La pluie. Une route. Un bus. Une fille. Elle se mordille les lèvres, les mains enfouies entre les cuisses. Elle est à deux doigts de craquer, de pleurer, de crier. Elle se retient infiniment. Elle regarde à gauche, à droite. Elle est seule. Un arrêt. Ca monte, ça descend. Elle veut manger ses ongles. Elle veut même dévorer ses mains, puis ses pieds. Elle pourrait même se dévorer entièrement, tellement elle tremblote.

Les portes s’ouvrent. « Veuillez monter par la porte avant du bus » dit la dame de la machine. Une fille monte. Par l’arrière. Elle s’approche du fond, croise le regard de son amie au bord de la crise de nerfs. « Tu fous quoi à cette heure là? Il est 21h » lui balance-t-elle, intrusive. « J’étais au lycée, j’avais physique » répond-t-elle, crédible. Elle reprend : « Mais j’ai tellement peur, le violeur rode… ». L’autre avale les mots : « Moi aussi, mon dieu, il est là ».

C’est le violeur. Il s’appelle comme ça, cherchez pas. Le violeur, c’est son nom. Il se reconnaîtra où qu’il soit. Depuis fin décembre, il compte trois agressions sexuelles entre l’Essonne et le sud de Paris. Et depuis quelques jours, il aurait été repéré à Aubervilliers. « J’ai enregistré sa photo dans mon iPhone pour pouvoir le reconnaitre » tente une fille, rue Danielle Casanova. « J’ai peur », conclut-elle.

Une autre : « Un mec a demandé de l’argent à ma mère à l’arrêt de bus et l’a suivie jusqu’en bas de chez moi. C’était lui ». Une autre : « Je l’ai vu ». Une autre : « Il est là ». Sauf qu’il est partout et nulle part. La psychose a pris Aubervilliers. Comme une étincelle qui se transforme en flamme dévastatrice. Une fille, yeux sombres, cheveux sombres, pantalon sombre dégaine un couteau de son décolleté : « Toutes mes copines en ont en ce moment ».

Elle poursuit : « La soeur d’une copine avait pris le gros couteau de cuisine. Du coup, ma copine a été obligée d’en prendre un plus petit ». C’est ainsi qu’on se protège ici, des âmes volages. Parce que dans la rue, cette nuit-là, il n’y avait que la pluie. Pas un seul intrus. Pas même l’ombre d’un policier. « On les voit pas » clame une dame du quartier. Dans l’incompréhension, elle s’élance : « Comment est-ce possible qu’on ne le trouve pas ? » Réponse d’une maligne en collants : « C’est devenu un jeu, beaucoup se font passer pour lui dans la rue ».

Et la psychose enfle, se répand comme un virus H1N1. Sur les réseaux, des demoiselles croient l’avoir repéré « devant la boulangerie ».

Les garçons font des gros bras et promettent de lui « couper la bite » s’ils ont le malheur de le croiser. Le commissariat a reçu « plus de 300 appels » et ne sait plus où donner des armes. Le violeur, si invisible, si inconnu, qu’il passe décidément les mailles des agglomérations, court encore quelque part. Ou pas.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah.

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