Toujours autant de remous autour du mot laïcité. Le 17 janvier 2012, le Sénat adoptait la proposition de loi sur la laïcité dans les crèches, les centres de loisirs et pour les assistants maternels, proposition qui devra s’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour parachever son parcours législatif. Ce qui promet des débats aussi vifs que ceux qui ont divisé l’hémicycle du Palais du Luxembourg sur cette proposition. Ce texte, déposé au Sénat le 25 octobre 2011, s’inscrivait dans le contexte de l’affaire de la crèche associative Baby Loup.

Lors de l’adoption de la proposition, le groupe écologiste et CRC (communiste) a voté contre l’article 3 sur lequel s’est concentré l’essentiel des discussions. Sur l’ensemble du texte, les communistes se sont abstenus, les écologistes ont voté contre, l’UMP s’est répartie entre abstention et le vote contre, le RDSE (Rassemblement Démocratique Social et Européen) et le Parti Socialiste ont voté pour.

L’article 3, si la loi était adoptée en l’état, permettrait d’appliquer le principe de laïcité aux assistants maternels accueillant des enfants à domicile. La commission sur cette proposition, a exposé dans cet article, qu’à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui les lie au particulier employeur, les assistants maternels soient soumis à une obligation de neutralité dans le cadre de leur activité d’accueil d’enfants.

« Dans le silence du contrat liant les parents à l’assistant maternel, ce dernier devrait s’abstenir de toute manifestation d’appartenance religieuse dans le cadre de son activité de garde d’enfants. Par manifestation d’une appartenance religieuse, il s’agit de toute adhésion à un culte susceptible d’avoir une influence sur l’enfant, par exemple des discours, des prières, des tenues... » explicite la commission. « Si, au contraire, l’assistant maternel entend manifester son appartenance religieuse dans le cadre de son activité d’accueil d’enfants, le contrat devrait le prévoir expressément, ce qui implique que l’assistant maternel devrait informer le particulier employeur de son intention, préalablement à la signature éventuelle du contrat avec celui-ci ».

Françoise Laborde, la sénatrice RDSE à l’origine de la proposition, a déclaré lors de la séance du 17 janvier, qu’il s’agissait surtout de « réinvestir le champ laïc ! Le principe de laïcité, gage du « bien vivre ensemble », ne s’improvise pas. Il ne doit pas être laissé en jachère, comme une herbe folle qui se ressèmerait spontanément. C’est à nous de le transmettre de génération en génération. C’est à nous, parlementaires, de lui redonner tout son sens ! » .

Et de donner un exemple concret, « à ce titre, je voudrais rappeler l’intervention de notre collègue Joël Guerriau, qui a témoigné de son expérience de maire d’une commune de 26 000 habitants, confronté à une mobilisation de pétitionnaires face au prosélytisme d’une assistante maternelle Témoin de Jéhovah. Je le cite : « Ce texte a une portée informative et ne vise à stigmatiser personne » se justifie-t-elle lors du vote qui n’avait pas pu avoir lieu le 7 décembre à cause de la suspensions des débats.

Pour Esther Benbassa, d’Europe Écologie Les Vert, au contraire, l’idée qu’étendre l’obligation de neutralité aux assistantes et assistants maternels, dans le cadre de l’activité d’accueil d’enfants à leur domicile, constituerait une intrusion de l’État dans la sphère privée. « Cette ingérence de l’autorité publique entraînerait vraisemblablement une atteinte à la vie privée des intéressés, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Elle ajoute : « Une telle ingérence, faute d’être encadrée, pourrait ouvrir d’autres brèches et donner lieu à des dérives. Le respect de la vie privée est un des acquis inaliénables de la modernité et du progrès qui lui est attaché. L’État a le droit et le devoir de veiller à la neutralité religieuse dans l’espace public et à l’application du principe de laïcité, mais conformément à l’esprit et à la lettre de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, à savoir dans le respect des convictions religieuses de chacun et de chacune, et tant que l’expression de ces convictions n’empiète pas indûment sur cet espace. »

Françoise Laborde et Esther Benbassa, deux femmes de gauche. Mais deux visions qui s’opposent radicalement au nom d’un seul et même principe, au nom d’un seul et même mot : celui de laïcité.

Et le mot revient régulièrement dans l’actualité tel un boomerang qui s’invite aussi dans la campagne présidentielle. Et François Hollande, au début de son discours du Bourget du 22 janvier d’annoncer : « Présider la République, c’est être viscéralement attaché à la laïcité, car c’est une valeur qui libère et qui protège. Et c’est pourquoi j’inscrirai la loi de 1905, celle qui sépare les Églises de l’État, dans la Constitution. »

Le Président de la République lui répond dans ses vœux aux autorités religieuses du 25 janvier à L’Élysée : « La France est comme chacun le sait, une République laïque et sociale, ce principe est d’ailleurs inscrit noir sur blanc dans le préambule de notre Constitution. Certains seraient bien inspirés de relire de temps en temps le texte de notre Loi fondamentale, revenir au texte, cela leur éviterait de se donner la peine de chercher à y faire inscrire ce qu’elle contient déjà ! Sauf à vouloir mettre un terme au statut particulier de l’Alsace et de la Moselle hérité d’une histoire par ailleurs bien douloureuse. »

Le 26 janvier, François Hollande et son équipe ripostent, notamment via un texte de sénateurs publié sur leur site de campagne. Roland Ries, sénateur du Bas-Rhin et maire de Strasbourg, et Jean-Marc Todeschini, sénateur de la Moselle y écrivent :

« En proposant que la notion de séparation des Églises et de l’État soit intégrée dans la Constitution, François Hollande propose de « sanctuariser » la neutralité de la République vis-à-vis des croyances de chacun de ses citoyens. Il est évident que cette intégration ne remettra pas en cause les dispositions particulières concernant l’Alsace-Moselle, lesquelles constituent – après près d’un siècle d’application au sein de la République – un principe général de notre droit dérogatoire du droit commun et qui sera maintenu. De même, d’autres dispositions particulières propres à certains territoires de la République, notamment en Outre-Mer, ne seront pas davantage remises en cause. »

La laïcité à la Française est un concept unique qui, 107 ans plus tard, n’en finit pas de faire couler encre et salive. Cette semaine, le mot laïcité a encore été prononcé à l’envie… Les débats houleux que son concept provoque à chacune de ses évocations ne sont qu’une continuité de l’histoire de notre République. Le 3 juillet 1905 : la Chambre des députés avait adopté le projet de loi de séparation des Églises et de l’État par 341 voix contre 233 après 48 séances de discussion…48.

Sandrine Dionys

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