« Malheureusement pour nous mais heureusement pour lui, Mathieu Kassovitz ne sera pas parmi nous ce soir. Il se trouve actuellement en Nouvelle-Calédonie pour présenter son film qui a enfin pu sortir là-bas…» Vendredi 2 décembre, au cinéma L’Etoile de La Courneuve, Aïcha Belaïdi, la déléguée générale des Pépites du cinéma, se charge d’inaugurer la soirée d’ouverture de la 5e édition de ce festival. Et dès les premières paroles, elle défend L’ordre et la morale bec et ongles. Les Pépites du cinéma ambitionne par une programmation riche et hétéroclite de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, de réalisateurs indépendants issus de la culture du métissage. Et Mathieu Kassovitz dont Métisse mais surtout La Haine a marqué toute une génération y est traité en VIP, même en son absence. « Faire de L’ordre et la morale notre film d’ouverture avait tout son sens à cause de sa connotation engagée » argumente Aïcha Belaïdi. Et le rendez-vous est donné à la fin de la séance pour débattre du contenu autour d’un verre.

Déterminé, le clip de l’artiste d’Ybal Khan, réalisé par Vincent Lepine, fait office de première partie et offre un avant-goût de la soirée. Le drapeau calédonien en arrière-fond, le rappeur revient avec son flow sur les affres de la colonisation subie par son pays, comme il le chante, la Kanaky. L’ordre et la morale, formellement, se situe aux antipodes du clip Hip hop style d’Ybal Khan. Pourtant leur propos se rejoignent sur le fond.

Car si la guerre d’Algérie a sa Bataille d’Alger, les anciens combattants coloniaux Indigènes, les indépendantistes et le peuple kanak ont désormais L’ordre et la morale. Collectivité d’Outre-mer située en Mélanésie dans l’océan Pacifique, la période vécue par la Nouvelle-Calédonie en avril-mai 1988 aura marqué à tout jamais le cours de son histoire. Il en découlera le statut particulier de large autonomie dont elle bénéficie aujourd’hui, et qui fut instauré par l’accord de Nouméa. Un nouveau référendum local portant sur son indépendance ou son maintien au sein de la République française est prévu à partir de 2014.

Retour en avril 1988. 30 gendarmes sont retenus en otage par un groupe d’indépendantistes Kanaks après l’attaque d’une gendarmerie qui a dégénéré, provoquant la mort de 4 fonctionnaires. 300 militaires sont envoyés de métropole pour rétablir l’ordre, tandis que Philippe Legorjus (interprété par Mathieu Kassovitz), capitaine du GIGN tente d’ouvrir les négociations avec Alphonse Dianou, (incarné par Iabe Lapacas, son propre neveu âgé de 6 ans à l’époque), chef des preneurs d’otages.

Mais en pleine période d’élection présidentielle et de cohabitation où Chirac et Mitterrand se livrent une guerre sans merci, lorsque les enjeux sont politiques, l’ordre n’est pas toujours dicté par la morale. C’est ce que tente de démontrer le film de Mathieu Kassovitz. Et que la France était en guerre. En guerre contre d’autres Français sur son propre territoire même si, en métropole, à 17 000 kilomètres, les informations officielles pervertissaient la perception du déroulement des faits et la portée de ces événements pour les habitants de la Nouvelle-Calédonie.

« Un peuple sans mémoire est un peuple sans liberté » semble dire Mathieu Kassovitz, qui, en portant à l’écran une page obscure de la politique française, permet d’y apporter son point de vue engagé, engagé aux côtés du Capitaine Legorjus dont le livre La Morale et l’action sorti en 1990 a inspiré le scénario. L’ordre et la morale est donc une œuvre militante et partisane qui se vit comme un devoir de mémoire au risque d’être impitoyable pour les acteurs politiques de l’époque. Pour Bernard Pons, alors Ministre de l’Outre-Mer mais surtout Mitterrand et Chirac qui n’auraient eu que faire d’un dénouement pacifique, dont Legorjus était partie prenante, l’important pour les deux candidats étant d’envoyer un message de fermeté afin d’assurer une élection ou une réélection à la présidentielle. L’assaut de la grotte se soldera par deux morts chez les assaillants et de dix-neuf morts du côté kanak, dont certains (et c’est ce que montre le film) auraient été exécutés après l’assaut, d’une balle dans la tête.

Rythmé par les sons du groupe des Tambours du Bronx, le film atteint son point d’orgue et son moment le plus réussi avec la séquence de guerre haletante de l’attaque de la grotte. On fait corps avec Kassovitz-Legorjus. On avance et on bascule avec lui dans la violence de l’assaut.

Vingt-trois ans après les faits, les familles des kanaks tués ont rouvert les plaies du passé en ayant autorisé et aidé Mathieu Kassovitz à mettre en œuvre son projet sur lequel il travaillait par intermittence depuis 2001. Bernard Pons, lui, s’indigne publiquement et de façon très polémique de la lecture des événements par Mathieu Kassovitz. Les armes se sont tues mais la guerre médiatique fait rage. Reste un film à voir pour se replonger dans cet épisode tragique de notre histoire contemporaine. Il s’achève avec les mots de Philippe Legorjus qui sonne comme un épitaphe : « Si la vérité blesse, le mensonge tue. »

Sandrine Dionys

Les Pépites du Cinéma à Saint-Ouen (93), du 7 au 9 décembre et à Paris le 10 décembre 2011.

Toute la programmation : www.lespepitesducinema.com/

Déterminé, clip d’Ybal Khan : http://youtu.be/bNrjSKI2mYw

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