Elle s’est forgée, comme un roc, grâce aux fêlures, aux blessures de la vie qui l’ont entaillée. Elle est devenue une rose avec ses dangereuses épines. Comme l’As de Solaar, elle a toujours piqué, mais pas que les cœurs. « J’étais un garçon manqué, jusqu’à 16 ans. Je me battais tout le temps. » Elle se chiffonnait dans la cour, mais faisait de belles rédactions, à l’encre ou à la plume. « Les autres me payaient pour que j’écrive à leur place. J’avais des 19/20. » Imagination débordante, commentaient les profs…

Elle est faite de silences, contrairement aux apparences, trompeuses. Elle s’interrompt brusquement, prend le temps de réfléchir, de s’expliquer, comme si elle avait besoin de se justifier. Elle est toute autant chétive qu’effrontée. « A 17 ans, quand je me suis faite défoncer par un autre mec, j’ai compris et j’ai arrêté de me battre. » Mais, au fond, elle n’a jamais vraiment cessé. De se battre. Elle a fait son chemin seule, a tenté de ne pas tomber dans le ravin qui lui ouvrait parfois ses bras.

L’histoire pourrait être un film, mais c’est la réalité. Souvent, c’est pareil. Glaciale réalité. Son père qui tue sa mère. Les foyers, les familles d’accueil qui se succèdent. Des villes qu’elle a connues, sans vraiment y vivre. Lille, dans le Nord, où elle est née. Et, très vite, la banlieue. Drancy, Saint-Denis. « C’étaient de bons moments, mieux que maintenant. Je profitais de ma vie. » Ses amies sont sa famille. Celle qui l’aimera éperdument.

Dans un foyer pour filles, elle se chamaille, encore une fois. Elle a 18 ans et prend ses clics et ses clacs. Se barre. Le vent la pousse, elle avance. Ne sait pas où elle va, mais y va. « J’ai pris une chambre d’hôtel, près de La Sorbonne, j’étais vendeuse dans le magasin en bas. » Elle vend des fringues à la pelle. « Mais déjà, je savais que je ne voulais pas être personne. » Autant dire qu’elle voulait être quelqu’un. Le rêve de beaucoup.

Le garçon manqué s’est transformé en Cendrillon, et le conte marque son deuxième début. Soudain, un silence de mort la plombe. Ses mains, qui se prolongent par de grands ongles rouges, pianotent sur son portable. « Je disais donc… » Cendrillon veut chausser des pantoufles de vair à vie, goûter à la vie qu’elle n’a jamais humée, même du bout du nez. Elle a soif de célébrité.

« J’ai fait écouter une vieille cassette à un mec, un jour. C’était mes chansons. » La musique l’a toujours transcendée, d’où qu’elle vienne, quelle qu’elle soit. Il y a une dose de Nirvana. Mais surtout une injection de Rita Mitsouko (« couple déjanté »). Bien sûr, il y a un air, qu’elle s’obstine à chantonner : « Je me voyais déjà… C’est une chanson incroyable, je m’y reconnaissais. » De sa « vieille cassette » qu’elle a passée à un quasi inconnu naît un disque, en 1998. Première marche, d’une longue échelle.

Elle fout ses pieds dans les maisons de disque avides de fric. Voit les producteurs malades de chiffres. « Je pensais pas que c’était si dur. » Elle court, d’un bout à l’autre, seule. Elle se trémousse dans quelques clips. Gagne quelques centaines de francs. Cendrillon rêve du petit écran, se voit déjà dans la lucarne. « Mais aux castings, on me prenait pas. J’étais trop typée. » Les origines refont surface, sauf qu’elle a été élevée « chez les Blancs, les Français ». Les problèmes naissent là où ils ne devraient pas. « Même maintenant, à cause de ça, je dois me battre dix fois plus qu’une autre. »

