Un mec gueule. Un autre lui tape sur la tronche. Ils rigolent. Coup de coude, coup de pied. Le mec riposte. Coup de tête léger. Baston annoncée. Ils rigolent un peu moins. Coup de genou, coup de sac, ça s’échauffe. Ils ne rigolent plus. Et oust, ils disparaissent. Nous entrons dans le lycée Turgot, situé dans le 3e arrondissement de Paris. Une surveillante nous dit que « pour Chatel, faut traverser la cour ».

Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, tête de turc des lycéens comme l’ont été à peu près tous ses prédécesseurs face à la corporation lycéenne, est de passage dans cet établissement pour lancer la procédure d’admission post-bac (APB), un site informatique d’orientation universitaire et professionnelle qui sera lancé le 20 janvier, avec un choix de 9000 métiers ou activités !

Le ministre intervient dans la classe de terminale S. Journalistes, caméras, micros, stylos, cahiers. Il n’est pas seul, il débarque avec sa collègue Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il est encore tôt. La récréation se termine. Les lycéens tels des taupes entrent dans leurs terriers. Un rebelle aux allures de rocker s’agace : « Il ne devait y avoir aucun média. » C’était compter sans l’escadrille d’attachées de presse qui pointent le nom de chaque journaliste. Un autre lycéen lance, sur le mode dégoûté de la life : « Moi, mes vœux, j’en sais rien. On n’est pas informé ! »

Présentations, échanges de bons vœux. Valérie Pécresse serre la main de toutes les personnes présentes. « Elle est comme à la télé », réagit une fille. Le proviseur qui porte un nœud papillon demande à l’assemblée de s’asseoir. Ministres vs élèves, premier round. Beaucoup réclament davantage d’informations autour de leur orientation. Pécresse écoute. Chatel jette un regard à son téléphone.

La ministre de l’enseignement supérieur balance : « Qui consulte ses parents ? » Quelques mains, timides, se lèvent. Une voix dit : « Mais même nos parents ne sont pas informés. » Pécresse persiste : « Et dans les salons d’orientation, qui y va avec ses parents ? » La question revient à demander à des étudiants s’ils se font accompagner par leurs grands-parents, à la FAC, le matin. « Moi, mon père voulait m’accompagner dans un salon, alors je n’y ai pas été », nous confiera une élève un peu plus tard. Pécresse signe : « Mais vos parents pensent l’université comme ils l’ont connue ! »

On en vient aux vœux d’orientation qu’auront à formuler, sur un site « qu’on va améliorer », dixit Luc Chatel, tous les élèves de terminale. Valérie Pecresse, décidément en verve : « Ce qui est important, c’est aussi le métier ! » Les élèves : « Oui, on aimerait bien voir directement les débouchés et les métiers quand on choisit une filière. » Connaître les métiers, les voir, les observer… « Mais vous avez fait un stage d’observation en 3e ! », s’exclame la ministre à la langue bien pendue. Et les élèves de la lui faire ravaler illico : « Non, beaucoup l’ont pas fait. Et puis, par exemple, je l’ai fait dans un centre équestre et c’est pas ce que je veux faire. » Luc Chatel, comme un grand manitou, tranche : « Vous avez besoin d’accompagnement. » Sa consoeur du gouvernement acquiesce. Certainement…

Ces terminales paniquées, c’est partout, pas qu’à Turgot Paris 3e. Dans toutes les classes, dans toutes les villes. La pression des professeurs qui demandent : « Et toi, l’enfant, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » ; la pression des parents : « Et toi, mon enfant, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » ; la pression à la Jacques Martin : « Qu’est-ce que tu vas nous chanter et qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Valérie, qui la joue bonne copine, avoue qu’en France « on met beaucoup de stress sur les terminales ».

Chacun, dans la classe, évoque son cas. L’une veut faire médecine (« très sélectif »), un autre, psycho (« accessible mais de plus en plus dur »). Chatel, façon Dalaï Lama et senteurs d’encens apaisantes, dit qu’il faut « savoir rester zen et être ambitieux. A vôtre âge, je n’aurais jamais pensé que je deviendrais ministre. » Valérie Pécresse est fière d’annoncer le lancement imminent d’APB, pour de bon. Et promet qu’elle « reviendra suivre cette classe ».

Les connexions au nouveau site d’orientation vont exploser dès le 20 janvier prochain. « Plus de 180 000 connexions en moyenne (sans doute par jour), un dispositif unique sera mis en place », s’extasie le costard-cravate chargé du site. Une élève a trouvé que nos deux ministres se sont bien débrouillés : « On n’aurait pas dit que c’étaient des ministres. C’était une discussion normale. Mais après, j’avoue qu’ils ne nous ont rien proposé de concret. » Le fameux « concret ». Baisser du rideau, chacun ses problèmes… Un lycéen dit : « J’ai failli m’endormir. » Faut dormir la nuit, l’ami.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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