Tous les troquets ont leur pilier de comptoir, mais celui qu’on a au bistrot du Moulin, c’est une colonne grecque. Un temple ! La septième merveille du monde alcoolique. Willie la Flotte, c’est plus un pochtron, c’est au-dessus, il a muté. Il peut sans mal affronter Wolverine, ses coudes sont en zinc, ils ont fusionné avec le comptoir. Le facteur du quartier, qui m’a tiré deux trois fois d’affaires en postant mon bulletin de notes dans les égouts, m’a assuré que Willie la Bibine recevait sa facture de gaz  à cette adresse :  « Willie – Tabouret 3 – Bistrot  du moulin – cedex 8.6 »

Willie la Flotte, c’est le pochard à l’ancienne, celui qui a toujours un petit mot sympa à balancer sur les impôts, les étrangers et les femmes. Grâce à la borne d’arcade Street Figther 2 posée dans un coin du bistrot, j’ai eu, dans ma prime jeunesse, cette chance inouïe d’écouter Willie parler de la société. Il disait des trucs comme : « Le progrès c’était mieux avant », « si les Noirs étaient propres ils seraient blancs», « Mitterrand il est musulman »… Cinq francs, une partie et Willie en mode politique, c’était du bel ouvrage, je menais la grande vie. Ce titubant tribun de la plèbe bénéficiait d’un bon public : « Willie ! Tu parles comme un ministre ! », lui lançaient les clients pour se foutre de sa gueule, tout en lui jetant des épluchures de cacahuètes par la bouche.

Oui c’est vrai, Willie parlait comme un ministre. Quand j’ai redoublé ma troisième, il m’a dit : « Ce n’est pas ta faute, va. T’es bête comme un arabe. » Ça vaut, à deux trois poils de cul près, le petit Scud lancé de la place Beauvau sur les enfants d’immigrés et leur soi-disant propension à l’échec scolaire. On s’habitue à tout, même aux petites brèves de comptoir du ministre de l’intérieur tout en rondeur, propres et nettes, qui explosent tous les lundis dans la presse comme le pet du Yéti dans le blizzard.

Inutile de pleurer sur le lait renversé, un ministre qui a fait Sciences-Po, l’ENA ou je ne sais quelle autre HECC (haute école du café du commerce), doit savoir ce qu’il dit. Certes, il n’a pas encore retrouvé les chiffres sur lesquels s’appuient ses déclarations – un alcotest devrait l’y aider diront les mauvaises langues –, mais supposons que dans un monde parallèle, ce qu’il dit soit vrai, voici alors une explication possible.

Les Maghrébins et les Noirs sont nuls à l’école ? Normal ils sont débordés, surmenés. Ils doivent subir plus de contrôles que les autres. Chaque fois qu’ils sont plus de deux et qu’ils croisent une voiture de flics dans la rue, hop ! Interrogation surprise, contrôle au faciès ! Leur temps de repos est complètement bouffé par leurs examens extrascolaires. De retour en cours, dès que la maîtresse prononce ces mots honnis par tous : « Aujourd’hui, contrôle », ils se sentent coupables, ils stressent, écrivent n’importe quoi et chient dans la colle au moment de rendre leur copie. Au bout d’un trimestre, ces élèves accablés d’examens héritent de la triple peine : des contrôles de police qui gâchent leurs soirées, des mauvaises notes qui compromettent leur avenir, et le CLAC du mur du son franchi par la main de leur daron en percutant leurs joues à la remise des bulletins.

Les filles, en banlieue, ne subissent pas de contrôle de police, résultat : elles sont meilleures à l’école, car pour elles, contrôle, c’est un joli mot, ça veut dire test de connaissance ma petite. Ce n’est pas la promesse faîte aux hommes de passer 24 heures sur un banc colorié à la merde avec Edouardo, nouveau compagnon de cellule tout en muscles, qui a mis son hétérosexualité en aparté en tendant un rouge un lèvres à ses jeunes et beaux amis d’un soir.

Pour réduire l’échec scolaire que c’est tout la faute des enfants des immigrés, il faut redonner au mot « contrôle » toute sa noblesse, en commençant par réduire ceux que la police effectue au faciès. En attendant qu’un collectif d’avocats arrive à persuader les pouvoirs publics que ce délit de sale gueule est pratiqué anticonstitutionnellement (champagne !!!! j’ai perdu mon pucelage ! J’ai enfin réussi à le placer dans un papier !), jeunes amis des banlieues aux cheveux crépus, voici le moyen de vous protéger des ces contrôles grâce à une méthode que j’ai mise au point : la technique N.I.N.J.A (Nous Invisibles Noirs Jaunes et Arabes).

