«Ah, j’les connais eux, c’est bien c’qui font ! Viens on va les voir !?! ». Sur la place Sainte-Opportune à Paris, non loin de la station Châtelet-Les Halles, Kevin, 23 ans convainc son pote Dimitri, 22 ans, de s’arrêter quelques instants pour discuter avec le Collectif Contre le Contrôle au faciès. Ce samedi 6 octobre, à cause de la pluie qui tombe drue et fait hâter le pas des badauds, La Brigade anti-négrophobie, Cité en Mouvement et Les Indivisibles, trois associations membres du Collectif, se réfugient sous les arcades pour effectuer leur opération Contrôles d’identité́ citoyens avec remise de ticket de contrôle. L’Objectif ? « Expérimenter le reçu du contrôle d’identité pour sensibiliser les citoyens à la mesure du récépissé et alerter nos élus sur l’efficacité et le pragmatisme de cette mesure, qui a déjà fait ses preuves à l’étranger…« .

Kevin et Dimitri applaudissent cette initiative. Car même s’ils portent des noms bien « gaulois » et sont des « blancos » (expression prononcée par l’ancien maire d’Evry (91) Manuel Valls, et popularisée par une vidéo qui avait buzzé en 2009), les contrôles policiers, ils y sont abonnés… Originaires du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie (78), Dimitri montre sa Carte Nationale d’Identité écornée et qui se dédouble à force d’être sortie pour être vérifiée par les forces de l’ordre. Pourquoi sont-ils l’objet de ces contrôles à répétition ? « A cause de la réputation de notre quartier, et parce qu’on est souvent avec des Noirs… ». Outre la multitude des contrôles (deux fois par jour à certaines périodes), ce sont surtout des violences policières dont se plaignent les deux jeunes. Violence physique et verbale. « Comme on est des Blancs, qu’on pourrait être leur fils ou leur frère, certains policiers nous font la morale… Pour eux, on est des vendus, des soumis… Un jour, un flic m’a dit que je complexais sur ma couleur et un m’a même traité de « pute des noirs » parce que je traine avec eux…» raconte Dimitri.

Kevin, lui, n’a pas été témoin que de violence verbale. Son nez cassé porte les stigmates d’un contrôle à Gare Saint-Lazare, en 2009, qui selon lui, ne s’est pas juste soldé par un tabassage au sol, du sang dégoulinant de son nez ou de son arcade sourcilière, mais avec 48 heures de garde à vue, un jugement, 5 ans de mise à l’épreuve, 5 mois de prison avec sursis et une amende à verser au policier que Kevin aurait agressé… Pourtant ce dernier jure qu’il n’a fait que se défendre lors de ce contrôle qui a tourné en sa défaveur et… « au vinaigre ». Pour lui, les jours d’ITT donnés à des policiers et l’argent qu’ils peuvent toucher dans des affaires comme la sienne sont scandaleux…

Mais Kevin ne veut pas mettre tous les policiers dans le même « panier à salade » : « Déjà, dans ma famille, il y en a qui bosse dans les forces de l’ordre et parfois, on est contrôlé par des flics plus vieux, avec plus d’expérience… qui font bien leur travail. Avec les jeunes, il y a plus de problèmes… Il faut qu’ils fassent du chiffre… Et puis il y a ceux qui aiment cogner. Lors de mon dépôt, à Cité, j’avais entendu à propos d’un policier qui m’avait frappé « Lui ? Ça ne m’étonne pas ! C’est un bagarreur ! ». Ça m’avait choqué… » se souvient-il. Dimitri hoche la tête et ajoute : « Et puis avec la mise en place de la Zone de Sécurité Prioritaire à Mantes-la-Jolie, ça devient encore pire ! Des camions de CRS partout… Ça donne une ambiance de zone de non droit mais à l’envers : non droit pour les habitants ! ». Kevin ne se sent pas en sécurité non plus : «On n’est pas à l’abri d’une nouvelle bavure policière ou d’un nouvel épisode qui se terminerait très mal comme pour Zyed et Bouna » pense-t-il, en guise d’hommage aux deux morts de 2005 à Clichy-sous-Bois.

Kevin déplore qu’en 2009, le 07 60 19 33 81 avec la possibilité d’envoyer un sms avec le mot CONTRÔLE pour dénoncer tout contrôle abusif n’existait pas… Il avait du se débrouiller seul face aux policiers qui l’accusaient et l’avocat qui l’avait défendu lui avait coûté pas mal d’argent… Aujourd’hui, il apprécie le dispositif et toutes les actions médiatiques que mène le Collectif.

Car devant les médias nationaux présents et des passants qui tendent l’oreille, les militants rappellent que la lutte contre le contrôle au faciès est la proposition 30 du programme présidentiel de François Hollande. Ils expliquent aussi que les soutiens par des élus à des zones d’expérimentation du reçu du contrôle d’identité se multiplient (Martine Aubry, Maire de Lille, Razzy Hammadi, Député PS de Seine-Saint-Denis, François Lamy; Ministre de la ville, le groupe Front de Gauche; les Sénateurs Verts et Centre, etc…).

Pourtant à la question «Il n’y aura pas de récépissé comme vous l’aviez évoqué ? », le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault avait répondu, le 28 septembre dernier, à l’émission « Des paroles et des actes » sur France 2 : « Il s’est avéré, et je fais confiance à Manuel Valls qui m’a convaincu, que ce n’était pas la réponse… ». Alors que Le défenseur des droits, Dominique Baudis, doit remettre un rapport sur le récépissé de contrôle prochainement, pourquoi cette réticence du Ministre de l’intérieur, Manuel Valls, qui irradie jusqu’au premier des ministres ? Pour une militante du Collectif Contre le Contrôle au faciès, la réponse pourrait se trouver dans la cote de popularité du « Premier flic de France » qui est au plus haut, et, dans le traumatisme de la campagne présidentielle de 2002 où la gauche avait donné une image de laxisme qui, électoralement, lui aurait été fatale…

Alors, enterré le récépissé que le Collectif présente comme « un outil symbole du changement, d’une nouvelle relation police/citoyens basée sur la transparence et la confiance » ? « Bien sûr que non ! » rétorque Gilles Sokoudjou des Indivisibles. « Pour nous, ça ne fait que commencer ! Mais le changement est toujours long à venir… Pour protéger les populations les plus exposées, pour changer les méthodes de travail côté police… Tout ça prend du temps car interviennent la sphère politique, associative et syndicale. Mais le Président s’est engagé sur la Proposition 30 « Je lutterai contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ». On attend donc juste que le gouvernement respecte son engagement…».

Voir notre dossier sur le contrôle au faciès

Sandrine Dionys

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