« No future ! » Cette sentence que répète David Cox plusieurs fois tombe comme un couperet. Et il enfonce le clou : « Mes enfants n’ont pas d’avenir et ça me terrifie ! La Grande-Bretagne n’est pas un pays heureux ». L’ambiance cosy du Perfect blend, un café du quartier populaire de Streatham au sud de Londres, contraste avec les propos âpres du londonien, en ce lundi d’été ensoleillé. Car David, derrière son allure « bien dans sa peau », prenant soin de lui dans la salle de gym du coin qu’il fréquente assidument, est un punk. Ou plutôt, il observe les prophéties des Sex Pistols, les icônes de ce mouvement, se réaliser sous ses yeux pour ses 50 ans, lui qui en avait 15 quand Johnny Rotten et ses comparses hurlaient « Anarchy in the UK » dans leurs enceintes saturées. « Ce qu’ils chantaient dans leur « God save the queen » est devenu réalité. Sauf qu’au moins, eux, ils croyaient encore qu’ils pourraient changer les choses. C’est la différence avec moi. Je ne crois même plus en la politique… »

Un marginal, David ? Bien au contraire ! Écrivain et co-auteur avec Tim Willocks d’un livre à succès pour adolescents, Doglands, qui se vend très bien en France, cet ancien de chez Disney est parfaitement intégré à la communauté de son quartier. C’est d’ailleurs Lindsay Johns, écrivain également, 36 ans, et blogueur régulier du journal à grand tirage, The Daily Mail, qui a pris l’initiative de le convier à la table de notre conversation sur le thème « Émeutes de Londres, un an après ». « Deux interviews « pour le prix d’une » ! J’ai pensé que ça pourrait vous intéresser » lance Lindsay, un sourire au coin des lèvres, sachant déjà qu’ils ne partagent pas la même vision des choses, surtout au sujet des jeunes qui ont pris part aux violences urbaines.

David, fils d’ouvriers irlandais qui a grandi dans le quartier de Hammersmith, dans un contexte familial difficile, a de l’empathie pour les jeunes « hoodies » (encapuchonnés). Il les comprend et se compare même à eux : « J’étais un adolescent dur, je ne foutais rien à l’école. J’ai flirté avec la petite délinquance… Heureusement à 30 ans, j’ai eu le déclic et décidé de prendre mon destin en main. Je suis allé à l’Université pour obtenir un diplôme. Mais si j’avais 15 ans aujourd’hui, je n’aurais pas d’espoir. Quand j’étais gamin, au moins on croyait au futur… Petits, dans les années 1960, on avait foi dans la science : on rêvait même qu’on irait vivre sur Mars… Aujourd’hui, non seulement on sait que ça n’arrivera pas mais qu’en plus, notre planète est menacée dans son environnement… Autre exemple, quand j’étais ado, on savait que dés qu’on aurait un peu d’argent, on pourrait économiser pour s’acheter un logement à crédit. Aujourd’hui, avec le coût de l’immobilier, c’est impossible : un jeune qui ne vient pas d’un milieu aisé sait qu’il ne pourra jamais financer un appartement. Au mieux, s’il a de la chance, il pourra hériter de celui de ses parents quand ils décèderont. »

 

David comprend la colère des jeunes qui s’est manifestée à Tottenham mais il pense que leur « stratégie » de « la vitrine cassée » pendant les émeutes d’août 2011 fut stérile car elle n’a débouché sur aucun mouvement ou aucune lutte politique. « A part faire des photos quand ils se réunissent quelque part et les mettre sur Facebook, les manifestations de cette génération, ni ne servent, ni ne mènent à quelque chose ! » déplore David. Il croit même que les émeutes de l’an dernier n’ont eu aucun impact, si ce n’est de renforcer le pouvoir du gouvernement dans le contrôle des citoyens. Pour David, ces émeutes auraient surtout bénéficié à l’État pour « le flicage » et le recueil des données personnelles. De plus, selon ses sources, si la police serait si peu intervenue au début des troubles, ce ne serait pas par incompétence ou désorganisation mais parce qu’elle aurait reçu la consigne de ne pas bouger… Il cite l’exemple du district de Clapham où 30 policiers auraient reçu l’ordre de ne pas intervenir pendant plus de deux heures, alors que le quartier était livré à la violence et au pillage. Sous entendu, « à qui profitait le crime…» Selon David, rien ne s’est amélioré depuis, pour ces jeunes ni pour la population en général. Il est même pessimiste pour la suite : « Quand on voit l’argent qui a été dépensé pour le jubilé du couronnement de la reine alors que tellement de gens sont touchés de plein fouet par la crise… Là, c’est l’euphorie des JO mais dans quelques mois, le pays risque de se réveiller avec une énorme gueule de bois post-olympique et jubilé ! Et les émeutes possiblement de recommencer… »

