Une Marianne à l’écharpe tricolore et aux petites lunettes rouges accolée à un inventaire à la Prévert de 12 mots (racisme, sexisme, homophobie, santé, handicap etc), présentant les thématiques de cette nuit de l’Egalité. Voilà pour l’affiche du grand raout organisé par Europe Écologie les Verts et l’équipe d’« Evajoly 2012 », le 11 janvier au Bataclan à Paris, pour lancer la campagne de leur championne et mettre Eva Joly sur orbite médiatique.

Et ils sont venus, ils sont tous là, les partisans et les curieux de la candidate d’EELV. 20 heures 30, Cécile Duflot monte sur scène pour introduire la soirée devant une salle pleine à craquer. Mais cette nuit de l’Egalité est avant tout un barnum médiatique réglé au millimètre pour que cameramen, journalistes et photographes venus en masse fassent la meilleure image, la meilleure photo. Et ça crépite, ça tourne et ça gratte à tout va : la campagne présidentielle bat son plein.

Et dés 22 heures, il ne restera rien du discours incisif de Cécile Duflot pour justifier le choix d’une candidate si iconoclaste ou du « goût rance » de la France de ceux qui attaquent son accent et lui reprochent de venir d’ailleurs. Déjà, fils d’infos et gros titres ne focalisent que sur cette phrase, plutôt anecdotique dans un discours de 5 pages et de plus de 3 000 mots : « Je propose que la république s’assure que chaque religion bénéficie d’un égal traitement dans l’espace public : il y a quelques années, la commission Stasi sur la laïcité proposait qu’un jour férié soi réservé aux autres cultes que le culte catholique. Je reprends cette proposition qui faisait consensus il y a quelques années à mon compte: je veux que les juifs et les musulmans puissent célébrer Kippour et l’Aïd-El-Kebir lors d’un jour férié. Si tel et le cas, l’égalité et la laïcité auront avancé dans notre pays ».

Au journal de 6 heures d’une grande radio nationale le lendemain, ne reste que cette proposition sur un jour férié. Pourtant le Bataclan a fait un triomphe à l’intégralité du discours et a spontanément applaudi à de nombreuses reprises Eva Joly qui ne veut pas laisser les 3 couleurs du drapeau être accaparées par le Front National et sa figure de prou, Marine Le Pen : « Sa France ce n’est pas la France, c’est la France défigurée par la haine de l’autre, la France amoindrie par le manque d’ambition universelle, la France amputée par le repli national. Si je reprends à mon compte avec fierté le bleu, le blanc et le rouge de notre drapeau c’est que nous les tenons de la révolution française. Ce drapeau n’appartient pas à ceux qui le souillent de leur haine de l’autre mais à ceux qui défendent chaque jour l’égalité. »

La référence à Bourdieu et le long passage sur l’éducation provoquent aussi des applaudissements nourris. Et la candidate de proposer des États généraux de l’éducation et des mesures radicales : « Je plaide pour rétablir une nouvelle carte scolaire ayant pour but de combattre l’apartheid scolaire en mélangeant les enfants issus de quartiers différents au sein d’un même établissement. »

Et dans ce discours fleuve dont le fil rouge est comme pour la soirée « l’égalité » pour tous les Français (handicapés, habitants des banlieues et des zones rurales, personnes discriminées…), l’écologie ne peut être oubliée. « Qui habite à proximité des usines SEVESO ? Qui a construit sur des terrains pollués parce qu’ils étaient moins chers ? Qui doit acheter de la viande pleine de produits toxiques pour la santé ? Qui doit éteindre son chauffage même quand il fait froid parce que le lobby nucléaire a équipé la France de convecteurs électriques d’une totale inefficacité ? »

Le public écolo répond par un tonnerre d’applaudissements à toutes ces questions. Et Eva Joly de poursuivre avec des propositions tel que son plan de lutte contre la précarité énergétique ou l’alimentation bio dans les cantines scolaires. La femme aux petites lunettes rouges est moins à l’aise que la bête de scène Cécile Duflot. Elle bute parfois sur les mots ou sur les noms comme celui de Noël Mamère quand elle lui rend hommage pour son combat pour le mariage gay mais son discours sur le drapeau, la patrie et sa vision de la France électrise son public, déjà conquis :

