Aux portes de la Médina de Fez, ce gigantesque dédale qui abrite 250 000 âmes, classé au Patrimoine de l’Unesco et qui nous fait prendre place dans une machine à remonter le temps, des jeunes au look « american ghetto » tournent un clip. Le contraste est saisissant. Dans la médina, à deux pas, les artisans tanneurs reproduisent des gestes et des savoir-faire ancestraux et des femmes aux tenues traditionnelles tentent de se frayer un passage dans les rues étroites ou seuls les ânes peuvent accéder.

Dehors, trente fassis d’une vingtaine d’années agitent frénétiquement les mains et les têtes sur un freestyle que n’aurait renié aucun amateur de rap de passage… Choc des générations mais pas des cultures. Car pour L.Tzack, le héros de la vidéo du jour, cela ne fait aucun doute : le rap est un «  phénomène » auprès des jeunes Marocains.

Après avoir réussi à grappiller un quart d’heure de tournage supplémentaire auprès du gardien qui observe l’air circonspect toute cette agitation sur son parking et les allées et venues de grosses cylindrées prêtées par des fans ou d’autres rappeurs locaux pour le décor, L.Tzack m’invite à boire le café chez lui. Accompagnés par trois de ses fidèles amis, Sonia, une jolie rousse du Texas qui vit à Fez depuis bientôt trois ans, Amine et Otman, L.Tzack tient à me prévenir : « Je suis désolé mais là où j’habite, c’est le ghetto. » Son ghetto ne ressemble ni à un block new-yorkais ou une cité chaude de la banlieue parisienne mais à un appartement très modeste, en sous-sol, au cœur de la médina où il vit avec sa famille. Une petite tortue sensée éloigner le mauvais œil nous accueille, impassible, sur son carré de tapis qu’elle squatte dans ce salon typiquement marocain.

Une fois les apparats (grosses lunettes noires et bonnet rouge NY) ôtés, Abdelrazzak, de son vrai prénom, laisse découvrir un visage aux traits fin et à l’air aussi doux et paisible que sa voix. Il commence à se raconter : « Je fais du hip hop et je rappe officiellement depuis 2002. Avant j’étais dans un groupe qui s’appelait Fez city clan. C’est avec eux que j’ai connu mes premiers succès, mes premiers concerts internationaux… On a été numéro un pendant cinq semaines avec un de nos tubes. » Pourtant en 2008, il quitte le Fez city clan. Et même s’il considère son passage au sein du groupe comme une bonne expérience malgré un départ assez douloureux à cause de conflits humains et artistiques, maintenant qu’il est en solo, il estime pouvoir être enfin lui-même.  « Les morceaux qui passaient à la radio pour être diffusés ne devaient pas aborder les problèmes sociaux, économiques ou parler de la drogue… On nous « catchait » dans tous les festivals du pays mais au final, ce qu’on chantait, c’était pas vraiment nous… »

De la drogue, L.Tzack en parle dans un des freestyles qui assure la promo de son nouvel album à sortir, « PunchLine » : « J’ai écrit 11 morceaux mais c’est celui sur le shit qui a été le plus sollicité par mes fans. C’est pour cette chanson qu’on tourne le clip en ce moment. Les gens aiment parce qu’il parle de la réalité… » Ce que veut L.Tzack, c’est parler du monde qui l’entoure en toute vérité et la consommation du shit chez les jeunes Marocains en fait partie.

Mais si ses chansons abordent les problèmes quotidiens de ses compatriotes, L.Tzack ne prend pas part aux mouvements qui agitent le pays depuis quelques semaines dans la foulée du Printemps arabe. Le 20 février, il n’a pas participé à la grande manifestation autorisée par le pouvoir. L.Tzack admire trop son roi, Mohamed VI, pour faire une chose pareille… Il pense même que les révolutions tunisienne et égyptienne ne peuvent pas essaimer, ici au Maroc, à cause de la popularité de M6. « Ça peut pas arriver ici car depuis cinq ans, le roi a pris plein d’initiatives, il a fait plein de choses : le peuple est tout simplement tombé amoureux du roi ! Il va dans les ghettos dangereux, sans sécurité et il fait le tour, il discute avec les gens. Et puis on voit vraiment le développement depuis qu’il est au pouvoir. Il a fait aussi plein de trucs pour la culture et pour les jeunes. Bref. Les gens sont amoureux du roi mais ils sont énervés contre le gouvernement. »

Et il n’y a pas que Mohammed VI qui est précédé d’une aura royale. Même Hassan II recueille ses suffrages : « Y’a plein de clichés sur son père mais moi je l’aime bien. Il a bien travaillé à la politique extérieure du pays. De toute façon, moi j’étais déjà pauvre à son époque et je continue à être pauvre, alors… »

L.Tzack n’élude aucun sujet. « Mon père est mort quand j’avais 6 ans, et depuis ce temps-là, ma mère se bat pour mes frères (dont Rachid son petit frère alias Ke3000, champion du Maroc de danse hip hop) et moi. J’aimerais bien que ça marche pour aider ma mère, et pour moi aussi car je ne m’imagine pas vivre dans ce quartier toute ma vie. J’aimerais habiter dans un endroit « peace », sans entendre constamment les bruits de la rue ou des gens gueuler 24 heures sur 24. A l’extérieur de la médina aussi, il y a des difficultés. J’ai déjà vu une famille de cinq personnes vivre dans une seule pièce avec les toilettes et la cuisine dans cette même pièce. »

Des inégalités sociales qui lui paraissent quasi impossible à briser : « Un pauvre avec ses études au bled, il ne pourra jamais avoir un bon travail mais un fils de riche qui aura fini ses études à Paris ou New-York, pour lui, pas de problème… Dans mes raps, je parle de l’énergie de la jeunesse marocaine qu’il faut prendre en compte et ne surtout pas négliger. Car à force, un jour, ça risque d’exploser. »

Le discours « historique » du roi du 9 mars dernier conforte L.Tzack dans l’appui inconditionnel qu’il porte à son monarque issu de la dynastie alaouite, qui descendrait du prophète Mohamed. Il croit aux changements à venir et il ne s’est pas rendu aux manifestations qui se sont tenues dimanche 20 mars contre les lourdes peines auxquelles certains ont été condamnés suite aux incidents qui ont émaillés les récents rassemblements. Mais il est d’accord sur un point : certaines sentences de 10 ou 15 ans de prison sont bien trop sévères. On l’a compris, la révolution politique, c’est pas « son kiffe » : pour lui, seul le rap et sa musique pourraient un jour, peut-être, s’il rencontrait à nouveau le succès, lui offrir une vie meilleure. « Inch’ Allah… »

Sandrine Dionys

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