Certains Bondynois pratiquent l’islam comme si l’archange Gabriel avait préféré le sable de Malibu Beach à celui de La Mecque, pour dicter le Coran. Preuve en est cette pratique religieuse que le monde entier nous envie : le ramadan américain. Forme typiquement locale de l’ascèse qui permet de casser le jeûne avec un Bounty, caché dans un buisson à midi, ou de chercher du pétrole dans la bouche de sa petite amie, 5 heures avant le coucher du soleil.

A ce propos jeunes filles, tentées par l’expérience exotique du petit ami maghrébin doublée du syndrome de Stockholm du petit copain bondynois rustre au possible ; ayez une petite pensée pour votre tendre et cher : ne vous brossez pas les dents si vous mangez du jambon Aoste à midi. Le ramadan américain permet cet échange de chocolaterie rose bonbon entre amoureux. C’est même mieux de faire ainsi d’après cheikh Roger, imam de la mosquée Le Tizi Ouzou, salle de prière, bar tabac Pmu.

Le ramadan Los Angeles déborde parfois sur d’autres pratiques de l’islam. Mon ami Driss Ahmoudi sans vouloir le dénoncer – 103 rue des acacias, Cités des fleurs, étage 8, porte à gauche, chambre du fond, lit du haut,  07 33 21 45 78, sexymuslim@gmail.com, mot de passe : fleurymichon44 – fait ses cinq prières par jour en short jaune et en maillot du PSG avec dans les oreilles, la musique de Flash Dance poussée à fond.

Une fois immergés un temps assez long dans l’ambiance déjantée de notre ville, une grosse poignée de musulmans semblent avoir reconsidéré les termes du contrat qui les lient à la Umma (communauté des croyants). Ils pratiquent une nouvelle forme de leur religion : l’islam Adecco.

L’islam Adecco c’est Manpower, la religion par intérim, on coche les pratiques auxquelles on veut se soumettre et on laisse au placard celles qui nous ennuient. Faire ses cinq prières par jour tout en collectionnant les cuites est possible à Bondy, et personne ne s’étonne plus de voir une jeune midinette débouler en mini-jupe dans la mosquée pour chercher son boy-friend après la prière du vendredi.

Ces adeptes du Coran Folio Junior choisissent de pratiquer en intérimaire pendant un moment donné, lors d’un coup de blues ou durant le ramadan, estimant qu’il est plus grave de pécher durant ce moment fort de la spiritualité musulmane. L’impact de cet usage est directement observable : l’explosion des ventes de préservatifs sur notre territoire, une fois le mois sacré achevé. Les bouchons sur la National 3 sont aussi un corolaire de cette pratique : les routes vers Amsterdam sont prises d’assaut dès le jour de l’Aïd.

Le ramadan américain, l’islam Adecco, je sais, vous allez dire : encore une de ces idireries fruit de mon imagination qui a la gastro. Mais pas du tout !  Sur le courant électrique, j’ai vu cette hérésie se répandre dans Bondy comme une goute de diabolo versée dans un demi-verre d’eau. Moustafa Meziani, camarade de seconde, fut le premier à pratiquer le ramadan du buisson au grand jour, il y a un peu plus de dix ans de cela. Faut dire,  je l’ai un peu aidé à faire son coming out.

Nous étions à l’époque tout deux au lycée Jean Renoir. En plein ramadan, cet excellent tribun de la plèbe, passa  la récréation du matin à vanner, avec grand  talent, les Kabyles sur leur supposée mauvaise pratique de la religion ; bien que cette région doit compter, au bas mot, une mosquée pour 15 habitants, bâtie au frais du fidèle, bien sûr. Le public hilare approuvait, car il reconnaissait à Moustafa une certaine autorité sur la question : son père est imam, il prie depuis qu’il a 11 ans, et sa grande sœur a épousé un acteur kabyle, premier rôle dans les pubs pour les saucisses Herta.

Sans rien dire, j’avais laissé ce religieux me tailler, à moi et mes ancêtres, un costume que n’aurait pas renié Papa Wemba, pape congolais de la sapologie. J’avais pourtant à l’époque un excellent verbe, mais à quoi bon rétorquer ? Molière m’avait, en classe de sixième, fait la leçon sur les faux dévots. Car Moustafa était en ce temps là un Tartuffe, ça se voyait gros comme un porte-avion. Il prêchait l’islam comme un commercial de téléphonie. A l’époque, être pratiquant c’était être dans le vent au lycée. Or la religion, c’est comme les frites Mc Cain : c’est ceux qui en parle le moins qui ont font le mieux. Le dalaï-lama, Jean-Paul II et Rabbi Jacob partage cette qualité que possèdent tout bon croyant : l’humilité. Moustafa, qui affirmait descendre du prophète par sa mère, en manquait un poil de barbe.

Pourtant, c’est celle du père Noel adolescent qu’il portait ostensiblement. Autre preuve de sa grande foi, il avait  tuné son tapis de prière fluo avec des diodes rouges sur le côté pour que personne n’ignore sa dévotion. Conclusion : ça sentait le souffre. Il y avait anguille sous roche, voire cachalot sous rocher. C’est le syndrome Lancelot. Ce modèle de vertus chevaleresques, n’a-t-il pas essayé de serrer la femme de son meilleur ami et roi ?

Toute vérité se sait un jour, des fois dans l’heure. La récréation venait à peine de s’achever que j’ai dû m’absenter du cours de chimie pour déposer des amis à la piscine, si vous voyez ce que je veux dire. Non vous ne voyez pas? Bon… J’étais parti faire caca. Le ramadan agit sur mon transit intestinal comme le chassé croisé juillet/août sur l’A6.

