J’aurais pu vous conter la vie paisible que mènent les habitants de Leh, non loin de la frontière tibétaine. Vous décrire la verdoyante beauté des montagnes qui surplombent Manali, dans l’Himachal Pradesh. Ou même vous raconter l’histoire de ces hippies, installés en masse dans cette région de l’extrême pointe nord-est du sous continent. Mais c’est de la route reliant ces deux villes dont je vais vous parler aujourd’hui. Des routes en Inde plus généralement. Du réseau de transport tout entier en fait. Et de son fonctionnement. Ou plutôt de son incapacité a fonctionner correctement.

Cette route donc. Il est seize heures environ. Le minibus dans lequel je suis monté roule à vive allure. La frontière de Jammu et Cachemire est passée depuis longtemps, et le paysage rocailleux du Ladakh, une sous partie de la précédente région, a laissé place à de vertigineuses forêts de pins. Nous approchons du sommet et la descente vers Manali va s’amorcer. Une coutume locale s’invite alors dans la partie. Le brouillard recouvre en un instant la totalité de la voie. La pluie a elle aussi fait son travail de sape. La terre de la route est devenue boue. Les pneus crissent, les véhicules s’embourbent. Bien vite, c’est la pagaille. Tout le monde s’arrête. Comme bien souvent ici, personne ne sait rien.

Une quinzaine de minutes plus tard, on repart. Pour quelques centaines de mètres seulement. Pendant ce temps, un homme fait griller du maïs et court à droite à gauche l’apporter aux passagers. Véritable numéro de funambule, coincé qu’il est entre la route et le précipice qui lui fait dos. Cet homme est bien la preuve qu’ici la situation n’a rien d’anormale.

Un autre quart d’heure d’attente et le cortège de s’ébranler à nouveau, dans un incessant concert de klaxons. Le goudron a maintenant repris possession de la voie. Tout semble aller pour le mieux. Le pilote qui fait office de chauffeur prend tous les risques. Manali se rapproche. Mais on est en Inde.  Nouvel arrêt. Cette fois-ci, un camion a percuté un bus dans l’un des tortueux virages de la route. De là, la situation devient ubuesque. L’affaire semble prendre une tournure de première importance. L’armée indienne est sur les lieux. Une centaine d’hommes en treillis militaire est postée dans l’un des virages surplombants. Mais aucun n’agit. Ils regardent, rigolent. L’un d’eux prend des photos. Un autre est occupé à faire descendre un homme, qui s’est mis en tête de monter sur le toit du camion. Un troisième s’approche de l’accident. Il s’accroupit … et ramasse un pissenlit, qu’il contemple désormais avec intensité.

Quarante minutes plus tard, le chauffeur du camion tente une manœuvre qui semble des plus évidentes : une marche arrière. Et ça marche. Pourquoi diable n’y ont-ils pas pensé plus tôt ? Toujours est-il que personne ne semble tenir rigueur de cette situation. Et chacun repart. Nous arrivons à Manali avec deux heures de retard sur l’horaire prévu. Un classique. Un de mes compagnons de route me raconte qu’il a dû attendre douze heures dans le bus entre Jammu et Srinagar. Une pierre était tombée en travers de la route.

C’est la façon dont se passent les choses ici. Idem pour les trains. Ne rien prévoir est plus prudent. Se laisser porter. On arrive à l’heure ou on doit arriver. Et tout le monde fait avec. Seul le métro (je n’ai vu que celui de Delhi) semble échapper à ce concept local. Demain, je vais a Amritsar, au Punjab. Dix sept heures de bus sont prévues. On verra ce qu’il en est.

Hugo Nazarenko-Sas

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