Ils se serrent sur la Place de la Concorde à Paris. Pour  lutter contre ce vent frais qui refroidit les mains,  pour se réchauffer le cœur et le moral entre militants et sympathisants UMP. Car ce dimanche 15 avril, il n’y a pas que le ciel qui est menaçant. Les sondages grondent aussi d’une rumeur hostile. Les intentions de vote placent au premier tour Nicolas Sarkozy aux coudes à coudes, voire derrière « Hollande », comme ils le nomment tous ici, le privant de son prénom qui rappelle trop de mauvais souvenirs : un autre François qui gouverna durant 14 années de présidence socialiste.  Au second tour, les sondages sont encore plus effrayants pour le champion UMP : Nicolas Sarkozy serait largement battu.

Alors devant tant d’oiseaux de mauvais augures, la Place de la Révolution comme elle se nommait après 1792, se colorie de très nombreux drapeaux bleu blanc rouge. La guerre des chiffres, elle, fait déjà rage sur Twitter qui bruisse : 170.000 participants auraient été annoncés par des lieutenants du Président-candidat. Pourtant sur place, il ne serait pas fou de retrancher 100.000 têtes à ces 170.000 participants rassemblés sur le lieu même où Louis XVI et Marie-Antoinette furent exécutés.

Le compte Twitter officiel de Nicolas Sarkozy annoncera lui 150.000 personnes à l’issue du meeting. A une semaine du premier scrutin, l’artillerie lourde de la communication atomise toute rationalité chiffrée… Pourtant pendant le discours de François Fillon qui précède celui du Président, les Champs-Elysées pietonisés pour l’occasion sont vidés, et, 5 minutes avant la prise de parole candidato-présidentielle, à 15h30, on peut encore entrer sur site en passant le portique de sécurité situé côté Assemblée Nationale. Un premier ministre apprécié par la foule qui n’hésite pas à pousser des « booouuuh » de protestation quand un nom lui déplaît. Mélenchon est le plus hué coiffant largement au poteau de l’impopularité François Hollande et les 35h !

Et puis ça y est, la musique de péplum se tait. « NS » prend la parole. Magali et Laurence, deux amies parées d’accessoires chics, s’enthousiasment. Elles ponctuent des phrases chocs de leur candidat par des « Ouaaaiiiiih !!! ». Elles scandent aussi du « Nicolas-Nicolas !» dés que le public s’anime, ou du «Hollande en Corrèze, Sarkozy à l’Élysée ! » avec envie. Et à l’issue de 35 minutes d’un discours fleuve martelé avec conviction et qui s’achève sur un « Françaises, français, aidez-moi, aidez-moi, aidez la France ! Françaises, Français, c’est maintenant, c’est ici Place de la Concorde ! Vive la République et Vive la France !», avec la Marseillaise, les deux fans acceptent de se confier après quelques photos et vidéos souvenirs.

Magali, résidente du 8ème arrondissement, grosses lunettes noires de soleil, qui travaille dans la communication et Laurence, venue de Paris 17ième, en sont persuadées : « Il passera juste. A 51 % mais il passera !». Outre leur foi inébranlable en Nicolas Sarkozy, elles ont en commun leur aversion pour Hollande : « Son discours du Bourget, il l’a débuté en désignant la finance comme une ennemie. Pour moi, juste avec ça, tout était dit ! », critique Laurence. Les deux copines descendent le Socialiste en flèche. Elles le considèrent bien trop inexpérimenté pour accéder au pouvoir dans un tel contexte ! Mais leur chouchou ne pourra pas compter sur la voix pourtant acquise de Laurence qui est américaine et qui, par conséquent, ne se rendra pas aux urnes. « Moi aussi, je suis d’origine étrangère » confie Magali. « Je suis iranienne, ça fait 25 ans que je vis ici. Je suis aussi Française maintenant et je serai fière de voter pour Nicolas Sarkozy ! » Lance-t-elle encore galvanisée par les mots de « son poulain ».

Un peu plus loin, Philippe, 24 ans, de Sèvres dans les Haut-de-Seine (92), encarté depuis peu, et qui travaille dans le secteur associatif n’arrive pas à abandonner la place de la Concorde. Quand on lui demande pourquoi il s’est déplacé, il répond tout de go : « Nicolas Sarkozy est le seul dans cette campagne qui défend certaines valeurs ! Il défend une certaine idée de la France, il défend notre civilisation et c’est quelque chose qu’on ne retrouve pas chez les autres candidats… » Et quand il parle de valeurs, Philippe tient à souligner «surtout celles familiales et patriotiques ! ».

Joachim, 23 ans, étudiant en droit, du Plessis Robinson (92) qui arbore fièrement un autocollant « Étudiants avec Sarko » sur sa veste kaki acquiesce. Pour lui, le discours de leur leader défend clairement la civilisation française et la Nation, ce qui, selon lui, contraste avec le candidat du parti socialiste qui «s’allie à Eva Joly, elle qui veut arrêter le défilé militaire du 14 juillet  pour organiser un pic-nique sur les Champs-Elysées ! Et lui qui veut brader notre siège à l’ONU au Conseil de sécurité. On voit le peu d’amour qu’ils ont pour leur pays ! ».