Pendant que je faisais mon affaire, j’entendis un petit bruit dans les chiottes d’à côté. Un léger bruissement de feuille, inaudible pour le commun des mortels. Mais un ado en pleine croissance, et surtout en plein ramadan, qui habituellement bouffe en une semaine son poids en kebab, sait reconnaître le son d’un Bounty chocolat blanc qu’on ouvre, à 15 kilomètres à la ronde. Je me serais dis : « Encore un crevard qui bouffe en Chleuh», si je n’avais pas entendu en sus, ce petit bruit de bouche, expression d’une délectation souveraine, le même que je faischaque soir à la rupture du jeûne. Mais si, c’est bien sûr ! Dans les latrines d’à côté, on casse le ramadan, en furet, à la ragondin, en plein cagnard,  à 14 heures, sans que Dieu et Radio Beur l’aient permis !

De la mécréance dans ce lieu sacré pour tous les hommes de la terre, quel horreur ! Tel un sultan sur son trône, je m’insurgeai dans les cabinets contre toute cette diablerie. C’est vrai quoi, le ramadan vous vous en tapez peut être le cul par terre les infidèles, mais admettez : on ne mange pas ou on chie. De Vishnou au culte d’Apple, ça change pas la règle ça, merde !

Le djihad peut commencer dans les endroits les plus impromptus de ce bas monde. Séance tenante, j’interrompis le coulage de mon bronze, remonta mon pantalon avec la vélocité d’un amant qui entend du bruit dans le couloir, me positionna façon ninja en face de la cabine du crime et lança du fond de la gorge un vigoureux « Allah Wakbal ! » avant de foutre un gros chassé dans la porte des chiottes d’à côté.

Le verrou s’envola dans les airs, un Bounty à moitié commencé aussi, et Moustafa, la bouche couverte de chocolat, péta de terreur. Je n’avais pas encore ma carte de presse, mais déjà, je savais reconnaitre un scoop. Celui-ci était un dossier façon KGB. La bibliothèque François Mitterrand en vannes. Un mec qui gueule sa pratique orthodoxe de l’islam jusqu’à la nausée, surpris en faute tel Gargamel sifflant de la salsepareille et bécotant la Schtroumpfette au lieu de la bouffer… A 17 ans, la vie de Mostafa était finie.

« Je manque de fer, j’ai une ordonnance du médecin ! », supplia presque ce musulman Randstad.  Faisant fi de ce pathétique mensonge, je répondis au taquet : « Arrête Moustafa. Tu sais, ça arrive à tout le monde de craquer. T’inquiète, on est tous les deux Algériens mon frère, ça reste entre nous…».

C’est immensément soulagé qu’il retourna en cours de chimie me laissant avec 4 kilos de louanges sur ma bonté. C’est vrai, j’ai un très bon cœur, mais un cœur de Kabyle. Celui-ci n’a pas super bien goûté les saillies de Moustafa à la récré sur Matoub Lounes, chanteur berbère sacrifié sur l’autel de la liberté et homme sacré pour nous. « Si l’on te fait du tort, souffre et tais toi. Mais si tu es un homme souviens-toi », disait-il dans une chanson.

Je rejoignis plus tard mes camarades en cours de chimie, en sifflotant de la musique kabyle comme si de rien. J’arrivais au moment ou la prof demanda à la classe de réciter la formule du saccharose. Comme pour m’excuser de mon absence, ma main se leva. Moustafa, arrivé un peu avant moi, me souriait. J’étais devenu en l’espace de deux minutes son meilleur ami.

La prof me donna la parole : « Pour la formule du saccharose, demandez à Moustefa, il y en a plein dans le Bounty qu’il vient de manger en cachette dans les toilettes !» dis-je en montrant la preuve du délit, que j’avais pris soin de ramasser, à toute la classe.  Ce magnifique coup d’hallebarde dans le dos de mon camarade fit rire aux éclats cette dernière, prof y compris. Lui je crois qu’il pleurait. Un tombereau de vannes s’abattit immédiatement sur sa tête. Sa couverture de pieu musulman était tombée comme un château de carte bâti sur du verglas.

La prof de chimie qui détestait Moustafa, parce qu’il avait fait tourner dans la classe une pétition pour avoir de la viande halal à la cantine, saisit, telle Jeanne Azuki, la balle au bon. Dès que la classe se calma un peu, elle dit: « Faites voir Idir. Oui tout à fait, d’après l’emballage de ce Bounty que vient de manger Moustafa – en cachette – il y a du saccharose. Une bouchée couvre les besoins en sucre d’un sportif de haut niveau pour la journée. La formule donc est, Moustafa, petit mécréant, comme  vous en avez plein l’estomac, on vous écoute ? Vous ne dites rien ? Vous ne savez pas ? 0/ 20 ! »

De l’eau a coulé sous les ponts depuis cette histoire, Moustafa est devenu quelqu’un de très bien, moins grande gueule et plus logique dans sa pratique religieuse. N’empêche que 13 ans après on continue encore à le vanner à la mosquée pour cette histoire. Les dossiers sont des séquoias à Bondy, ils ont la vie dure.

Ceux qui font l’histoire, ou la raconte, partagent un point commun : il parle toujours aisément de la paille qui se trouve sous les paupières des autres mais jamais de la poutre qu’ils ont dans l’œil. Une fois n’est pas coutume, je me lance ! J’ai dit un jour au petit Bassidji iranien, délateur et gardien des bonnes mœurs, qui sommeillait alors dans le creux de mon estomac vide, d’aller se faire cuire bien fort un œuf d’autruche… En 2008, deux jours avant la fin du mois sacré, j’ai fait le ramadan américain en téléchargeant L’Hôpital sans culotte 3 sur émule. Mais attention ! J’ai attendu l’Aïd pour le regarder…

Idir Hocini

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