Lindsay écoute les propos de David avec attention. Pour lui aussi, très peu de choses ont changé depuis un an, voire ont  même empiré : « Un des aspects négatifs des « riots », c’est que la société pense qu’avant ces événements, elle n’avait pas assez écouté ce que les jeunes avaient à dire… Or pour moi, le problème n’est pas là. Honnêtement, qu’est-ce qu’un môme de 14 ans connaît sur le monde ? Au lieu de plus les écouter, à nous de nous préoccuper sur ce que les adultes ont à transmettre à cette génération ! Certains parents ont démissionné, le système scolaire public est en échec : je pense que la solution est de plus et mieux éduquer nos jeunes plutôt que de les plaindre sans cesse… »

Lindsay porte un regard sans concession sur certains qui ont participé aux riots, lui qui s’investit bénévolement auprès de jeunes défavorisés… « Lors des pillages, personne ne me fera croire que ceux qui ont cassé et volé dans les quartiers de Clapham, Croydon ou à Manchester l’ont fait pour se venger de la mort de Mark Duggan ou par révolte sociale ou raciale… C’était juste une super opportunité de faire du shopping… gratuitement ! Ok, en 1981, les émeutes de Brixton avait un contexte socio-racial mais en 2011, à part le point de départ de la guérilla urbaine localisée dans le quartier de Mark Duggan à Tottenham, non ! Ce n’était pas le cas…»

Lindsay, sous le regard de David, tellement plus compréhensif que lui envers cette jeunesse, se justifie un peu : « Et au risque de passer pour un vieux réac, je pense que la culture du rap bling-bling que des jeunes vénèrent et dont ils veulent adopter le style de vie fait des ravages dans les quartiers en imposant un nouveau paradigme de la masculinité… »

Néanmoins Lindsay revendique une vision plus optimiste de la société britannique que David. Pour lui, par exemple, la Grande-Bretagne de 2012 est moins raciste et plus multi-culturelle qu’avant, même si cela n’empêche pas certains dérapages… Il cite notamment le cas de The Voice, le plus ancien et célèbre média de la communauté noire qui avait été privé d’accréditation officielle pour couvrir les Jeux Olympiques ! La révélation du scandale par le journal de gauche The Guardian a permis une mobilisation des internautes avec une pétition en ligne contribuant à rectifier le tir et à accréditer ses journalistes. « Mais cela indique qu’il reste encore du chemin à parcourir pour faire changer les mentalités ! Pourtant plus de 50% de la population londonienne est issue des minorités ethniques ! Autre exemple : ça a fait grincer les dents de certains qu’un des personnages, un agriculteur, du plus célèbre feuilleton anglais diffusé sur Radio 4, « The Archers », soit noir… Moi au contraire, je pense que de faire jouer un paysan par un noir est une super idée : on sort du stéréotype du Black qui ne peut être représenté qu’en rappeur ou en sportif ! »

David termine son cappuccino en buvant les paroles du blogueur du Daily Mail mais est interrompu dans son écoute par une interrogation : « Alors David, quelle serait la solution pour sortir du No future ? »  «Je ne vois qu’une chose. Que ce système bancaire, économique, politique corrompu, et qui a échoué, s’écroule, une bonne fois pour toute, et qu’on bâtisse un nouveau modèle de société…» En somme, tout casser pour tout reconstruire. So… Punk is not dead !

Sandrine Dionys

Lire les articles parus en août 2011 sur les émeutes à Londres :

Emeutes en Grande-Bretagne : le miroir grossissant des médias

Pourquoi ces émeutes en Angleterre ? Réponses choc

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