, il s’énerve tout le temps. Même quand on lui passe un extrait du magnifique «Casta Diva» de Maria Callas, il s’énerve et dit qu’il n’a pas le temps d’aller à l’opéra car orchestrer le grand soir ça prend du temps. Notons que les politiques invités ont toujours des goûts intellectuellement et socialement acceptables. Personne n’avouera un penchant pour Wham ou Robbie Williams. Hélas.

LUNDI. J’en ai rêvé, la démocratie l’a fait. Je remporte une élection. L’effet Obama a frappé deux ans après les Etats-Unis, la France. Je me vois comme un symbole, je réfléchis déjà à écrire mon discours de politique générale. Un mélange de «I have a dream», «heal the world» «yes we can» «je vous ai compris» «l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire». Euh pour le dernier, je ne crois pas…

Il faut dire qu’être élue déléguée c’est une vieille frustration réparée. Ça et être élue reine du bal de promo, moi qui aurait été cela va sans dire, chef des poms-poms girls. J’aurais attisé toutes les jalousies en me pavanant avec mon cavalier, le beau quaterback de l’équipe de football. Comme il y a peu de chances que je devienne lycéenne dans une High School américaine, je me console en me disant qu’un rêve réalisé sur deux, c’est pas si mal.

J’aime bien tenir le bureau des pleurs, j’ai eu la primauté des premières revendications et c’est du lourd : des questions d’approvisionnement de papier. Mais le plus gros scandale à dénoncer reste la distribution anarchique de la machine à sucreries. Quand il ne fait pas de rétention des gâteaux, le distributeur donnerait à ceux qui commandent un Twix, un Kit-Kat et vice versa. Je vous avais prévenus du caractère explosif de cette révélation à répercuter auprès des plus hautes sphères. Je suis vite redescendue sur terre.

Si mes camarades me félicitent de mon élection comme déléguée, certains perfides, ou perspicaces, pointent les irrégularités de mon élection à la Kadhafi (il a pris le pouvoir à 27 ans, j’ose espérer que mon mandat ne va pas durer aussi longtemps…). Effectivement nous étions trois candidats. Étions car les deux autres se sont désistés sans donner de raisons. J’aime à penser qu’ils se sont inclinés devant mon talent mais je ne crois pas. Les mots de «République bananière» ont été prononcés ça et là. Ainsi que corruption et menaces. Les suspicions se portent sur mes accointances bondynoises. Je veux bien être fan de films de mafieux mais il ne faut pas fantasmer. Je découvre la jungle qu’est le monde politique. A ce rythme-là je finirai au tribunal pénal de La Haye. Je vais faire attention si j’utilise l’imprimante de l’école à des fins personnelles, à tous les coups, c’est un truc à tomber pour abus de biens sociaux.

MARDI. Aujourd’hui est un grand jour. Je dois réparer un autre manquement. Dans ce monde gouverné par les puissances de l’argent, où le capitalisme triomphe ostensiblement (on dirait un tract de feu Lutte ouvrière, oups, on me signale que ça existe encore), ce n’est pas possible de vivre sans comprendre des systèmes compliqués comme inflation (la vraie, pas au sens «datiesque» du mot), macro-économie, PIB, balance commerciale. Tout ces jolis mots qu’on voit dans les journaux qu’on fait semblant de comprendre, et même qu’on trouve tous que c’est un scandale que la France ne respecte pas les mesures du Pacte de stabilité et de croissance de Bruxelles qui préconise que le déficit ne doit pas dépasser les 3%.

Cela me rassure, nous sommes à 8%, ce qui signifie que les gens qui président aux destinées économiques de la France ne savent pas mieux compter que moi. Je fais la maligne avec mes chiffres et mon analyse économique mais ça y est, j’ai donné mon maximum. Je vous rassure, je suis une arnaque vivante. J’ai assisté à mon premier cours d’économie de ma vie. Alors que je suis pleine d’espoir et pense qu’en deux heures de cours, je vais pouvoir remplacer DSK à la tête du FMI. Il va falloir un peu plus de deux heures je crois. Pour être plus claire, je ne comprends rien. Je me demande si je ne me suis pas trompée de cours, j’attends Nelson Montfort pour la traduction. Franchement ils pourraient proposer des cours en version originale sous-titrée. Après enquête, il s’avère que le cours était bel et bien en français.

On m’a perdue pendant le cours, puis j’ai ressuscité lorsqu’on a parlé des externalités positives ou négatives. Je me suis même sentie concernée quand l’exemple choisi pour expliquer cette notion que je serais bien incapable de vulgariser pour le commun des mortels était celui du retard. D’après ce que j’ai compris, un retard de cinq minutes est donc une externalité négative car il dérange la classe, le professeur. A l’inverse un retard de 45 minutes est une externalité positive car le retardataire en interrompant le cours en plein milieu insuffle une dynamique nouvelle alors que les élèves commencent à piquer du nez. Le prof peut ainsi faire une blague sur le retardataire, lui infliger une punition, bref tout ce qui peut relancer l’ambiance dans une salle de classe. Et le prof de conclure qu’il vaut mieux arriver 45 minutes en retard que 5 minutes. Je ne sais pas pourquoi mais ce prof, je l’aime. Et l’économie avec.

MERCREDI. Je suis fan de Jean-Luc Delarue. Du moins de son inventivité. J’ai de grandes lectures : Le Monde, Libé, Le Figaro, Les Échos, l’Express, Le Point, XXI et le must du must TV mag. Dans cette pépite de la presse française, l’ex-gendre idéal pour la ménagère de moins de 50 ans, atteinte de TOC que le mari, travesti à ses heures, a quittée pour la meilleure amie de sa fille âgée de 19 ans, elle-même alcoolique, anorexique-boulimique chronique et mère de triplés, se confie après avoir franchi la ligne rouge, blanche et multicolore.

