Une voix électronique annonce : « Sevran-Beaudottes ». Le quai du RER est vide et crade. Un vendeur de maïs, un « boulanger-artisan » et pour le reste, des bâtiments. Le ciel est blanc, les rues sont grises. Le cinéma a la façade défoncée par l’âge. Quelques arbres défrichés. Les bancs devant la gare sont esquintés. Des gamins vadrouillent à vélo. C’est dimanche.

Les rues ressemblent à d’immenses avenues, désertes. Au loin, d’un côté ou de l’autre, les cités quadrillent le quartier. Trois jeunes collégiens sont du coin. « Ça tire, ça tire », disent-ils. Dimanche soir, sur l’antenne de Générations 88.2, le maire de la ville, Stéphane Gatignon (Europe Ecologie), a maintenu sa version du chaos : « La police ne peut pas être présente en permanence à Sevran, il faut donc une forme de casques bleus sinon on va au drame. » Des casques bleus, comme dans les villes du monde où les guerres tonnent.

« Mais l’armée c’est pour la guerre en Afghanistan et tout », s’étonne un gamin. « Faut pas abuser, quand même », ajoute une dame. Les constructions sont datées. Les immeubles ressemblent à des formes géométriques disproportionnées. A la fenêtre d’un appartement flotte un drapeau français, vieilli, pourri. A l’image de l’herbe au bas des tours, plus très verte, qui a fait son temps. « Je réponds pas à vos questions, parce que tout ce que je vais dire, ils le savent déjà à la mairie », s’emporte un homme au crâne lisse.

C’est l’heure du goûter. Les rues sont toujours aussi désertes. Près d’une boulangerie, quelques lycéens se droguent aux bonbons. « Vous êtes en sécurité, la preuve, vous êtes là », ironise l’un. « Mais y’a des problèmes entre cités avec le shit », lance un autre. Avant qu’un troisième mette tout le monde d’accord : « France 3, ils disent n’importe quoi sur Sevran. » Une habitante s’en mêle : « Oui, faut pas mettre tout le monde dans le même panier. »

Le boulanger vend sa baguette à 75 centimes. « Moi, ça fait 50 ans que je suis là. C’était pas comme ça avant, mais les jeunes se révoltent un peu. C’est bien, tant que ça n’a rien à voir avec la drogue ou la mafia. » Les cars de policiers rôdent, jusqu’à l’indigestion. Un agent immobilier, dans une baraque préfabriquée, au bord de la route, vante Sevran à une future acheteuse. « Sevran se vend très bien », assure-t-il. Le F5 est à 300 000 euros.

Dans la cité, la voix des enfants résonne. Ils jouent. Près de la mairie, un couple à la retraite se tient encore la main pour traverser. « Le maire a abusé », estime la femme, derrière de grosses lunettes. Et le mari de la recadrer illico : « Non, c’est bien les casques bleus. Si ça peut aider. Moi, ça me dérangerait pas d’en voir tous les jours, dans ma ville. »

Des casques bleus dans une ville tenue, si l’on peut dire, par un maire vert. « Moi, j’ai quitté Sevran pour la campagne et je peux vous dire que c’est pas si vert ici », compare une mère de famille de passage dans les parages. « La solution, c’est pas l’armée, c’est d’arrêter les ghettos. De faire plus de mixité », prône-t-elle. Des filles valsent en rollers. Quelques gouttes de pluie se déposent sur Sevran. Et la ville s’enlise dans la nuit.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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