Quelque part, entre le Pakistan et l’Afghanistan, au moment de l’invasion soviétique. Soleil brûlant. Philippe Rochot transpire. Une type armé demande, en désignant ce journaliste français qui pourrait passer pour un Russe : « C’est qui celui-là ? » Le moudjahidin qui accompagne Rochot, ment : « Il vient du Nouristan. » L’autre n’est pas dupe : « Ça m’étonnerait. » Tout compte fait, il les laisse passer. Les voilà en Afghanistan.

Quelque part, trente ans plus tard, dans une salle de Bondy. Philippe Rochot est assis, prêt à l’attaque. « On commence ? » Il raconte. De l’ESJ Lille au monde entier. A l’époque, on pouvait intégrer une école de journalisme après le bac. Aujourd’hui, faut du +2. Il a commencé le métier de journaliste dans un studio en Arabie Saoudite, poste totalement improbable. Il animait quatre heures d’émission hebdomadaires, en français, dans un pays où on ne parlait plus français. Ni à l’école, ni ailleurs. « Je ne pouvais pas passer du Brassens. » Trop grivois pour le roi Fayçal. Il y reste un an et demi.

Quelque part, dans les montagnes afghanes. Il transpire toujours. Il n’a jamais autant marché. Il ne compte plus les jours, ne regarde plus les heures. Les routes principales du pays son tenues par les Soviétiques, alors il crapahute dans les montagnes avec des types du coin. Cinq cents kilomètres. « C’est mon meilleur souvenir de reportage, on a mis un mois et demi pour faire l’aller-retour. Ils ne savaient même pas ce qu’était un Français. »

Quelque part, une cellule, au Liban. Philippe est là, accroupi ou assis. Il attend que le temps passe, qu’un mec ouvre le cadenas et lui dise : « Dehors. » « Quand on m’a envoyé au Liban pour enquêter sur la mort de l’otage Michel Seurat, je savais que je prenais un risque. C’était en 1986 et Rochot tombe dans les mailles des ravisseurs. Il devient à son tout otage « pendant quatre mois, mais d’autres sont restés plus longtemps. » Il n’en parle pas trop, de sa captivité. « Certains confrères qui sont passés par là évitent les questions sur le sujet, je ne pense pas que ce soit la bonne solution. »

De retour du Liban, il souffle et part pour un pays réputé plus tranquille, la République fédérale d’Allemagne. La chute du mur en 1989, c’est pour lui. Puis ce sera, à nouveau, le Moyen-Orient, Iran, Irak, Afghanistan. En France, sa femme le voit partir, attend son retour. « J’ai aussi trois filles. Mais toutes savent que c’est ma passion. »

Quelque part, dans un temple d’un village thaïlandais. Philippe est debout, abattu mais ne le montre pas. Du moins, il essaye. Devant lui, 400 corps sans vie. Le Tsunami est passé par là. A tout ravagé. « C’était extrêmement dur. » En 2000, il était devenu le correspondant en Chine, pour sa chaîne, France 2. Il y restera jusqu’en 2006. « C’était intéressant de voir l’évolution de ce pays. » Au cœur du changement, comme auparavant, en Allemagne, en Irak et ailleurs.

Depuis, il est revenu un peu par là. En France. Au cœur des grognes sociales. « Je préfère être otage du RER », ironise-t-il. Dernièrement, il a couvert la visite bling-bling du président-roi chinois, Hu Jintao. « J’avais accroché les spectateurs avec l’aspect people, en parlant des femmes, puis j’avais évoqué les contrats signés et la manifestation pour les droits de l’homme, au Trocadéro. » Mais parfois le terrain lui manque. Il y retourne. « Là, j’étais en Cisjordanie. Ma femme sait très bien que je préfère être sur le terrain que d’entendre un truc à la radio sans y être. »

En atelier pratique, samedi dernier, les élèves de l’école du blog, jeunes et moins jeunes, ont planché sur le traitement médiatique de la visite du président Hu Jintao, dans un Paris quadrillé par les forces de l’ordre (du moins Paris 8e). Paris Match, Le Monde… A chacun sa façon de voir le déplacement présidentiel, les uns mettant l’accent sur les gros chiffres des gros contrats, d’autres sur les droits de l’homme, d’autres encore sur les toilettes du dîner de gala à l’Elysée.

Quelque part, ce matin-là, à Bondy, il y avait Philippe Rochot.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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