Et eux aussi, ils disent ne pas douter une seconde de la victoire sarkozyste. «On y croit, on ne se laisse pas perturber par les sondages et les médias !» veut convaincre Philippe. « Surtout quand on voit Hollande qui n’a aucune carrure, qui est très mauvais candidat et qui s’exprime mal dans ses meetings ! » surenchérit Joachim. Quand on le titille avec le meeting du Bourget du 22 janvier, il ne se démonte pas : « Ceux qui vous ont raconté le meeting du Bourget étaient des militants et ils étaient d’ailleurs beaucoup moins nombreux qu’aujourd’hui et qu’à Villepinte ! ».

Un peu plus loin, un père et sa fille battent le pavé tout près de l’Obélisque et immortalisent la scène avec un téléphone portable. Charles, 52 ans, lui aussi professionnel de la communication, résidant dans le 6ème arrondissement de Paris est un peu déçu. Il voulait montrer à Sarah, 19 ans, ce qu’était un grand meeting mais ils sont arrivés trop tard, le discours initialement planifié à 16h ayant débuté 30 minutes plus tôt que prévu.

Or Charles ne votera sans doute pas pour le sortant car après « 10 ans de Sarkozy » comme ministre puis comme président, il se dit plus qu’échaudé. « Car contrairement à ce qu’a écrit Catherine Nay, il n’est pas impétueux mais impulsif et ça c’est plus grave ! Pourtant en 2008, quand il a organisé une sorte de Conseil européen avec les chefs de gouvernement, membres de la zone Euro, c’était une bonne idée ! Mais globalement il a quelque chose d’une vulgarité qui fait que j’ai un peu honte de lui à l’étranger… En plus, il a passé sa vie politique à diviser pour mieux régner, ce qui me consterne ! Et puis je ne le trouve pas courageux au contraire d’un Rocard ou d’un Mitterrand, qui a aboli la peine de mort contre l’avis des Français. Ça c’était courageux !».

Quand on le sonde sur une éventuelle nouvelle victoire de Nicolas Sarkozy, il croit aussi qu’il peut repasser : « Car il est très fort à l’oral ! ». Et pas François Hollande ? « Si lui aussi surtout qu’il a de l’humour. Et l’humour est une preuve d’intelligence ! », répond du tac au tac Charles qui n’est pas allé à Vincennes « car c’était trop loin ! ». Il pense aussi « même si c’est pas encore très net », qu’il votera Hollande « pour changer » mais sans « exaltation » car « il a pu diriger pendant 10 ans un parti aussi ingouvernable que le PS avec 42 courants qui se haïssent profondément… Et ça, pour moi, c’est autant une qualité qu’un défaut ! », s’exclame-t-il. Néanmoins, Charles ne doute pas que le gagnant de la primaire saura présider la France s’il est élu, car, selon lui : « Il en a les capacités intellectuelles et une équipe autour de lui prête à gouverner…».

Tel père, telle fille ? Pas si sûr ! Sarah, étudiante en communication mais qui rêve de se réorienter dans l’hôtellerie de luxe, n’a pas encore fait son choix. Elle veut voter pour un « grand candidat » car elle estime que donner sa voix à un petit parti peut mener à un nouveau 21 avril 2002 et Le Pen au second tour. Or entre Hollande et Sarkozy, son indécision reste entière d’autant qu’elle avoue, au contraire de son père, ne pas vraiment s’intéresser à la politique. Bref. Elle se décidera au dernier moment.

Pourtant dans son entourage, c’est très clair : les jeunes qu’elle connaît vont plébisciter en majorité le candidat de l’UMP « Mais je ne sais pas si c’est pour voter comme leurs parents ou parce que la plupart d’entre eux sont des Bourgeois… ». Et n’ont-il pas peur au vu des sondages ?« Je pense que si, un peu, car je vois sur Facebook qu’ils postent beaucoup de publications pro Sarkozy ou qu’ils écrivent que Hollande raconte des bêtises en disant qu’il est l’ennemi de la finance. Étant donné que Sarkozy est connu pour plus mettre en valeur les riches et que la plupart d’entre eux ont des parents qui gagnent bien leur vie, forcément…ils sont pour Sarkozy ! » conclut-elle en toute franchise.

17h30, les touristes et les voitures ont repris leur droits sur la Place de la Concorde. Dans trois semaines exactement, on saura si les « Sarkozy ! Sarkozy !» entendus quelques heures auparavant feront écho à ceux scandés le 6 mai 2007 pour renaître de leur cendres et offrir un nouveau mandat présidentiel à l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine. Ou si, le 6 mai 2012, une autre place exultera de joie et rosira de plaisir, de l’autre côté de Paris, à la Bastille, pour extirper une victoire endormie dans les méandres de l’Histoire politique française. Celle de la gauche à une élection présidentielle, 31 ans après le 10 mai 1981 et 24 ans après le 8 mai 1988…

Sandrine Dionys

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