Rue des Blés, Plaine Saint-Denis. Une pluie qui n’est pas la bienvenue s’abat sur cet espace en transition où des bureaux décrépis côtoient de nouveaux immeubles pour migrants pendulaires. Par leurs fenêtres, les cadres regardent les migrants, les vrais, ceux fraîchement arrivés du Pakistan, du Mali ou de Roumanie qui viennent jusqu’ici chercher ce que l’Etat ne leur offre plus ailleurs. Depuis l’aube ils attendent. Quatre heures debout dans le froid à se balancer d’une jambe sur l’autre. Le Centre d’Accueil de Soins et d’Orientation (CASO) de Médecins du Monde n’a pas encore ouvert ses portes. Pourtant ces malades exclus du système n’ont pas d’autre choix. S’ils n’arrivent pas à inscrire leur nom en haut de la liste autogérée, ils ne seront pas soignés. Dénués de toute protection maladie, ils ne peuvent se rendre ni à l’hôpital ni chez un médecin de ville.

C’est en réaction à la misère des bidonvilles franciliens que la Mission Banlieue de l’association fut créée dans les années 1990. Le centre compte aujourd’hui une cinquantaine de bénévoles et sept salariés. A l’accueil, Alain oriente les demandes et distribuent des cartes numérotées : « orange pour les consultations médicales, rose pour les démarches administratives et bleue  pour la pneumologie ». Une équipe de médecins bénévoles se relaie afin d’assurer une permanence permettant d’effectuer 12 à 18 consultations par demi-journées. Le mardi, un camion du Conseil général permet de réaliser des radiographies alors que le jeudi un autre s’occupe d’examens dentaires.  Des psychiatres, une ophtalmologue et une gynécologue viennent compléter l’équipe soignante.

Sophie Morel, la coordinatrice du centre rappelle pourtant que les soins ne sont pas la principale mission du centre : « on accueille ces individus déracinés, souvent perdus, et on cherche à les orienter, à les réintégrer dans les circuits de droit commun ». Dans de petites alcôves anonymes, les bénévoles accueillent des hommes seuls et parfois des familles entières afin de les guider à travers la forêt administrative française. Avec près de 98% de primo-arrivants en situation irrégulière, les bénéficiaires du centre sont rarement francophones. Lorsque l’anglais et l’espagnol ne permettent pas aux volontaires de se faire comprendre, ils font appel à Pervin et Livia, deux bénévoles maîtrisant respectivement l’hindi, l’ourdou et le roumain. Cependant, cela se révèle souvent insuffisant et en en 2011, il a été nécessaire d’appeler un interprète pour 55,8 % des patients et 54,2 % des visites, creusant le budget de 20 000 euros supplémentaires.

Ce matin, Jaspreet est venu avec son père et sa mère. Ne tenant pas en place sur son siège, l’adolescent indien joue avec le scratch de l’attèle maintenant son poignet luxé lors d’une partie de foot de rue. La famille a pris le premier bus pour être sûr d’être reçue aujourd’hui. C’est Jaspreet qui sert d’interprète entre la volontaire, Céline, prof de banlieue en disponibilité, et ses parents. Son père Kuljit a travaillé un an sur des chantiers espagnols avant d’emmener sa famille plus au nord, loin de la morosité ibérique.  C’est donc dans un espagnol hésitant que les démarches s’effectuent pour cette famille dont le second enfant a réussi à être scolarisé au lycée.

La quasi-intégralité des patients étant dépourvue  de couverture santé, les volontaires les accompagnent dans leur demande d’Aide Médicale d’Etat ou AME. Cette aide vise à prendre en charge les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière et sans ressources résidant en France. Pour cela, les familles doivent résider en France depuis au moins trois mois, disposer d’une adresse pour correspondre et avoir des revenus inférieurs au barème de la CMUC (environ 600 euros par personne). Une fois les dossiers remplis, c’est aux bénéficiaires d’aller les déposer eux-mêmes à la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie), ce afin de les responsabiliser un maximum.

La jeune responsable du centre me semble exaspérée par l’attitude des pouvoirs publics. « Sur fond de paranoïa de la fraude, nous devons nous battre à chaque étape de la constitution du dossier ». Puisque les Centres Communaux d’Actions Sociales refusent de donner une adresse administrative aux personnes sans domicile, c’est Médecins du Monde qui se charge de cette prérogative. Avec 2 600 ménages domiciliés, cette activité encombre fortement les locaux du centre et ralentit son fonctionnement. Lorsqu’un prétendant à l’AME parvient à réunir tous les documents nécessaires, il devra aussi compter sur la bonne volonté de la CPAM dont il dépend : « celle de Paris est juste impossible, ils demandent des documents qu’ils ne devraient pas demander, jusqu’à trois pièces où les textes n’en demandent qu’une ».

Pour Sophie Morel, cette suspicion généralisée a abouti l’an dernier à la loi du gouvernement Fillon instituant une charge de 30 euros pour pouvoir bénéficier de l’AME. Bien qu’elle n’attende pas de miracle de la part de la nouvelle administration, elle reconnait que cette dernière a envoyé le bon signal en supprimant cette ultime barrière dont de nombreuses personnes ne pouvaient pas s’acquitter. Mais l’ensemble des bénévoles n’attend qu’une chose des autorités :  ramener dans le droit commun des prérogatives qui ont trop longtemps été déléguées à des associations. « Dans un monde idéal, nous n’existerions pas ».

Rémi Hattinguais

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