Première règle NINJA, pour éviter une fouille de police : traîner avec des amis aux cheveux longs. Je ne sais pas pourquoi, en banlieue, un mec chevelu ça respire l’honnêteté, jamais il n’est contrôlé. Sa protection magique s’étend à tout son entourage, même si celui-ci a du couscous ou du mafé dans le sang. J’ai un ami, on peut l’effriter tellement il a consommé de shit dans sa vie, il a toujours deux trois barrettes sur lui, il dit « nique la police » toutes les deux phrases, mais jamais on ne le contrôle, parce qu’il a une coupe de gonzesse. Trouvez donc des potes qui pourraient chanter : « Non je ne connais pas l’Afrique… », sur les bords de Marne, guitare aux doigts.

Le cheveu peut venir à manquer, votre peau est allergique aux jeans et aux costumes cravates, elle ne supporte que le contact velouté du survêtement Tacchini. Et mon Dieu, ce soleil, impossible pour vous de mettre le nez dehors sans casquette Lacoste ou capuche sur la tête. Allez savoir pourquoi, votre tenue décontractée, saine et sportive, va attirer sur votre tête du petit capuchon rouge tous les poussins bleus du canton, aussi sûrement qu’une brassée de blé dur lancée dans la basse-cour des Poulets Loué.

Que faire alors quand la maréchaussée se présente ? Evitez l’erreur de débutant : courir. Pour vous, courir = peur, ou jeu, qui sait. Pour la police, courir = coupable. Restez et dites ces mots, peu importe l’ordre : « Bonjour Monsieur. » Ou, plus subtil : « Bonjour Monsieur l’officier, il fait beau non ? », si vous voulez jouer la décontraction et flatter l’égo de ces fonctionnaires cadres C de la fonction publique. Conclusion étonnante, voire révolutionnaire, fruit de mes expériences : les flics aiment bien qu’on leur parle comme à des humains. Ça attire plus leur sympathie qu’un « Quoi ! Qu’est ce tu veux ! ! », qu’un « Non ! J’ai rien ! Retourne dans ton bucket mon poulet ! », ou qu’une imitation de gallinacé au passage du saladier. C’est bizarre, mais la politesse, ça leur donne moins envie de chercher la petite bête.

Oui je sais, se faire palper le fessier lors d’une fouille, c’est relou surtout quand on n’a rien fait. Mais inutile, jeunes gens, de jouer aux petites pucelles effarouchées martyrisées par la société. Je sais bien que vous les djeunes avez un don pour faire merveilleusement n’importe quoi, c’est un peu  pour ça que la police est payée. Si vous avez sur vous un petit plaisir interdit, répondez oui quand on vous demande : « Etes-vous en possession de produits illicites ? », l’honnêteté ou plutôt le non-foutage de gueule, ils aiment ça aussi, les condés. Il se pourrait même, si le morceau d’encens spécial n’est pas trop gros, qu’ils l’oublient sur le capot de la voiture en partant vers le commissariat, sans vous.

Avec de la politesse et une mine réjouie tout est possible : raser le 06 de la stagiaire, un contrôle éclair après seulement deux trois mots aimables échangés ou un passage d’éponge sur votre phare avant cassé, si vous promettez de le changer rapidement. Bien sûr, ne pas trop faire dans la sympathie, les policiers ne sont pas là pour être vos amis, surtout ceux de la BAC, ça pourrait être vu comme un comportement suspect et une moquerie. Comportez-vous comme un jeune dandy de bonne famille et vous éviterez le caca sur les bancs en cellule.

Il peut arriver que vous tombiez sur les Douze salopards, l’unité d’enfoirés de service que possèdent tous les commissariats. Celle qui commence le contrôle par « mais ça pue le Noir ici », décidée à vous faire payer leur cote de popularité auprès des ménages français qui les placent juste en dessous des putes et des journalistes au classement Ifop 2010. Pas de panique, répondez par des phrases courtes : oui, non, nom, prénom ; et ignorez leurs provocations. Qu’est-ce qu’un mot déplacé, une pique raciale face à la perspective de goûter du bottin en garde à vue ?

Un contrôle de police qui se passe bien, et l’effet papillon peut s’enclencher. Un gardien de la paix fraîchement débarqué du Périgord élevé au grain et au JT de Pernaut, posera désormais un regard nouveau et bienveillant sur tous les wesh-wesh de la banlieue parisienne et vice versa . Un proverbe de policier dit : « Contrôle les jeunes, si tu ne sais pas pourquoi, eux ils savent. » Un adage bondynois lui répond : « Fais rien, on te contrôle. Fais quelque chose, on te contrôle aussi. Alors fous la merde et fais-toi contrôler. » Un contrôle au faciès injustifié ? Peut-être le début d’une vocation.

Idir Hocini

Paru le 4 juin

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