Partie II – Le canal de l’Ourcq exporté clé en main

Avant que ce voyage en Écosse tourne au traquenard pour bibi, je dois l’avouer, j’en fus moi-même un.  Aidé par Abdenour, nous avons rendu les premiers temps du séjour impossible à vivre pour Vu-San. « Les Highlands !  Arrête-toi, fils de Mao, je veux prendre une photo ! », criait Abdenour à la vue du moindre buisson. Au bout de deux jours de voyage, effectué  dans une voiture de location, nous n’avons pas quitté la banlieue de Glasgow.

Nos arrêts intempestifs émoussaient si bien la patience de Vu-San qu’il explosa  le matin du troisième jour, au moment où Abdenour et moi avons sorti les slips de bain pour nous baigner dans un loch : « Bougnoule, boulet, c’est la même chose ! Vous êtes jamais sortis de votre banlieue ou quoi ?! C’est une mare ! C’est tout marron ! J’ai bu l’équivalent en scotch hier soir pour oublier que je voyage avec les boules de pétanque du Géant vert ! On est encore en milieu urbain, vous êtes au courant ?  Les Highlands, c’est dans 120 kilomètres bande de chiens de la casse ! »

Notre seule référence en matière de grand espace, c’était le Parc de la Mare à la Veuve, quatre hectares de verdure rachitique, nichés au cœur de Bondy Sud. Loin de nos bases, nous nous émerveillions d’un rien. Trois arbres réunis au bord de la route étaient à nos yeux une forêt gigantesque dans laquelle nous pouvions passer une heure ou deux à jouer au Seigneur des anneaux. Je fabriquais alors des arcs ou déambulait en slip dans les fourrés dans une imitation assez acceptable de Gollum. Debout en haut d’un arbre, Abdenour me donnait la réplique avec  le célèbre « Vous ne passerez pas ! » de Gandalf dans les Mines de la Moria, tout en jetant un long sortilège avec le bâton circoncis que Dieu lui a donné. Il atterrit avec des éclaboussures aux pieds de Cristalline qui, ivre de colère, insinuait assez fort pour que toute l’Ecosse entende, que nos mamans usaient de moyens forts peu catholiques pour nous vêtir de propre les fins de mois difficiles. « Ben quoi ?! On s’est bien arrêtés pour pisser non ? ! Fais pas ton Chinois de l’usine, profite de la vie un peu », répliqua avec un peu plus de politesse Abdenour avant qu’on ne reprenne la route.

Quelques miles plus loin, Vu-San triomphait. Après avoir franchi le sommet d’une côte, l’Ecosse, la vraie, nous fit  face brutalement. Le choc ! Comme si en jetant un coup d’œil avant de tirer la chasse d’eau, vous voyiez un joli dauphin bleu flotté en lieu et place de votre Rocher Suchard habituel. Papa était comme là : ce fût une immense gifle. Abdenour et moi nous sentions tout honteux d’avoir fait pleurer notre ami de la Chine, désespéré de nous voir gaspiller du temps à courser une chèvre lors de notre dernière halte, dans le seul but de nous munir d’une monture pour chevaucher contre le Mordor. Toutes ces précieuses heures à faire les cons dans des endroits dignes de Coulommiers, alors qu’à une heure de route, derrière une colline, belle et sauvage, l’émeraude de la couronne britannique répandait sa splendeur sur le monde. Nous n’étions qu’aux portes des Highlands et déjà, les montagnes déversaient mille torrents dans la vallée. Ces rivières coulaient pures et glacées entre nos doigts, elles étaient aussi nombreuses que les collines qui nous entouraient. Le vent, la terre, le feu et l’eau ont dû joyeusement partouzé pour réussir un si beau paysage.

Dans un monde parallèle dirigé par les moutons, ce pays doit être leurs États-Unis, je n’avais jamais vu autant d’herbe de ma vie. Elle avait le touché du velours, ça faisait des guilis sous les  pieds : « Remets tes chaussures,  tu vas faire un trou dans l’herbe! T’as ramené la France avec toi ou bien ? Ça sent les 360 fromages » me lança  Vu-San qui venait de pêcher une famille de poissons en les tuant avec un bain de pieds. L’ADN de la ville de Bondy transpire en chacun de ses enfants : le canal de l’Ourcq avait désormais un petit frère écossais.

Adam en se faisant virer du paradis a dû emporter les Highlands dans sa poche. Nous étions dans le décolleté de dame nature et la voiture qui nous y avait amenés me parut une insulte phénoménale faite à cette splendide terre vierge. C’était le printemps. L’air sentait la cannelle. L’Ecosse, pour nous faire bon accueil, avait prié sa grande amie la Pluie d’aller se faire cuire un œuf d’autruche. Le soleil brillait sur le pays comme la joie rayonnait dans mon cœur. J’avais l’impression de trahir la Kabylie, les plus belles montagnes du monde, car j’enviais les Écossais d’avoir préservé presque intacte la sauvagerie de leur pays. La pensée qu’Atlas ne pouvait avoir le loisir de se faire aussi beau gosse avec l’univers et les Berbères qu’il portait sur le dos me consola un peu.

Abdenour n’eut pas mes scrupules : « Arrêtes la drogue en sachet. Tu compares le bled à ça ?! C’est comme comparer Aquaboulevard au Pacifique. » Jamais mon ami n’avait été aussi fier des quelques poils roux qui parsemaient sa barbe. Il enfila le Kilt écossais made in China qu’il s’était acheté à l’aéroport de Glasgow et proclama à la face de l’Ecosse, en tenant son slip bien haut dans une main: « Vous pouvez me laisser ici les Francecouilles ! Je suis enfin chez moi ! »

En fait c’est moi que ces coyotes à foie jaune ont laissé. Au premier pub visité Abdenour insulta tout le monde dans un gaélique parfait,  parce que les gens nous parlaient anglais, la langue de l’envahisseur. Flattés par ce Moricaud en kilt,  les autochtones lui pardonnèrent vite ses grossièretés. Surtout, il était l’ami du  grand « Tsunami ! », titre honorifique donnépar les Ecossais à Vu-San après 10 jours de beuverie dans le pays.  Le soir de notre première étape, dans un petit bourg niché au fond d’une vallée, Pandi-Panda fut sacré maire du village en mettant une dérouillée au champion local, le vieux Mac Cormick, avec son propre Whisky qui plus est. Ce Tobies sans âge en avait distillé un plein tonneau avec un sac de patates et du liquide de refroidissement pour Panzer trouvé dans un camp de l’Afrikakorps, après la défaite de Rommel : « Tu demanderas à ta grand-mère comment on a fêté ça ! Je dois être l’ancêtre de tous les bicots qui ont trois poils roux sur le caillou ! », dit-il hilare à Abdenour, ravi d’un lignage qui le légitimait enfin comme un authentique fils du pays et des 65 moutons d’héritage légués par son nouveau grand-père avant qu’il ne sombre dans le coma. Au deuxième pub visité, je n’étais plus là…

A suivre…

Idir Hocini

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Avoir 30 ans dans les Highlands 1/4

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