« Vous l’aurez compris, je veux que le bleu, le blanc et le rouge de la République embrassent le vert de l’espoir. C’est vous qui écrivez l’histoire de France. Peu importe la couleur de votre peau, ce pays est le vôtre. Vous pouvez la choisir. Ne laissez personne décider de votre histoire à votre place. Vous, aux accents aussi divers et chantants que les notes d’une même partition vous êtes la France, la France d’aujourd’hui et de toujours. Alors le 22 avril, au moment de rentrer dans l’isoloir, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays, demandez-vous ce que vous voulez faire de votre pays. Et votez juste ! Votez juste pour l’écologie, votez juste pour l’égalité, votez juste pour la France. »

Puis la standing ovation finale galvanise les participants pendant plusieurs minutes avant de laisser place aux tables rondes pour les plus studieux et à un attroupement au bar devenant le théâtre d’une contre soirée improvisée. Sur scène, des invités de la société civile, symboles de luttes contre toutes les discriminations, sont interrogés à tour de rôle par un couple de Monsieur et Madame Loyal : Julien Bayou, un des créateurs du collectif Sauvons les riches et Caroline Mecary, avocate des droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels).

Ryadh Sallem, responsable associatif multi casquettés, créateur du Defistival, entrepreneur, champion handisport et pré-sélectionné au JO de Londres dans l’équipe de France de rugby fait partie de ces personnalités invitées à témoigner sur scène. A la pause, pendant le concert du duo rock-musette Les Génisses dans l’maïs, Ryadh Sallem se laisse interviewer. Conquis par cette nuit de l’Egalité ? : « Je trouve la soirée réussie sur le fond mais pas sur la forme. Déjà le bruit du bar dérange ceux qui veulent écouter les intervenants. Ensuite, ça manque de débats. Chacun présente son combat mais ça doit être frustrant pour le public de ne pas échanger avec eux » analyse  ce grand baraqué coiffé de dreadlocks.  « Pour Eva Joly, oui, j’ai été séduit par son discours, évidemment. Si tout ce qu’elle dit pouvait être vrai et se réaliser… Mais sur la forme, je trouve qu’elle était trop solennelle. D’ailleurs en général, je trouve qu’elle reste trop enfermée dans son personnage de juge, qui écoute et qui tranche alors qu’il faudrait qu’elle se transforme en avocate des idées qu’elle défend, qu’elle argumente ses discours comme des plaidoyers pour convaincre les Français… »

Sur le buzz autour des jours fériés qui fait déjà les gros titres pendant la soirée ? « Moi, je trouve ça nul. On est un pays laïc, on n’a pas à se mettre au service des religions… Pourquoi ne pas donner un jour aux Mormons, aux Bouddhistes, aux Francs-maçons ? Je suis musulman mais je trouve qu’il faut arrêter cette surenchère autour de la religion. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont nos valeurs. Il faut se recentrer sur les fondamentaux des valeurs de notre République…». Néanmoins Ryadh  ne sait pas encore s’il votera pour Eva Joly le 22 avril. « C’est comme un contrat de business, avant de choisir, je veux lire tous les programmes ! Je n’ai pas encore fait mon choix mais je sais déjà pour qui je ne voterai pas… » conclut-il.

Ce qui n’est pas le cas d’Adrien, 20 ans et Mathieu, 29 ans qui sont restés jusqu’à la fin des débats, autour de minuit. Eux ont déjà choisi. Ils veulent voter pour la candidate de la soirée de l’Egalité dés le premier tour  et sont venus la juger sur pièce. « Moi j’ai l’habitude de voir ses vidéos sur Internet mais je voulais l’écouter en vrai… » confirme Adrien, étudiant en droit anglais. Sur la soirée en elle-même, Mathieu (comédien et metteur en scène) et Adrien sont plutôt mitigés mais s’ils ne devaient retenir qu’une chose, ce serait « le discours d’Eva ! », répondent-ils en chœur. Les deux jeunes ont vibré. Et quant on leur demande si elle ne manque pas de charisme, Adrien rétorque avec fougue : « C’est la seule qui ne se comporte pas comme une pute de la société du spectacle ! Et s’ils veulent du charisme, les gens n’ont qu’à voter pour Marine Le Pen et ses dents qui rayent le parquet ! » ironise-t-il pour clore le débat sur la personnalité, toujours très commentée, d’Eva Joly…

Sandrine Dionys

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