Une chaude après-midi de mai 2011. Mohamed Ka, le président de Réussite Cité, une association d’accompagnement social et de soutien scolaire basée à Stains (93), a rendez-vous avec Alexandre Jardin, à deux pas de son domicile, dans un bar cosy du XVII° arrondissement parisien. L’idée est de se faire rencontrer et débattre des membres de l’association avec le célèbre écrivain sur le thème de la réussite des jeunes en banlieue. Manque de communication ou malentendu, Alexandre Jardin qui attend quatre ou cinq jeunes voit débarquer un groupe bien plus nombreux. La terrasse du bar ni le Square des Batignolles attenant ne faisant l’affaire pour organiser cette rencontre, l’écrivain propose d’accueillir tout le monde dans son appartement laqué rouge vif où son bureau va devenir, pendant plus d’une heure, le dernier salon parisien où l’on cause « banlieues »…

Après que Mohamed a introduit le débat, il commence ses aller-retours pour chercher les derniers retardataires perdus dans le quartier. Ibrahim El Ali, un autre membre de Réussite cité, prend en main l’animation de la discussion qui se lance sur les questions d’éducation. « 15 à 20% des élèves ne maîtrisent pas l’écrit au collège. Quand il y avait du boulot pour ces 15 à 20% de personne, ça n’était pas très grave mais avec les exigences du monde d’aujourd’hui, le pays ne peut plus négliger ces 20% de gosses… » martèle Alexandre Jardin, créateur de Lire et faire lire. Cette association œuvre pour le développement du plaisir de lire en direction des enfants du primaire via la solidarité opérationnelle de seniors actifs, prêts à donner de leur temps libre pour leur transmettre le goût de la lecture…

Pour l’écrivain, si on attend les politiques, sans agir au niveau citoyen, les choses ne changeront jamais : « Ceux qui ont du pouvoir savent protéger leurs propres enfants. Idem pour le monde enseignant. Ceux qui ont des leviers ne feront pas bouger le système… ». Walid, intervient pour voler au secours de la classe politique « Mais les politiques sont à l’image de leurs concitoyens…». Le jeune, qui se révèle être un militant proche de l’UMP argue pour qu’un travail auprès de la population soit engagé : « Moi, j’essaye de faire de la politique pour faire du travail de terrain ». Alexandre Jardin ne désarme pas et répond à Walid : « Sauf que les gens qui ont des leviers n’ont pas intérêt à ce qu’il y ait des réformes structurelles… ».

 

Judicaël, lui, pense que le véritable problème vient des parents qui sont de plus en plus occupés par leur travail et qui ont moins de temps à consacrer à leurs enfants. Pour lui, dans la pyramide des besoins, la priorité de beaucoup est d’abord de ramener de quoi manger à la maison : « Ma mère qui m’a élevé seule m’a appris à lire très tôt mais tout le monde n’aura pas la chance que j’ai eu… ». Cindy, professeur, se plaint de la tendance actuelle à renvoyer toutes les responsabilités sur l’école alors que selon elle, il y a trois acteurs clés : l’élève, l’école et la famille… « Oui mais quand on ne peut pas l’atteindre la famille… » intervient Alexandre Jardin lui même interrompu par un autre débatteur…

Qu’il s’agisse de Cindy, Walid, Mohamed, Fofana, Fatima, Marie-Hélène et de tous les autres, chaque participant a son mot à dire et apporte sa pierre à l’édifice de ce débat argumenté qui, de l’école, glisse vers le rapport des jeunes aux médias et à l’information puis vers l’expérience personnelle de chacun. Mais le temps se fait trop court pour refaire le monde et trouver des solutions pour la réussite des jeunes en banlieue.

Soudain, un nouveau groupe, averti par SMS de l’événement impromptu, débarque dans l’appartement rouge révolution d’Alexandre Jardin. Leur leader, répondant au pseudo d’Herman le black dandy, coiffé d’un haut de forme et looké comme Oscar Wilde, commence à déclamer un texte enflammé intitulé « Jeunesse, l’avenir de ta République se construit maintenant ». Le néo dandy appelle les orphelins de la langue française à se mobiliser, car, selon lui et ses amis présents, c’est à cette seule condition que la République et le vivre ensemble pourront être sauvés… Pour eux, en société, qui ne sait parler n’est qu’un cadavre !

Ce groupuscule amoureux de la langue française a créé le L.M.I soit « un composé d’expressions et d’exercices de diction indispensable pour offrir à chacun un droit fondamental, un droit naturel : le droit de parler, ce qui donnera vie à une unité de cœur et d’esprit ; à une indivisibilité résolument républicaine »… Bref. Happening linguistico-artistique total chez Alexandre Jardin qui commence à paniquer en voyant l’heure tourner et invite chacun à quitter les lieux pour filer en quatrième vitesse récupérer ses enfants chez la nounou…

Alexandre Jardin n’est plus là ? Qu’importe ! La discussion et le show d’Herman le black dandy continuent sur les marches de l’église Sainte-Marie des Batignolles dans une ambiance bon enfant…

Les problèmes des jeunes de banlieues n’auront pas été résolu en cette délicieuse fin d’après-midi parisienne, baignée de soleil, mais Mohamed Ka et Ibrahim El Ali de Réussite cité auront permis, dans un joyeux bazar, à faire émerger un débat passionné et passionnant et de se faire rencontrer des personnes dont les routes n’auraient eu, autrement, probablement aucune chance de se croiser…

Sandrine Dionys

En savoir plus : Association Réussite Cité, 2 square du 11 novembre, 93240 Stains. (reussitecite@gmail.com)

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