Les bulles de champagne explosent. Les bougies brûlent sur les chandeliers. « J’adore cet endroit » – le Plaza Athénée. Il n’y a pas de bruit, juste ses silences. Ils parlent pour elle. « Et puis, il y a eu mon expérience d’animatrice sur MCM Africa, pour laquelle ils ont changé mon prénom, pour faire plus anglais. Je me suis appelé Lesly. » Elle vole au gré des rencontres et croit qu’elle a atteint le Sainte-Gloire, celle qui l’a fait rêver. Elle se trompe. A côté, les amoureux vont et viennent. « Mon premier amoureux faisait 2m11, c’était un basketteur américain. »

Amérique. Amérique. Amérique. Le mot résonne, faux espoir. Il ne fait que sonner, elle sait que ça n’ira pas plus loin. Le rêve américain existe, pas pour elle. Elle n’y croit pas. Alors, elle s’oblige à errer dans Paris. On lui propose une téléréalité, elle refuse, une autre, elle refuse. La troisième fois, elle accepte. Dans « Loft Story 2 », les caméras sont braquées, nuit et jour, sur elle, Lesly Mess. Ce qu’elle a toujours voulu. Elle y est exubérante, provocante, souvent piquante. Elle en sort peut-être plus forte, peut-être pas, elle ne le dira pas.

Amérique. Améri… Le mot ne résonne plus, il cogne. Elle prend un billet aller sans retour. Paris-Los Angeles. « J’étais pendant quatre mois au Sofitel, parce que je parlais pas un mot d’anglais. » Comme son amoureux américain, elle fait parler ses mains. Elle galère. Elle trime. Elle rame. Les mots manquent pour décrire ses flâneries à Beverly Hills. Le premier jour, il fait chaud. Elle entre dans un magasin et brûle ses économies. « De toute manière, depuis, j’ai une vie qui me coûte cher. »

A la manière d’une marguerite, elle retire ses pétales pour ne laisser que le noyau. On ne la brusque pas, on la laisse se raconter. Dissipée, elle se recadre. Et toujours des silences. Plus ou moins longs. « Je suis fière de moi, i’m proud of me. » Fière d’avoir commencé nulle part et d’être maintenant entre Paris et Los Angeles, d’y habiter « une maison de 420m2 », d’y avoir tourné dans trois films, d’y avoir enregistré son deuxième album*. Fière d’avoir « voté deux fois : une fois pour Hocine à la Star Ac et une fois pour Obama ».

Fière d’avoir monté les marches du Festival de Cannes. Poussières d’étoiles, poudre de gloire. Fière de s’être mariée à celui qu’elle aime, Ronnie Turner, le fils de Tina. Patronyme si lourd qu’il peut vous éclipser. Fière surtout d’avoir écrit un livre « seule, à la main, de la page 1 à 169 ». Elle y raconte sa route pleine d’embuches, ses hauts, ses bas, son passé. « Je ne le relirai jamais, je ne le veux pas. » Idem pour ses passages à la télévision, elle ne les revoit pas. Jamais. Elle a peur d’elle-même, de son image. Peur de revoir ses réactions impulsives face aux critiques. Peur de se faire peur, de ne pas se reconnaître, de se voir en vrai, de voir ce qu’elle n’est pas… Elle croit dans les astres qui la protègent du désastre. « En Dieu aussi, c’est le premier. Il n’y a pas de chance, il n’y a que Lui. »

Le temps a filé à la vitesse d’un éclair, aussi vite qu’une phrase prononcée dans sa bouche. Quatre heures, entre confessions et beaux silences. Elle a bu quatre coupes de champagne glacé. « Les gens pensent que je prends de la drogue. Jamais de la vie. Je bois juste du champagne quand je veux me détendre et je prends des calmants pour dormir. » Avant de s’éloigner, elle dit : « Vous pouvez écrire que je suis une tigresse ou même indomptable. » Tout ce qu’elle n’est pas.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

*Son album « BestOf of Afida Turner » sera disponible sur iTunes et dans les bacs, dans les jours prochains.

Articles liés