« Tu te fais afficher de ouf ! » lance un copain à Kevin, 15 ans, en train de poser sous les flashs avec une ardoise qui annonce son nombre de contrôles policiers et sa ville de provenance. Le happening organisé samedi 29 octobre par le Collectif Contre le Contrôle au Faciès à Châtelet, au centre de Paris, n’a aucun mal à recruter des candidats. Le concept : se faire photographier et témoigner pour une opération de communication diffusée le 7 novembre sur le site stoplecontroleaufacies.fr aux côtés d’artistes et de célébrités dans la série « Mon premier contrôle d’identité ».

Parmi les passants interpellés, essentiellement des jeunes, beaucoup disent avoir « l’impression de bénéficier de l’intérêt particulier de la police. » comme le raconte Fatah, 24 ans d’Epinay-sur-Seine, étudiant en Sciences politiques à Paris VIII et  qui a rejoint le collectif récemment. « C’est la première fois qu’on mettait des mots sur le phénomène que je vis au quotidien. Le contrôle au faciès, c’est ma réalité. Cette année, je me suis fait contrôler 15 fois. Avec mes potes, dés qu’on voit passer une voiture de police, on a cette crainte. Pour moi à chaque fois, c’est une humiliation et puis ça me fait perdre du temps… En plus, c’est un frein à la citoyenneté et au vivre ensemble car il y a une vraie défiance entre les jeunes et la police à cause de ces contrôles à répétition…».

Sihem Souid, auteur du livre Omerta dans la police et flic exclue pendant 6 mois par Claude Guéant pour ses prises de position publiques, est venue apporter son soutien à l’opération : « Bien sûr qu’il y a des contrôles au faciès dans la police ! Je l’ai vu… Un Français (non issu de l’immigration) avec un attaché-case ne se fera pratiquement jamais contrôler et aura donc plus de chance d’échapper à la justice à cause des contrôles quasi systématiques des personnes avec des noms à consonance africaine qui focalisent toute l’attention.» Pourquoi ? « Le système est ainsi fait. C’est ancré dans la tête de certains agents de police : ils contrôlent en priorité les jeunes, les noirs et les arabes. Et puis la politique du chiffre n’a rien arrangé… » déplore la jeune policière devenue chroniqueuse au Point pour palier à sa suspension de salaire.

Le recrutement de plus de policiers issus des minorités visibles ne modifie-t-il pas la donne ? : « Non, ça ne change rien. Car la pression du groupe pèse comme une épée de Damoclès sur les collègues noirs ou d’origine maghrébine. Pour éviter d’être soupçonnés, ils font autant de contrôles au faciès sinon plus que les autres… Pour qu’évoluent les mentalités, il faut vraiment que le système au sein de la police soit réformé : Selon moi, ça doit passer par une formation différente, la mise en place d’un comité d’éthique indépendant et le ticket de contrôle » conclut la jeune femme.

Le ticket de contrôle est également une revendication de l’association Les Indivisibles qui participait à l’organisation du happening. Pour Gilles Sokoudjou, son président , « Le contrôle d’identité est le seul acte policier qui ne laisse aucune trace écrite. Un ticket de contrôle serait une preuve pour le policier qu’il n’y a pas eu d’abus et permettrait à la personne contrôlée de montrer qu’elle est en règle et d’échapper aux contrôles multiples. Car les chiffres sont accablants. Une étude, réalisée par le CNRS, démontre que les jeunes, les maghrébins et les noirs sont surcontrôlés… Récemment, le chanteur Keziah Jones fut la seule personne parmi tous les passagers de son Eurostar à être contrôlé à la descente. Ça l’a révolté ! Il a décidé de porter plainte et de rejoindre notre action».

Le collectif Contre le Contrôle au Faciès déclare promouvoir une pratique du contrôle d’identité respectueuse des droits de chacun et plus efficace dans la lutte contre la criminalité et la protection des citoyens. À cette fin, il organise une action en justice sans précédent pour mettre fin au contrôle au faciès et exiger donc la mise en place du reçu du contrôle d’identité, contresigné de la personne contrôlée, avec l’heure, le lieu, la date, le motif légal du contrôle, le contexte menant à la suspicion, le résultat du contrôle et le respect ou non de la procédure par le policier.

Et devant le Fontaine des Innocents à Châtelet, les militants distribuent des petites cartes noires et jaunes pour inciter les gens à envoyer le mot CONTROLE au 07 60 19 33 81 à chaque contrôle hors véhicule sans motif. Leur message promet de les rappeler en 24h afin de centraliser les informations et organiser l’action en justice. « Chacun peut agir à son échelle, en rejoignant nos actions en cours, sur le groupe « Action contre les contrôles abusifs » sur Facebook , ou en proposant de nouvelles initiatives permettant de diffuser dans son quartier les informations et le numéro. » répètent à l’envie les jeunes activistes du Collectif.

Car pour ses membres, si l’alinéa 3 de l’article 78.2 du Code de la Procédure Pénale stipule notamment que : « Toute personne peut être contrôlée de manière préventive pour assurer l’ordre public », cet article ne justifie en rien de concentrer les contrôles sur les jeunes ou les minorités visibles. Baser sa décision sur l’apparence (et non le comportement) d’une personne constitue pour les associations engagées dans ce happening une discrimination. Le fameux «contrôle de routine» n’existerait pas au regard de la loi et serait donc illégal…

Kevin n’a pas dit si dans son quartier de Montereau, dans le 77, il incitera ses amis à enregistrer le 07 60 19 33 81 dans leur portable mais il n’ignore plus que les contrôles réguliers qu’il subit peuvent être signalés et recensés via cette plateforme téléphonique : « Je ne savais pas qu’être contrôlé sans raison plusieurs fois par jour, c’était anormal… Je pensais que la police faisait juste son travail. J’étais habitué… ».

Sandrine Dionys / Article publié initialement le 1er novembre 2011.

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