Mercredi 4 mai débarquait dans les cinémas de France, à tombeau ouvert, « Fast and Furious 5 » : voitures de sport, lancées à plus de 250 km/h dans des rodéos urbains ultra-violents sous le regard de belles pépées, garanties. Et, avec près de 1,2 millions de spectateurs en première semaine, F&F5 écrase le box-office hexagonal. Le même jour, sortait sur nos écrans noirs, en toute discrétion, « HH, Hitler à Hollywood », second long-métrage du jeune cinéaste belge Frédéric Sojcher. Pour lui, pas de matraquage marketing jusqu’aux photomatons où il est possible de se faire tirer un portrait tuné Vin Diesel. De simples cartes postales à l’effigie de « HH, Hitler à Hollywood », dans les rares cinémas où il est distribué, sont à disposition des cinéphiles.

L’histoire de ce film met en scène Maria de Medeiros (photo), rendue célèbre par le « Pulp Fiction » de Quentin Tarantino et interprétant ici son propre rôle. Dans la fiction, elle réalise un documentaire consacré à l’actrice Micheline Presle dans le but de lui rendre hommage. Mais de fil en aiguille, elle se retrouve au cœur d’une enquête abracadabrante pour retrouver la trace du réalisateur d’un film intitulé « Hitler à Hollywood », mystérieusement disparu en 1946. En mettant au jour un complot fomenté par Hollywood pour tuer dans l’œuf la production cinématographique européenne d’après-guerre, elle n’imagine pas que cette quête mettra sa vie en danger…

Évidemment, l’intrigue de « HH, Hitler à Hollywood » est tout droit sortie de l’imagination foisonnante et déjantée de son réalisateur, très engagé dans la défense du cinéma indépendant. Formellement novateur, avec des images captées au moyen d’un appareil photo numérique, Frédéric Sojcher joue sans cesse avec les nerfs du spectateur pour le faire douter en permanence sur ce qui est vrai ou faux dans son histoire. Les interventions de nombreux comédiens (ou journaliste-animateur), jouant leur propres rôles, tels Édouard Baer, Frédéric Taddeï ou encore Jacques Weber sont scénarisées alors que les interviews de Wim Wenders ou Emir Kusturica sur leur vision du cinéma européen apparaissent sous forme documentaire.

Hormis le jeu de démêler le vrai du faux et l’ode au cinéma européen déguisée en intrigue d’opérette, le film a l’immense intérêt de nous replonger, par des images d’archives savamment distillées, dans un pan de l’histoire contemporaine totalement oublié du grand public. Celui de l’accord Blum-Byrnes signé en 1946. Cet accord franco-américain conclu par le secrétaire d’État des États-Unis James F. Byrnes et les représentants du gouvernement français, Léon Blum et Jean Monnet, au terme de longues négociations, permit de liquider une partie de la dette française envers les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.

Or, une des contreparties de cet accord portait sur le cinéma et la fin du régime d’interdiction des films américains, imposé en 1939 et resté en place après la Libération. Le compromis final aboutit d’une part, à l’abandon du quota de films américains, et d’autre part à une diminution de moitié de la diffusion des films français par rapport aux années 1941-1942.

Une forte contestation des accords Blum-Byrnes se fit alors écho dans une partie du milieu du cinéma français qui considérait qu’il s’agissait d’un moyen pour les Américains de diffuser leur mode de vie et de favoriser l’industrie cinématographique hollywoodienne au détriment de la production française. Cette contestation connut son point d’orgue lors d’une grande manifestation en janvier 1948, rassemblant, notamment, des figures emblématiques comme Jean Marais ou Simone Signoret.

La pression fut telle que le gouvernement français obtint du gouvernement américain une révision des accords Blum-Byrnes en septembre 1948 avec, entre autres, la négociation d’un contingent de 121 films américains au maximum par an. Surtout, ce mouvement entraîna la création d’une taxe sur tous les billets d’entrée (loi d’Aide du 23 septembre 1948) jetant peu ou prou les bases du système original français organisé par le Centre national de la cinématographie (CNC), système qui eut un rôle très important dans le maintien et le développement du cinéma français d’après-guerre.

Des artistes et des syndicalistes du cinéma français remportèrent par leur mobilisation, en 1948, une bataille face à ce qu’on nomme aujourd’hui l’impérialisme culturel américain en obtenant la renégociation des accords Blum-Byrnes. Pourtant, 60 ans plus tard, Hollywood semble bel et bien avoir gagné la guerre face au cinéma d’auteur français et européen comme celui de Frédéric Sojcher. « Fast and Furious 5 » (photo ci-contre) est actuellement projeté dans 526 cinémas en France. « HH, Hitler à Hollywood », dans 22 salles, seulement.

Sandrine Dionys

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