Ken Hinds est un pilier de sa communauté d’Edmonton dans le nord de Londres.  Ce « youth worker » a reçu plusieurs distinctions pour son travail d’éducateur spécialisé dans la médiation entre gangs rivaux. Depuis plusieurs années il collabore régulièrement avec la police en tant que consultant et pourtant ses relations quotidiennes avec les forces de l’ordre laissent à désirer. « Je suis contrôlé et fouillé environ 5 à 6 fois par an. Ça a commencé quand j’avais 13-14 ans et j’en ai 50 maintenant, faites le compte ». En 2007, Hinds a été témoin d’une arrestation d’un jeune adolescent noir. Alors qu’il s’était simplement stoppé pour assister à la scène, les policiers l’ont appréhendé pour outrage à agent et comportement dangereux. Deux ans plus tard, les charges étaient abandonnées lorsque la Cour constata que les témoignages des policiers étaient « suspicieusement semblables ».

L’expérience que fit Hinds des contrôles policiers étant adolescent définit sa perception de la police comme étant « l’ennemi ». « Très vite j’ai réalisé qu’il y avait deux camps et que la police n’était pas dans le mien. Je sentais que je ne pouvais pas approcher la police quand j’avais un problème. Je le réglais moi-même ». Ce manque de confiance et de communication a été à l’origine de plusieurs des nombreuses émeutes urbaines que connut le Royaume-Uni ces dernières décennies.

En 1981, Brixton , un quartier populaire du Sud de Londres s’enflamma pendant près de quatre jours. A l’origine des émeutes, un profond marasme économique touchant l’ensemble du pays et plus particulièrement la communauté afro-caribéenne. Pour ne pas arranger les choses, un malaise durable s’était installé entre les forces de l’ordre et la population locale à la suite d’une série de crimes raciaux n’ayant pas fait l’objet d’enquêtes appropriées. Alors que la présence policière était largement vécue comme une intrusion, une large opération de police fut lancée, avec près de 1 000 personnes contrôlées et fouillées, la plupart étant d’origines jamaïcaines.  S’ensuivit un scénario d’émeutes urbaines classiques. Mais contrairement à l’épisode français de 2005, le Parlement entama de suite une enquête menée par Lord Scarman. Les conclusions furent édifiantes et montrait que l’attitude de la police empêchait tout lien avec les communautés et remettait en cause la paix civile sur le long terme.

En 1984, une loi (PACE pour Police And Criminal Evidence Act) remit à plat toutes les pratiques policières. Cherchant à maintenir un équilibre entre libertés individuelles et efficacité des forces de l’ordre, elle imposa la remise automatique d’un reçu lors de chaque contrôle policier. Il fallut attendre 1991 et le passage du Criminal Justice Act pour que les forces de l’ordre soient sommées d’éviter toutes discriminations à fondements ethniques, sexuelles ou autres. The Home Secretary (ministre de l’intérieur) est ainsi obligé de publier des données concernant l’application de cette loi depuis 1995. Ces données, que de nombreuses associations comme Stop le contrôle au faciès réclament en France, ont plusieurs utilités. Même si elles n’ont pas permis de réduire le phénomène, elles ont donné l’occasion aux associations de révéler au public des chiffres édifiants.

En Mars 2010, la Equality and Human Rights Commission publia un rapport très détaillé révélant qu’un Noir anglais avait six fois plus de chances d’être contrôlé et fouillé qu’un Blanc, alors que les Asiatiques avait deux fois plus de chances. L’association n’hésitait pas à désigner les mauvais élèves : la région du Dorset, Hampshire, mais aussi les quartiers de Londres où éclatèrent un an après d’importantes émeutes urbaines. Bien qu’étant assez édifiant, le rapport réserve une large section aux bonnes initiatives, soulignant les différentes solutions qu’ont les pouvoirs publics pour diminuer les contrôles au faciès. A plusieurs reprises, l’association somme les autorités de prendre des mesures et menace d’entamer une action en justice si les résultats ne suivent pas.

Conscient du poids que ces statistiques apportaient aux arguments des associations, le gouvernement Cameron légiféra en 2009…afin de réduire la traçabilité des contrôles, revenant ainsi 20 ans en arrière. La France de son côté n’a jamais expérimenté une mesure allant dans le sens d’une limitation des contrôles au faciès.

Rémi Hattinguais (Londres)

Filmographie : Babylon, directed by Franco Rosso, 1981. Film où transparait l’ambiance entre policiers et habitants du quartier Brixton avant les émeutes de 1981.

Extrait : Intervention de la police lors d’un concert de Reggae : « Cant Take no more of that » « On ne peut plus encaisser ça ».

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