Depuis l’âge de 13 ans, je prends le RER quasi quotidiennement afin de me rendre en cours, d’aller chez des amis, visiter Paris, faire souffrir le portefeuille de mes parents à Rosny 2 ou encore passer chez la famille. Et il m’a fallu peu de temps pour me rendre compte que ce train contenait un monde à part entière. En effet, j’y ai vécu bon nombre d’histoires peu banales. Certaines marrantes, d’autres bien moins puis certaines me permettant de mettre de côté tous les préjugés idiots véhiculés par certaines personnes. La plupart des gares possèdent une atmosphère propre. Le RER E dessert les gares allant du centre de Paris (Saint Lazare) jusqu’au fin fond de la Seine-Et-Marne (Tournan-en-Brie ou Chelles), en passant par la Seine-Saint-Denis ou encore le Val-de-Marne (circuit peu exotique je vous l’accorde mais diversifié quand même). Du haut de mes quatre années d’expérience ferroviaire sur la ligne E, je vous propose d’être humblement votre guide. Montez avec moi dans le train de Rosny-Sous-Bois Direction Saint Lazare.

La gare de Rosny possède la caractéristique d’avoir dans ses alentours de nombreuses personnes ivres mortes dès que la rosée du matin caresse le bitume de ma rue. Deux minutes après, le train s’arrête à  Rosny-Bois-Perrier, descendez-y si vous comptez mettre un K.O. à votre compte en banque ou encore si vous voulez aller voir les films nouvellement sortis. La gare suivante est celle de Noisy-Le-Sec, une vraie fourmilière entre son tram, et son arrêt du 143 où attendent au bas mot 50 personnes : place à la bagarre pour pouvoir trouver une place dans ce transport en commun direction Gare de Rosny RER. Si vous continuez plus loin avec le RER, vous arriverez à Magenta puis à Saint-Lazare : Gares souterraines parisiennes composés de kilomètres de passage souterrains où il est facile de se perdre ou de se faire attraper par les contrôleurs.

En revanche si vous vous arrêtez à Noisy-le-Sec pour prendre le RER direction Chelles, alors l’ambiance est toute autre : premier arrêt gare de Bondy, descendez-y un jour de marché, vous serez totalement dépaysé et y entendrez un grand nombre de langues différentes. Commerçants pakistanais, indiens, arabes, français… vous serez en contact au bas mot avec quatre cultures différentes, avec le poissonnier et la fleuriste qui vous donnent l’occasion gratuite de vous abimez les tympans. Vous y trouverez aussi des montres à 3 euros, une chaussette… Sans celle qui va avec. La gare suivante est celle du Raincy-Villemomble-Montfermeil : témoins de Jehova présents dès le lever du soleil à essayer de vous vendre leurs prospectus « Réveillez-Vous », nous expliquant que nous sommes tous des pêcheurs inconditionnels et que nous allons mourir dans d’atroces souffrances si l’on continue sur cette voix. Ou encore l’homme qui porte à sa bouche une pipe enroulée dans de l’aluminium sans pour autant fumer, le regard affolé et qui répète sans s’arrêter « Pourquoi elle est partie, pourquoi elle est partie, pourquoi… »

Les gares ne sont pas les seuls endroits originaux du RER, les quais aussi : si vous ne croisez pas une seule personne ivre morte sur le quai alors que vous prenez le RER au moins deux fois dans la semaine, alors je ne m’appelle plus Tom. Ce genre de personnes me donnent souvent de bonnes occasions de rire : elles dansent sur le quai, créent un monologue de 15 minutes oubliant ainsi de monter dans leur train, vous parlent sans pour autant réellement communiquer avec vous… Mais les deux histoires qui m’ont le plus marquées sont les suivantes : le quai du Raincy est calme, lorsque l’on voit une main sortir des escaliers souterrains, armée d’une cannette de bière bon marché. L’homme sort de l’anonymat que lui procurait le souterrain et se dit à lui-même assez fort, « moi j’aime pas les cons, j’aime pas non plus le travail Et… J’aime pas les mouches… Tiens j’aime pas les mouches » puis s’allonge et s’endore allègrement devant les escaliers. La deuxième m’est arrivée récemment gare de Noisy, un mec complètement ivre s’est mis à uriner copieusement sur la cage de l’ascenseur puis est allé s’enfermer dans les bacs de sables jaunes au fond du quai.

Aussi, que serait le RER sans ces personnes qui mettent leurs musiques pourries à fond dans le wagon, avec leur portable d’où sort un son de très médiocre qualité, ces radicaux écologistes qui vivent bio, surtout lorsqu’il s’agit de fumer, ou encore ces personnes qui parlent tellement fort que l’on entend leur réflexions intelligentes sur les génitrices ou bien « Moi une fois j’suis arrivé, tranquille, y a quinze mecs ils sont venu m’embrouiller, et j’te jure sur la tête de ma mère j’les ai niqués ». Le mieux reste quand même les personnes parlant au téléphone et ne sachant pas rester discrètes, ce qui nous amène à entendre des histoires pouvant nourrir à vie nos fantasmes comme « de toute façon je ne vois pas ce qu’elle peut faire de sa vie… Ou alors prostituée à Château d’Eau ? »

Bien évidemment, le RER n’est pas tout blanc ou tout noir, il est gris, lieu d’incivilités et d’agressivités parfois, mais bien souvent lieu d’entraides et de mélanges : il n’est pas rare de voir des personnes en costard-cravate assises côte-à-côte de personnes africaines en habit traditionnel ou encore un jeune avec le jean lui tombant jusqu’au bas des fesses laisser sa place à une vieille dame. Ce train est un des symboles de la banlieue.

Tom Lanneau

Photo : AFP/J. DEMARTHON

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