Sans mauvais jeu de mots, ça fait quelques temps qu’il est à la rue, le Jean-Luc. Mais là il promet qu’il va mieux. A tel point qu’il est persuadé d’être investi d’une mission. Propager la bonne parole contre la drogue. La drogue c’est mal. On s’en était déjà rendu compte, y a qu’à le voir. Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours du mal à imaginer JLD avec son air de premier de la classe en junkie qui va s’approvisionner dans des squats dans des coins dangereux façon Cartel de Medellin.

Pas de procès d’intention, hein, il a l’air très sincère, notre Jean-Luc le grand frère. Dans l’interview il explique même qu’il va prendre un camping-car et entamer un tour de France et dormir dans son camping-car s’il ne fait pas trop froid… Ouahou ! Quelle abnégation ! Je me demande s’il va annoncer sa venue dans les villages de France comme Guignols, à coups de haut-parleurs. Mais ce qui me chiffonne le plus dans cette histoire, c’est que Jean-Luc prend de gros risques. Un camping-car, je trouve que ça rappelle les Roms. Et on sait que nos « gens du voyage » ne sont pas en odeur de sainteté. Qu’il ne fasse pas trop le malin, notre prédicateur anti-drogue. Un faux pas et il va se retrouver manu militari en Roumanie…

JEUDI. J’ai rendez-vous avec un jeune homme. Non, ce n’est pas une rencontre tendancieuse. Nous avons convenu de nous retrouver à 3 heures du matin. Rien d’excentrique là-dedans. Nous allons assister à une émission de radio à 4 heures et il nous faut arriver pour la conférence de rédaction. Comme il est sympa, mon camarade de classe, il vient me chercher en scooter.

Ce rendez-vous nocturne a légèrement déplu à ma mère. Pour elle, sortir après 17 heures c’est s’exposer au plus grand des dangers car il est bien connu que les fous ne sortent que la nuit. Et qu’ils ont toujours envie de s’en prendre à moi. Alors elle a peur. Le pire, c’est quand j’ai prononcé le mot « scooter ». J’ai cru que la foudre allait s’abattre sur moi. Moi monter sur un scooter ? Elle préférerait me voir épouser un homme de 46 ans, accro à la cocaïne, mexicain, parlant rebeu, cannibale, meurtrier multirécidiviste, rencontré sur Internet ou participer à une télé-réalité plutôt que de me voir recourir à ce moyen de locomotion. Moi j’aime bien le scooter et la nuit, alors je suis ravie de partir pour une balade nocturne à travers Paris. Paris, ses noctambules et ses monuments.

Dans mon équation magique je n’avais occulté qu’une chose : le mois de novembre. Non, mais sérieusement c’est quoi ce mois ? Je ne sais pas, il doit être sponsorisé par les Pompes funèbres parce que même si on aime la vie, on a un peu envie de se tirer une balle quand il faut aller au travail, à l’école de bon matin sous la pluie battante et glacée. Et puis novembre ne pense pas aux célibataires (pas moi, j’ai pris ma retraite, je suis la Lionel Jospin de l’amour, on me prête des qualités mais…). Comment être présentable et séduisante les cheveux mouillés (adieu le brushing), quatre couches de pulls superposés, la goutte au nez et les joues rouges de Pikachu?

Je dois reconnaître que c’est pratique le scooter on a l’impression de voler sur la route. Mais j’ai cru que j’allais mourir, pas à cause de la circulation, non, mais j’ai eu peur de perdre mes doigts et de devenir aveugle tant le froid me fouettait le visage. Mon mascara a organisé sa fuite et des larmes coulent sur mes joues. Le mec qui a réalisé la campagne marketing du scooter est trop fort. Jamais personne n’avait avoué que c’était une expérience traumatisante. J’ai deux hypothèses là-dessus. Les hommes utilisent en majorité ce moyen de locomotion. Et on le sait depuis Cure, «Boys don’t cry». Je pense qu’ils ont dû conclure un pacte et décider de ne jamais avouer cela car un homme c’est fort, ça ne souffre pas, blablabla. Ou bien ils ne ressentent pas la douleur, ce qui n’est pas crédible une seconde, car un homme qui a un simple mal de crâne est persuadé qu’il s’agit d’une tumeur foudroyante au cerveau et demande à voir un curé, un imam, un rabbin, un moine shaolin pour recevoir les derniers sacrements…

VENDREDI. Je revois mes exigences à la hausse, je veux être présidente de la République. C’est crédible comme hypothèse, maintenant que je suis une bête en économie, je peux largement gouverner la France. J’avoue que cette vocation est suscitée par l’envie d’avoir mon propre avion. Je pourrais aller en un clin d’œil à l’étranger, à moi New York, les Seychelles, l’Inde. Oui ma présidence sera une présidence fictive, je veux juste voyager. Le reste est superflu.

Je remarque que c’est l’apanage des grandes personnalités d’avoir leur avion personnel : Barack Obama, Barbie et Nicolas Sarkozy. Il faut juste éviter d’adopter la conduite d’avion présidentiel à la polonaise, remember feu Lech Kaczynski… Le nouvel avion est merveilleux d’après la presse. Il y a même internet. C’est rassurant de savoir que le président peut s’amuser sur Facebook avant d’aller au G20. La rumeur a prétendu, avant d’être démentie, qu’il y avait même une baignoire dans l’avion. Pour égorger le mouton ?

Sympa, le cadeau de Noël en avance. Franchement il ne faut pas lui jeter la pierren à Nicolas, il a trouvé une meilleure façon de planer que Jean-Luc Delarue, et entre nous, un A330 c’est bien plus classe qu’ un scooter ou un camping-car.

Faïza Zerouala

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